Prévue à 9h du matin, la vente des billets pour le match Algérie-Maroc a viré à l’émeute.
Plusieurs personnes ont été grièvement blessées au couteau, au sabre ou tout simplement tabassées par la police où les baltaguia sont venus gâcher la fête et profiter de cet événement pour se faire de l’argent sur le dos des férus de l’équipe nationale.
Certains ont passé la nuit devant le stade
Sachant qu’il y aurait du monde, des supporters ont décidé de passer la nuit devant le stade 19-Mai-1956 dans leurs voitures qu’ils ont garées dans le parking à proximité des guichets où devait avoir lieu la vente des billets. Bachir venu de Skikda à bord de sa 505 était là à 11h du soir. «Je savais qu’il y aurait du monde. Je pensais que j’étais malin. Je me suis dis que si je pars la nuit, je serai le premier à l’ouverture des guichets, mais je me suis trompé. C’était soit ma vie ou le billet. J’ai choisi de vivre et regarder le match à la télé avec mon fils.»
3h du matin : des milliers de personnes étaient déjà là !
Le parking devant les portails du stade était noir de monde. Des jeunes torse nu couraient dans tous les sens. Une anarchie monstre dominait toute la placette à l’entrée du stade. Les premiers commençaient à arriver aux environs de 2h30 du matin. A 3h précises, des milliers de gens étaient là à attendre l’ouverture des guichets. Leur nombre n’a pas cessé d’augmenter au fil des heures.
Les forces anti-émeute complètement dépassées
Les agents de l’ordre étaient eux aussi sur place à 3h du matin. Ils ont eux aussi passé la luit devant le stade 19-Mai-1956. Pour canaliser les gens, les organiser et empêcher tout dépassement, ils ont placé des barrières pour séparer les files d’attente à travers les 20 guichets qui seraient ouverts à 9h. Cette méthode s’est avérée inefficace. Le nombre d’agents était trop insuffisant pour maîtriser des milliers de personnes déchainées et prêtes à tout pour avoir leurs billets d’accès au stade. Les barrières ont été enlevées, les foules dispersées et les forces anti-émeute obligées à reculer et céder du terrain. Incapable de maîtriser la situation, la sécurité était complètement dépassée par les événements.
Des baltaguia ont obligé les gens à acheter les billets 1 500 DA
Plusieurs groupes de jeunes ont préféré s’éloigner de la foule et regarder de loin ce qui se passait devant. On s’est approchés d’eux pour se renseigner. Nous fûmes bouleversés par ce qu’ils nous ont raconté. «Tu vois les jeunes (Il montre du doigt un groupe de jeunes), ceux qui cachent leurs visages avec des cache-nez. Ils empêchent les gens d’aller acheter leurs billets normalement. Ils les empêchent d’accéder aux guichets et les obligent d’aller acheter les billets chez l’homme en veste bleue derrières l’arbre, à raison de 1 500 DA», nous raconta-t-i
«On devait choisir entre la vie ou le billet»
«Si tu refuses ou tu décides de lui résister, tu auras droit à un coup de sabre ou de couteau. En résumé, tu devras choisir entre garder ta vie sauve, rentrer bredouille à la maison, débourser les 1 500 DA ou risquer ta vie. Moi, j’ai choisi de rester en vie, mes amis aussi. Comme vous voyez, la plupart ont fait un autre choix, celui du billet», ajoutera le jeune la mort dans l’âme. Ainsi, des jeunes se sont levés à 2h du matin pour acheter un ticket, ils se sont retrouvés devant des gens les obligeant à choisir entre leur vie ou le ticket à 1 500 DA. Tout ça devant le regard impuissant des policiers qui se souciaient plus d’empêcher les journalistes à accéder au stade pour récupérer leurs accréditations qu’à protéger les petites gens qui se faisaient agresser lâchement par des voyous.
Les tickets pour les plus forts
L’organisation catastrophique a laissé libre champ aux voyous qui ont eu une incroyable facilité à dicter leur loi hier au stade. Le bilan, qui est provisoire, est lourd : 42 supporters blessés ont été comptés à 13h. Ce chiffre a atteint 60 à 17h. Deux policiers, dont un dans un état grave, ont été évacués en urgence à l’hôpital dans la matinée. Trois autres ont été blessés dans l’après-midi.
Ils ont été touchés par les projectiles et les cailloux lancés par les supporters en colère. A l’heure où nous mettons sous presse, les affrontements entre les forces de l’ordre et les supporters continuaient. Ce bilan risque d’augmenter, surtout que la plupart des supporters n’ont pas eu droit à leurs billets. «La moitié des billets ont été pris par les voyous. L’autre moitié a été distribuée sous table aux amis du directeur du stade, aux proches des responsables locaux.
Nous, les simples citoyens, on se lève à 2h du matin, on risque nos vies et notre argent et à la fin, on n’a rien. On essaye de nous faire comprendre que cette équipe nationale appartient à tous, mais en vérité, c’est à eux qu’elle appartient. Ils se sont approprié l’EN», nous dira Mohamed, le chauffeur de taxi qui nous a emmenés au stade, revenu lui aussi sans billet.
Les billets à 5 000 DA au marché noir
Il y a quelques jours, le directeur du stade nous disait : «20 guichets seront ouverts. Pas plus de trois tickets par personne… On a tout organisé…» Aujourd’hui, la réalité nous montre autre chose. Des citoyens honnêtes sont agressés, la fête a été gâchée, des gens se baladent avec des paquets de billets dans les poches et les supporters ordinaires devront payer 5 000 DA au moins pour acquérir un ticket d’entrée au stade. Les Annabis blâment les organisateurs, ces derniers accusent les supporters de fauteurs de troubles et de voyous, le service d’ordre, quant à lui, ne s’est pas montré suffisamment ferme pour maîtriser la situation.
Une ambulance saccagée et la tente des pompiers bombardée…
Pour soigner les blessés, les responsables de la Protection civile avaient installé une tente à l’intérieur du stade. Plusieurs ambulances ont été mobilisées pour transporter les blessés graves. L’une d’elles a été complètement saccagée par la foule déchaînée et en colère contre le service d’ordre qui l’empêchait d’accéder aux guichets. La tente, quant à elle, où se trouvaient un médecin, des infirmiers et des secouristes, a été bombardée de pierres et de différents projectiles.
Ils ont refusé de quitter le stade, ils menacent de saboter le rendez-vous
Les gens, qui n’ont pas eu la chance d’avoir un billet, ont refusé de quitter le stade. Ils y sont restés toute la journée. «Je ne vais partir. Pourquoi, je le ferais ? Je suis là depuis 5h du matin. Regardez mon coup et mon ventre. J’étais tabassé et maltraité par la police. J’ai perdu ma montre et mes lunettes… Avec tout ça, je n’ai pas mon ticket. Je resterai là jusqu’au 27 s’il le faut», dira un jeune homme qui avait l’air complètement défoncé. Son ami, lui aussi très en colère, nous dira : «Ce match n’aura pas lieu. L’équipe nationale s’entraînera ici non ? Et bien on va l’attendre. Il faut qu’ils sachent ce qui s’est passé ici. On va interpeller Raouraoua et on va tout lui raconter.»
Qu’en sera-t-il le jour du match ?
Ce qui s’est passé hier au stade d’Annaba ne doit pas passer inaperçu. Pour que ce match se déroule dans de bonnes conditions, il faudra que les responsables locaux prennent des décisions fermes et efficaces pour mettre un terme à cette anarchie qui règne ici. Des événements comme ceux qui ont éclaté hier risquent de se reproduire le jour du match. Les entraînements des Verts peuvent être perturbés. Le jour du match, le supporter sera le pauvre qui a acheté le ticket à 5 000 DA. Celui qui a passé la nuit au parking du stade. Celui qui a été agressé et malmené pour acheter le billet et, enfin, les chanceux qui ont eu le privilège de se faire livrer le ticket à domicile. Ce mélange est capable de provoquer d’autres incidents plus graves. Pour les empêcher, il faudra prévoir le danger et agir efficacement, sinon, ça sera la catastrophe.
A. B.
Le bilan à 17h
Une source de la Protection civile nous a révélé, hier à 17h, que 60 blessés du côté des supporters, dont deux dans un état critique (coup de couteau au cou pour le premier et une hémorragie à la tête pour le deuxième), ont été enregistrés. Ce bilan provisoire risque d’augmenter, puisque les gens ont refusé de quitter le stade sans leurs billets. La même source nous a informés que cinq policiers ont été blessés. Deux d’entre eux ont été laissés en observation.
5 supporters arrêtés
Les forces de l’ordre ont intercepté cinq fauteurs de troubles parmi les supporters au stade d’Annaba.
15 000 à 17 000 policiers réquisitionnés pour le match
Un dispositif sécuritaire sans précédent a été déployé dans toute la wilaya d’Annaba ces jours-ci. Un dispositif mis en place spécialement pour la rencontre de dimanche prochain entre l’Algérie et le Maroc. De sources policières, on parle de 17 à 18 000 agents de l’ordre qui ont été appelés pour assurer la sécurité et l’organisation de cette rencontre. A Annaba, on ne veut surtout pas que cette rencontre de football sorte de son cadre sportif ; tous souhaitent qu’elle soit une source de joie et de fête pour toute la ville. Nous avons appris également que les unités de policiers dispersées à travers la ville ne sont pas uniquement de la wilaya d’Annaba, mais on a fait appel au renfort de 17 wilayas limitrophes. On parle même d’unités d’Alger qui seraient présentes. L’avantage est que les universitaires soient en vacances, ce qui n’a pas posé de problèmes d’hébergement aux forces de sécurité qui ont «occupé» le temps d’un match les cités universitaires.
A. I.