Hassi-Messaoud Plate-forme pétrolière TP 194Dans la fournaise des derricks

Hassi-Messaoud Plate-forme pétrolière TP 194Dans la fournaise des derricks

Tout algérien sait d’où vient la rente pétrolière qui permet au pays d’investir dans tous les domaines et d’où il puise pour subventionner ses besoins mais beaucoup ignorent dans quelles conditions elle est produite et qui sont ces hommes qui l’engendrent. Des Algériens qui passent souvent les fêtes loin de leurs familles comme cet Aïd El Fitr 2012. Qui sont ces hommes qui font les ressources de la rente et qui n’en profitent pas vraiment ? C’est ce que nous découvrirons dans ce reportage réalisé sur l’un des 1.500 puits en Algérie : la plate-forme pétrolière TP 194 en forage.

Après un briefing avec le directeur des opérations forage et d’autres cadres de Sonatrach, départ du siège de la direction de Sonatrach à Hassi Messaoud, dans la wilaya de Ouargla, vers 13h50 pour rejoindre la plate-forme pétrolière située à 40 km de la ville, appelée TP 194 où l’Entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP), filiale du Groupe Sonatrach, est en plein forage. Sur la route, des puits en production signalés par des codes sur plaques jaunes. D’autres forages et puits en production apparaissent entre les dunes au milieu du désert. Par endroits, çà et là, des torches brûlent au loin. Sur la chaussée bitumée, de rares véhicules et camions citernes se croisent. Ce mercredi, il est 14h 30 quand le camp apparait à l’horizon. Une dizaine de roulottes en préfabriqué flanqué d’un trait orange sur toute sa longueur, symbolisant la première société nationale, Sonatrach. Sous un soleil de plomb, des agents de sécurité remettent des badges spécifiques à la plate-forme. Ici on ne badine pas avec la sécurité. Singularité, des chameaux se reposent à côté du campement. Loin de là, le forage déjà entamé par les hommes de l’entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP) ainsi que quelques roulottes pour abriter les administrations du maître d’ouvrage, du maître d’œuvre Sonatrach et le partenaire étranger et prestataire de services la multinationale Schlumberger. Sur la plate-forme, des hommes sont déjà à leurs postes respectifs en dépit des 48°C. L’équipe a débuté sa journée de travail à 12h et finira à minuit, soit 12 heures d’affilée. Pour tout étranger qui pénètre, un briefing sur les consignes de sécurité en cas d’alerte est tenu par l’ingénieur HSE (Hygiène Sécurité Environnement). Ce dernier explique, entre autre, qu’en cas d’éruption, la consigne est de courir dans le sens inverse du vent avec un point de rassemblement au camp. Et si vous êtes distrait comme si vous vous trouviez face à une hôtesse de l’air en train de vous expliquer comment enfiler votre gilet de sauvetage, l’impressionnant derrick qui vous fait face avec ses 30 mètres de hauteur vous fera regretter votre inattention. N’empêche, ici casque et botte de chantier sont de rigueur. On accompagne l’ingénieur HSE et Toufik, le chef de chantier pour monter jusqu’au sommet de la plate-forme à travers un escalier métallique et atteindre le niveau où l’équipe est en plein forage. Un conseil : pour ceux qui sont sujets au vertige, inutile de tenter une bravade d’autant que le bruit de la machine est assourdissant et s’accentue au fur à mesure que l’on monte. Au deuxième niveau, les travailleurs de l’ENTP et un autre de la compagnie Schlumberger, un Algérien, sont à la tâche. Le chef de poste, Smail El Aouaber, est aux commandes, assis sur un siège, il tire sur une longue barre, qui est en fait un frein pour lâcher le poids de l’appareil à forage. Impossible de quitter son poste. Pour lui, le bruit est un indicateur pour actionner son frein. Il explique pourquoi il tire ce frein. Il s’agit d’un forage horizontal pour forer plus profond et extraire plus d’hydrocarbures. Le chef de poste surveille le forage pendant que les autres membres de l’équipe s’activent, nettoient ou se chargent de la maintenance des outils et machines. Dès que l’un des ouvriers finit sa tâche, l’assistant le charge d’une autre car la machine doit tourner sans arrêt. La surveillance peut durer 10 heures de suite voire 12 heures. Ce jour, le forage se poursuivra jusqu’à 00h. Deux heures et demie plus tôt, le chef de poste a fait sa passation de consignes avec son collègue de l’équipe précédente qui assure le travail entre 00h et 12h. Durant 10 à 15 minutes, Smail avait fait le point avec le superviseur de Sonatrach, le maître d’œuvre. Ce responsable du forage travaille avec une équipe composée du second de poste, qui est son assistant, un assistant maître sondeur, un accrocheur, un technicien de sonde, un mécanicien de sonde, un électricien de sonde, quatre ouvriers de plancher et quatre manœuvres.

55° LE JOUR ET 35° LA NUIT

Ce forage durera 4 à 5 jours encore pour une profondeur de 3.466 mètres et arrivera jusqu’à 4.150 mètres. Il est possible d’aller jusqu’à 6.000 mètres sans arrêt sauf en cas de nécessité. L’équipe est à la tâche sous une chaleur qui peut atteindre 55°C la journée et 35°C la nuit en été alors que l’hiver, elle baisse jusqu’à -6°C. Ce jour, la température a atteint 49°C à l’ombre vers 15 h. La tâche du chef de poste est très difficile car il ne doit en aucun cas perdre de vue la machine (le trépan) et freiner à temps en respectant une certaine cadence. Il n’a pas le droit à l’erreur car le forage et sa sécurité dépendent de lui. Ce poste a connu plusieurs accidents de travail par manque de vigilance des travailleurs notamment en fin de poste ou lorsque le congé est proche. Le forage se fait avec un mélange d’argile d’eau ou de gasoil et des produits chimiques. Cette « boue de forage » est injectée en permanence à l’intérieur des tiges et les parois du puits. Elle permet de refroidir le trépan et d’évacuer les débris de forage. De retour en surface, elle est filtrée et réinjectée dans le puits. Un forage commence généralement selon les superviseurs de Sonatrach en vertical puis à une certaine profondeur, le forage oblique est utilisé en horizontal. Les vibrations se font ressentir jusqu’au sommet du derrick. Le trépan est entrainé en rotation. La vitesse de rotation varie selon la nature des roches. « Le forage horizontal est plus difficile d’où l’assistance des prestataires de services étrangers et plus couteux mais présente des avantages économiques et sa répercussion sur l’environnement est positive », explique les superviseurs de Sonatrach qui note que « la production de l’hydrocarbure peut être doublée », voire multiplier par 10. Le forage à l’horizontal dérivé commence à 3 200 m, selon Brahim Hammoudi, directeur des opérations forage. Quatre sondeurs sont présents sur la plate-forme, aujourd’hui (mercredi), ils s’occupent du nettoyage et de l’entretien des appareils car en plein forage ils ne sont pas en poste fixe. Leur tâche consiste pendant la manœuvre, une autre étape, vers la préparation du puits pour l’exploitation du pétrole, à visser et dévisser la garniture de forage. Il est temps de redescendre vers le niveau inférieur pour voir les bacs à boue qui permettent de forer et son tamisage pour la débarrasser des débris. Une fois sur les grilles qui servent de plancher sous lesquelles se trouvent les bacs à boue en mouvement permanent et d’où se dégage la forte odeur du gasoil mélangé à la boue de quoi faire vaciller un individu. Aujourd’hui, Aouag Hamadi, 32 ans, soudeur, 5 ans d’expérience, célibataire, résidant à Biskra, remplace un collègue accrocheur, il est en position sur les bacs à boue. Le visage recouvert par le « chech » (pour se protéger du soleil). Il est sur les grilles qui servent de plancher et surveille les pompes et le niveau des bacs actifs ainsi que le retour de la boue, au contact de l’odeur du gasoil en permanence pendant le tamisage de la boue. C’est le moment où l’odeur de ce carburant se dégage donnant ainsi des vertiges. Pendant, la manœuvre, il devra être suspendu à une hauteur de 27 m pour tirer la tige de la machine et la remettre manuellement. Il faut savoir que « sans boue, il n’y a pas de forage », insistent les employés de l’ENTP. Il est près de 17 h, quand nous retournons au baraquement pour rencontrer le reste de l’équipe. Entre-temps, l’équipe poursuit son travail avec les mêmes tâches sur la plate-forme. Fort heureusement, ce jour aucun incident n’est signalé ni difficultés. Le personnel peut monter et descendre plusieurs fois en 12 heures selon la nécessité du travail, des complications, des pannes et du besoin.

F.M.