S’il reste difficile de prévoir quelle sera l’issue des marchés des énergies fossiles d’ici la fin de l’année 2016 et même dans les deux prochains mois de l’avis d’experts, il est par contre clair que l’Algérie est en passe de négocier un tournant décisif de son système économique.
Basée jusque-là sur les revenus issus des exportations des hydrocarbures, l’économie nationale se devait d’opérer une mutation à même de permettre un changement de mentalité.
La consommation tous azimuts durant la dernière décennie a pris des proportions telles que les marchés algériens sont devenu presque des dépotoirs de produits souvent de qualité médiocre.
Il est en effet facile de constater que comparés à certains produits importés, quelques-uns fabriqués en Algérie sont de loin meilleurs. Et les pouvoirs publics viennent peut-être de s’en rendre compte. Des campagnes de sensibilisation sont entreprises depuis deux ans pour la relance du crédit à la consommation « made in bladi », dont le coup d’envoi n’attend désormais que les ultimes retouches bancaires.
Le gouvernement diversifie désormais ses tentatives, au demeurant dictées par la crise, de promouvoir le produit local. Ne dit-on pas : « A quelque chose malheur est bon ».
Seulement, et, c’est justement là que l’équation est difficile à résoudre, l’Algérien, saigné à blanc par la cherté de la vie et les augmentations anarchiques des produits de large consommation en attendant, bien entendu, les prochaines hausses annoncées des factures de l’énergie et de l’eau, se trouve incapable de gérer son quotidien.
Aura-t-il encore les moyens de s’aventurer, au risque de se faire « dépouiller », dans le circuit intraitable des banques ?
Envié il y a cinq ans, un salarié en charge de quatre personnes qui percevait 50 000 DA mois, n’est désormais plus capable de subvenir aux plus élémentaires besoins de sa famille.
La crise est aux portes de tout un chacun et le dernier message lu à Constantine au nom du président Abdelaziz Bouteflika par Mohamed Ali Boughazi, Conseiller à la présidence de la République, à l’occasion de l’ouverture des travaux de la 17e Semaine nationale du Coran, est on ne peut plus clair et va peut-être dans le sens d’une réconciliation.
Le chef de l’Etat exhorte les Algériens à se serrer la ceinture en adoptant un mode de consommation « adapté à ce qu’ils produisent comme richesses ». Comme ceux qui le gouvernent, l’Algérien a longtemps inconsciemment compté sur le sous-sol du Sahara.
En effet, jusque-là rentiers, les Algériens fournissent peu d’efforts et les statistiques les plus optimistes les classent parmi les populations qui passent peu de temps au travail et quand ils y sont, peu rentables parce que le temps passé à travailler ne dépasserait pas une heure par jour.
Pourtant longtemps décrié, le chômage est, au vu de la prolifération de sociétés du secteur privé, en passe de disparaître, puisque deux chômeurs sur trois trouveraient du travail, soit à temps plein soit de façon temporaire.
Seulement, le manque d’expérience ou encore l’insouciance, mais souvent aussi le maigre salaire offert par les patrons en sus de l’absence de couverture sociale font qu’ils restent peu rentables. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Algérien a adopté depuis quelque temps un mode de consommation au-dessus de son rendement et même de ses moyens.
Dans le secteur public où la politique sociale budgétivore a fait des ravages, souvent les fonctionnaires se retrouvent à quatre et des fois à cinq à un poste géré sous d’autres cieux, ou même chez le privé algérien, par une seule personne.
Le message du Président est donc clair : fini le bon vieux temps où l’on pouvait se permettre des folies. Il est temps de me prendre que ce que l’on mérite et de mériter ce qu’on prend. Autrement dit, le travail doit être l’unique source de gains.
Les multiples agitations sociales qui ont naguère été aussitôt suivies, pour la plupart, d’augmentations salariales, pourraient s’avérer à présent insignifiantes au regard de ce que prévoit la loi de finances 2016. Un texte qui aura une résonance et des répercussions sur le pouvoir d’achat de la majorité de la population.
« Difficile d’arrondir ma fin du mois »
Kamel, employé comme électricien dans une entreprise étatique, laisse planer son scepticisme. « Je vous assure, nous dit-il, que je n’arrive plus à joindre les deux bouts. Je perçois 42 000 DA depuis la dernière augmentation il y a deux ans (avant je touchais 29 500 DA). Avec ma femme et mes deux enfants en bas âge, j’arrive difficilement à arrondir mes fins de mois. »
Hamid, lui, travaille dans le secteur privé et sa femme est employée comme secrétaire dans un secteur urbain. A deux, ils cumulent 72 000 DA. « Impossible à gérer, s’alarme le mari.
On a trois gosses, deux vont à l’école primaire et la troisième est gardée dans une crèche pour 6 000 DA le mois, Nos dépenses quotidiennes s’élèvent à presque deux mille dinars, soit 60 000,00 DA mensuels, cela sans compter le carburant et les factures de la Sonelgaz et de l’Algérienne des eaux, Il nous est presque impossible de prévoir des sorties ».
Mounir, à peine la trentaine, est célibataire et a à sa charge ses parents âgés, A la question de savoir si son salaire lui suffit, il lui a fallu retenir son fou-rire pour nous donner son avis. Il est employé depuis huit longues années comme chauffeur chez un privé, son salaire est de 22 000 DA.
« Que voulez-vous que je vous dise, ce salaire me permet juste de survivre moi et mes parents ; mon père a une petite retraite qui nous aide ». Seulement, nous dit-il encore, je me débrouille : je fais de petites affaires pour arrondir mes fins de mois, sans plus. Il m’arrive rarement de mettre cinq mille dinars de côté. »
Mais face à cet échantillon de citoyens lambda, il existe une autre catégorie d’Algériens qui semble à l’abri du besoin et qui fait qu’il serait à craindre qu’à moyen terme, la fracture sociale ne devienne plus importante.