Egouts éventrés à l’intérieur même des pièces, sentiers impraticables, baraques faites de bric et de broc : le décor où croupissent près de 700 familles est tout simplement hallucinant. C’est la misère ? Non, c’est l’image de la déchéance humaine et dans un environnement aussi révoltant, aussi repoussant, il est difficile de garder sur soi les derniers lambeaux de dignité.
Se rendre et faire le constat des conditions de vie des habitants de Haï Stamboul dans la commune balnéaire de Bordj El-Kiffane en hiver, c’est faire un voyage dans les méandres de la préhistoire. Impossible de circuler.
Des semblants de routes que traversent de gigantesques égouts qui déversent leur contenu à ciel ouvert. Lors de notre passage, nous avons remarqué des taudis entièrement envahis par des eaux nauséabondes et la boue. Des ménagères, impuissantes devant la calamité des infiltrations d’eau de pluie et d’égouts, se font assister par de petites fillettes qui devaient être à ce moment-là à l’école.
D’autres, n’ont pas trouvé mieux que de creuser des trous dans les murs et des sentiers pour évacuer ce que les égouts déversent à l’intérieur des taudis. Des «meutes» de rats, circulent en toute liberté. Notre présence en ce lieu, n’inquiète nullement ces bestioles qui vadrouillent en terrain conquis. «Elles font partie du voisinage», ironise à contrecœur un citoyen.
Ceux qui ont la chance d’être reliés à un branchement d’électricité, c’est grâce au piratage des luminaires que se fait l’alimentation en énergie au moyen de câbles électriques qui traînent à même le sol. Le danger d’électrocution est quasiment constant. Pour l’eau, ce sont de petits bambins qui se chargent, à l’aide brouettes, de faire le plein aux dépens de leur frêle corpulence et des études qu’ils sèchent en période hivernale. Ce serait faire un pied de nez à la réalité, si nous devions omettre de parler de ces personnes qui souffrent de diverses maladies, telles que l’asthme et la tuberculose. «Nous sommes les oubliés de l’Algérie, les damnés de la terre.
C’est tous les ans ainsi. Une fois nous avons été logés pendant trois jours au niveau d’une école pour en être chassés comme des animaux par la suite», raconte, avec une pointe d’amertume, une jeune dame dont le visage ridé lui fait paraître deux fois son âge.
La misère est omniprésente au niveau de ce bidonville dont les occupants implorent les élus qui ne s’y rendent que lors des campagnes électorales, avec des promesses sans lendemain. « Les recensements que font annuellement les autorités locales, nous donnent souvent un embryon d’espoir qui s’évanouit bien vite devant les portes de la municipalité lorsqu’il s’agit pour nous de vouloir connaître notre devenir. Nous ne demandons pas l’impossible à nos responsables, mais seulement des chalets pour une vie décente», disent nos interlocuteurs.
La revendication de ces citoyens, ne nécessite pas une décision politique, mais simplement une volonté des autorités locales. Une volonté qui malheureusement semble faire défaut, mais pas lorsque ces gros pontes de la commune et d’ailleurs se partagent les terres agricoles de la localité, comme par exemple à travers toute la côte de Bordj-El-Kiffane dont les trottoirs de la Sirène et à Stamboul même. Dommage !
«Ma fille est née ici, elle est morte ici»
C’est un père encore sous le choc de la mort de sa fille, qui a quitté ce monde à l’âge de 15 ans suite à un cancer qu’elle a contracté dans ce bidonville qui porte lui aussi le numéro 15. Abdelkader Bencheikh, lui également, atteint d’une maladie chronique, père de onze enfants, ne veut pas croire au miracle qui devra le fait sortir un jour de ce marasme qu’il assimile à une malédiction. Il nous fait visiter son minuscule «logis» composé d’une seule pièce et d’une cuisine en plein air, entièrement envahi par les eaux usées et les eaux de pluie. La gadoue a transformé cette demeure de fortune en un véritable marécage. A même la petite pièce, un égout déverse son contenu. Les odeurs qui s’en dégagent, a mis dans l’embarras cette famille qui crie son désarroi. «Je n’ai jamais rien demandé aux responsables de mon pays. Mais cette fois-ci, un simple chalet me suffirait pour mourir en paix et laisser mes enfants sous un toit décent et sécurisé», implore notre interlocuteur entre plusieurs soupirs, tout en regardant ce numéro sur sa porte. Il implore les autorités locales pour lui venir en aide. «Une personne de mon âge devrait-elle finir ses jours en ce lieu, sans goûter aux prémices de l’indépendance ?», s’interroge ce sexagénaire avec des yeux larmoyants devant ses enfants qui ne comprenaient pas le sens de ses larmes de chagrin. Etre aussi grand-père sans un logis décent, semble être aussi un regret. «Pour l’amour de Dieu, sortez-moi de là», lance-t-il encore, pensant probablement que nous étions les messies.
R. K