Hacène Hirèche, universitaire, enseignant en tamazight et consultant à l’université de Paris-VIII, à “Liberté” “Il est inadmissible que tamazight ne soit pas une langue officielle !”

Hacène Hirèche, universitaire, enseignant en tamazight et consultant à l’université de Paris-VIII, à “Liberté” “Il est inadmissible que tamazight ne soit pas une langue officielle !”

Hacène Hirèche, universitaire, enseignant en tamazight et consultant à l’université de Paris-VIII, a bien voulu nous accorder un entretien, en marge d’une conférence qu’il a animée à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, sous le thème : “Tamazight langue officielle, réflexion sur l’impact psychologique, social et géopolitique.” Il a récemment lancé, avec d’autres citoyens, une pétition portant sur l’officialisation de la langue amazighe en Algérie.

Liberté : Vous venez de lancer une pétition sur l’officialisation de tamazight ? Une idée originale ?

Hacène Hirèche : Pour la pétition, nous sommes un groupe de militants de différentes sensibilités. Nous nous sommes retrouvés pour voir ce que nous pouvons faire autour du 20 Avril afin de ne pas laisser passer inaperçu ce 33e anniversaire. Nous avons voulu marquer cet évènement et parmi tant d’autres idées nous avons retenu le lancement d’une pétition parce que cela permet à tout citoyen de marquer son ancrage dans cette volonté du peuple amazigh de voir sa langue enfin reconnue cinquante ans après l’Indépendance. Je pense que ce n’est pas normal que nous soyons encore privés d’un tel droit et il est temps que les autorités algériennes, les élus et la classe politique se mobilisent pour l’officialisation de tamazight, et cette fois dans la perspective d’une nouvelle Constitution, et que cesse la ségrégation pour réconcilier l’Algérie avec elle-même.

Il est inadmissible, à l’heure d’aujourd’hui, que tamazight ne soit pas officielle, alors que dans de nombreux pays, qu’ils soient bilingues ou multilingues, tels que l’Inde et la Suisse, coexistent très bien plusieurs langues.

Je peux même dire qu’un pays ségrégationniste comme Israël a reconnu la langue arabe comme deuxième langue officielle, et en 2011, ils ont même décidé que les Juifs apprennent obligatoirement l’arabe parce que les Arabes apprennent obligatoirement l’hébreu. Que les pays ségrégationnistes accèdent à l’arabe alors qu’un pays comme l’Algérie n’accède pas à la langue du pays est un scandale. Il faut sortir de cette situation qui a trop duré et qui est totalement injuste.

Peut-on croire au projet de l’officialisation de tamazight en 2013 ?

Vous savez malheureusement que c’est un régime auquel on ne peut pas faire entièrement confiance. Il donne d’une main et retire de l’autre. On est habitué à ce jeu politique des petites miettes. Donc, il faut prendre du recul, garder la tête froide, militer davantage pour l’officialisation de notre langue et ne pas compter seulement sur la bonne volonté du pouvoir politique. C’est une question de rapport de force et le régime a toujours fonctionné justement sur la base des rapports de force.

Militer pour l’officialisation de cette langue est le devoir, non seulement des berbérophones et de tout Algérien qui aime son pays car il s’agit là de la langue de nos ancêtres. C’est également une façon de sortir de la vassalité de l’Algérie envers l’Égypte et le Moyen-Orient, sortir du “Nacirisme” qui a plongé l’Algérie dans une culture factice et une réalité socio-économique peu reluisante. Aujourd’hui, il est temps que l’Algérie soit un pays totalement indépendant et souverain et qu’elle prenne en charge les problématiques qui lui sont propres.

Quelle est votre point de vue sur la transcription de tamazight ?

Cela fait partie de ce que je viens d’affirmer. C’est un pouvoir qui donne d’une main et qui retire de l’autre. C’est pour créer la confusion et humilier les chercheurs berbérisants qui eux, sont habilités à choisir une graphie. Il décide du jour au lendemain, on ne sait par quel canal, de la transcription de tamazight en arabe, ce qui est un choix beaucoup plus dogmatique et idéologique alors qu’il y a des chercheurs habilités à le faire.

La Kabylie s’apprête à commémorer le double anniversaire du Printemps 1980, mais aussi, du Printemps noir, une autre date dont on en parle un peu moins aujourd’hui ?

Le Printemps noir est déjà la célébration du Printemps 1980. Donc, c’est une continuité. Il est important que les jeunes de ce pays le sachent, c’est que le 20 Avril 1980 a libéré les énergies de toute une région, parce qu’après Avril 80 à Tizi Ouzou, il y a eu en 1982 et 1983 des manifestations à Constantine et à Oran. Il y avait même eu des détenus à Constantine et je me souviens personnellement que j’étais contacté par Me Mokrane Aït Larbi qui nous a remis une liste de prisonniers constantinois pour que nous puissions agir sur le plan international.

Après, il y a eu la Ligue algérienne des droits de l’Homme, en 1985-1987, puis l’ouverture politique, une liberté muselée qu’on connaît, celle d’Octobre 1988. Suite à cela, nous avons été approchés par des militants tunisiens et marocains qui étaient admiratifs de ce qui s’était passé en avril 1980 chez nous et ils ont adhéré à l’idée de sortir d’un régime despotique, quelque soit l’emprise de la société sur le pays. Je peux dire que ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte, c’est l’éruption de tout ce qui s’est passé en Algérie et en Kabylie après 1980.

À l’époque, la Kabylie avait bougé en même temps que le mouvement ouvrier polonais, mais il se trouve que celui-ci fut aidé par les États-Unis et par l’Europe.