Guerre d’Algérie : la commémoration des « marsiens »

Guerre d’Algérie : la commémoration des « marsiens »

Au cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie que Bouteflika n’a pas commémoré, la France a marqué son 50e anniversaire des Accords d’Evian du 19 mars 1962 avant même que cette date ne soit déclarée journée commémorative de la fin de la guerre.

Quelques jours après que le président Français a reconnu les massacres du 17 octobre 1961 contre les manifestants immigrés algériens ayant fait près de 500 morts, le parlement adopte définitivement la date du 19 mars 1962 comme journée commémorative de la fin de la guerre d’Algérie.

Cinq ans auparavant, le même parlement, sous la droite, adoptait la fameuse loi décriée et en partie amendée depuis, sur la « colonisation positive » de la France en Algérie. Le retentissent procès de Maurice Papon, le transfèrement des cendres du colonel Bigeard au Panthéon, les aveux d’Aussaresses sur l’assassinat de Larbi Ben M’hidi ajoutés au bras d’honneur de l’ex-député Gérard Languet aux demandes de « repentance » d’Alger à la France sur les crimes de son passé colonial, tous ces faits semblent traduire une attitude pathologique de l’hexagone et du pouvoir de Bouteflika vis-à-vis de l’histoire.

Un autre fait, sans doute, moins remarqué, concerne les bulletins météo des chaines de télévision publiques françaises qui intègrent les territoires d’outre-mer auxquels il est réservé un bulletin spécial depuis peu comme si la France officielle avait peur de perdre ses îles du pacifique si lointaines mais si proches par le temps qu’il fait.

Deux dates se déclarent la guerre, plus que dans les mémoires, mais sur la scène politique entre l’ex-colonisateur et l’ex-colonisé. Pourtant, l’une ne vas pas sans l’autre ; pourtant, aussi, comme pour la France et l’Algérie, elles portent, en elles, des germes de division au sein des deux Etats et sont loin d’être aujourd’hui des moments datifs rassembleurs.

Si les Accords d’Evian réfèrent au juridique, le 5 juillet est politique. Nombre de négociateurs algériens aux accords d’Evian ont publié, analysé, commenté les péripéties de  cette rencontre historique etfourni des documents juridiques portant sur les différents volets des discussions. Le dernier livre en date porte sur les « minutes » des plaidoiries des deux parties. Sur le 5 juillet 1962, très peu d’écrits.

Si ce n’est, justement, les premières velléités de prise de pouvoir par les nouveaux maîtres de l’Algérie. Les conditions rocambolesques dans lesquelles a été victime d’un complot Ferhat Abbas, président de la première assemblée constituante, les premières moutures inachevées à Tripoli et bâclées à Alger de la charte de Tripoli, les maquis scissionnistes du FFS en Kabylie en 1963, restent les faits marquants du 5 juillet 1962 derrière la liesse populaire qui a remplacé « tahia el djazaïr » ( Vive l’Algérie) par « sebaâ snin barakat » ( Sept ans ça suffit) en référence aux luttes claniques et fratricides du pouvoir du 5 juillet 1962.

Mais entre les deux dates, il n’y a pas que la trahison des frères. Les attentats sanglants de l’OAS, l’abandon des harkis ont mis en péril le référendum du Général de Gaulle du 8 avril 1962 approuvé par la majorité des Français après un « je vous ai compris » qui a allumé le feu aux poudres.

Le 19 mars est également pour l’Algérie une surprise pour les maquis de l’intérieur où la majorité des maquisards a appris la nouvelle du cessez-le-feu par la radio de l’ORTF, beaucoup n’ayant été mis au courant que bien plus tard. Nombre de témoignages écrits de maquisards en attestent ce fait. Bien plus, cette date du 19 mars 1962 va « polluer » l’armée de libération nationale ( ALN) par la venue de « marsiens », de prétendus maquisards qui, dans la mêlée, ont rejoint ses rangs à cette date, se proclamant vétéran de 1954 et, à ce titre, ont occupé après l’indépendance des postes de responsabilité au sein de l’ANP et du gouvernement.

Leur afflux massif dans les rangs de l’ALN restée ou mise en retrait aux premiers jours du cessez-le-feu a marqué l’imaginaire populaire dans lequel ces « marsiens » sont comparés à des essaims de sauterelles. Peu de témoignages écrits sont consacrés à la relation entre la situation  des maquisards de l’ALN et cette date du 19 mars 1962. « Heureux les martyrs qui n’ont rien vu » de Bessaoud Mohand Arab et partiellement « Avoir vingt ans dans les maquis » de Djoudi Attoumi y font référence.

Djoudi Attoumi raconte comment des familles aisées qui n’ont jamais cotisé pour l’ALN se sont faits inscrire avec effets rétroactifs sur les registres de cotisation entre le 19 mars et le 5 juillet 1962. Pour l’Algérie, aucun moment historique de la Révolution algérienne, alliant le juridique et le politique, n’a été rassembleur, n’est resté indemne de fractures, de luttes claniques et de leadership : la réunion des 22, le Congrès de la Soummam, le 19 mars 1962 dont les minutes des négociations révèlent bien des aspects tenus au secret à ce jour, la Charte de Tripoli,… entraînant un discrédit sur tous les textes de loi qui régissent l’Etat algérien, jusqu’à la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » d’Abdelaziz Bouteflika.

Ces deux dates pour lesquelles se livrent bataille les deux pays,  sont, en vérité, pour chacun, une dérive historique et un contentieux qui leur est propre avant qu’elles ne soient une « guerre des mémoires » entre les deux rives.

La première visite  d’Etat de François Hollande en Algérie coïncide avec le 5 décembre, la date de commémoration en hommage aux morts d’Afrique du Nord tandis que l’Algérie commémorera les manifestations du 11 décembre 1960 à Alger. C’est dire que les deux pays sont condamnés à vivre les dates d’un passé récent au lieu de se les disputer ou de se les revendiquer les unes à l’exclusion des autres à d’autres fins.

R.N