Entre monde réel et imaginaire, entre culture et politique, la vérité ne tient parfois qu’à un fil bien ténu.
À 72 heures de l’ouverture officielle du Salon international du livre d’Alger (Sila), Hamidou Messaoudi, le président du comité d’organisation de cette grande manifestation culturelle, était, hier, l’invité du forum de Liberté. “Quid du travail de commissaire du Sila ?”, tel a été la première question qui lui a été posée. Sur ce, Messaoudi répondra modestement avec le bagout qu’on lui connaît : “Je suis, peut-être aujourd’hui, sous les feux de la rampe, mais laissez-moi vous dire qu’il y a toute une organisation derrière.” Et de rendre hommage à tous les acteurs de l’ombre qui œuvrent à la réussite de ce rendez-vous littéraire qui en est, cette année, à sa vingtième édition. À ce propos, le commissaire du Sila est revenu sur le parcours, pour le moins chaotique, de cet événement littéraire qui aura connu de nombreuses vicissitudes. Messaoudi fait le décompte :
“Le Salon international du livre d’Alger a débuté en 1980 pour tenir cinq éditions successives. Il s’en est suivi la crise économique en 1986 et des événements qui ont ébranlé par la suite notre pays. Après une interruption qui aura duré quinze années, le Sila a repris enfin sa 6e édition en l’an 2000.” S’agissant du choix controversé de la France comme invitée d’honneur de cette édition et pour laquelle certaines voix se sont élevées pour exprimer leur “réprobation”, l’invité de Liberté se montrera intransigeant. “Il n’y a aucune polémique. La décision de choisir cet invité revient au ministère de la Culture. Permettez-moi de vous rappeler qu’en 2003, il y avait l’année de l’Algérie en France. De plus, notre pays a été l’invité d’honneur de plusieurs salons en France. Je ne sais pas pourquoi on focalise tant sur l’invité d’honneur. S’agissant de l’ancienne puissance coloniale, tout le monde sait que nous sommes indépendants et souverains depuis 1962.” Malgré cette mise au point, une journaliste fera tout de même le lien avec la tenue lors du Sila de la rencontre euromaghrébine des écrivains à laquelle elle prête des enjeux politiques, voire géostratégiques.
Sur ce point également, le commissaire du salon sera intraitable : “Je ne vois pas le rapport avec cette rencontre qui a toujours existé à quelques exceptions près. Nous ne cessons de le répéter, le Sila est un événement purement culturel !” Cela dit, Messaoudi sera de nouveau ramené sur le terrain politique avec le prix Assia-Djebar du roman qui sera décerné pour la première fois le 4 novembre prochain. Sachant que cette récompense destinée à promouvoir la production littéraire algérienne est financée par deux entreprises publiques, à savoir l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep) et l’Entreprise nationale des arts graphiques (Enag) dont Messaoudi est, par ailleurs, directeur général, des craintes se font sentir au sujet du choix de l’auteur ou de l’œuvre primée.
Beaucoup s’attendent, en effet, à la sélection d’un opus considéré comme “politiquement correct”, ce qui porterait assurément un coup sévère à la crédibilité de ce prix littéraire en gestation.
Le commissaire du Sila tentera alors de se montrer, une fois encore, rassurant en avançant le nom du romancier, nouvelliste et traducteur interprète, Merzak Bagtache, à qui échoit la délicate mission de désigner le premier récipiendaire. “Même si nous sommes ouverts à toute œuvre, quelle qu’elle soit, c’est l’affaire d’un jury indépendant. M. Bagtache a donc toute latitude pour agir !”
Cela étant et sans préjuger du palmarès à venir, on voit mal comment les romanciers algériens dont les allégories et les tournures de styles contribuent à mettre à nu les tares du système puissent être les favoris. Entre monde réel et imaginaire, entre culture et politique, la vérité ne tient parfois qu’à un fil bien ténu.
M-C. L.