Toujours avec la franchise qu’on lui connaît, Mahmoud Guendouz n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agit de la sélection nationale et de tout ce qui la concerne. Il n’a pas été facile pour nous de le faire parler cette fois-ci, mais il a fini par accepter de nous accorder cette interview. Guendouz s’interroge ici sur l’utilité d’une équipe nationale constituée de joueurs formés à l’étranger.
On ne vous entend plus ces derniers temps, pourquoi ?
Je ne me mêle plus des affaires de notre football et je ne commente plus l’actualité. Je me suis retiré de ce milieu et je ne m’occupe que de ma famille.
Pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Après la Coupe du monde, j’ai décidé d’arrêter le métier de consultant et de ne plus parler de l’équipe nationale. Je me considère comme une personne responsable et je ne peux pas voir le mal et le bricolage sans que je réagisse. Et puis, moi, je ne fais pas comme beaucoup d’autres, ceux qui caressent dans le sens du poil juste pour plaire aux responsables de notre football alors qu’au fond d’eux-mêmes, ils pensent tout à fait le contraire de ce qu’ils disent. C’est une hypocrisie que je ne supporte plus et ne je marcherai jamais dans ce sens. C’est une situation qui les arrange, comme cette équipe nationale constituée dans sa majorité de joueurs évoluant à l’étranger, avec un entraîneur étranger et un adjoint étranger, sans que cela n’interpelle personne. Je ne ferai jamais ça, j’ai mes convictions et mes principes que je défendrai toujours contre vents et marée.
Le ministre de la Jeunesse et des sports, M. El Hachemi Djiar, a déclaré récemment à partir de Sétif que l’Algérie ne devrait plus compter sur les binationaux en pensant à revaloriser le joueur local. Qu’en pensez-vous ?
Il a raison à 100%. Il y a moins d’un mois, j’ai reçu une invitation du ministre à l’occasion d’un séminaire à Alger. Il avait dit clairement que l’Algérie n’a pas besoin de joueurs évoluant à l’étranger pour s’imposer sur la scène internationale. C’est ce que je disais avant, mais j’ai été violemment critiqué. Certains sont allés jusqu’à s’interroger si je n’étais pas fou et certains organes de presse m’ont utilisé, à chaque fois que l’actualité l’impose, pour régler des comptes en profitant de ma franchise. Je n’ai pas aimé cela car mon seul souci, c’est le bien du football national, et non de dénigrer telle personne ou telle autre.
Avez-vous regardé le match de l’Algérie contre la Gambie ?
Non, je ne l’ai pas vu. Savez-vous depuis quand je n’ai pas regardé un match de l’équipe nationale ? Depuis la coupe du monde.
Mais vous suivez quand même l’actualité et vous savez sans doute que la sélection nationale va beaucoup mieux, non ?
Après avoir été la cible d’attaques violentes, j’ai décidé de me retirer, et ce qui m’a fait dégoûter encore plus, c’est le comportement, il n’y a pas longtemps, de certains dirigeants du NAHD qui m’ont fait constater, plus que jamais, que le football national est arrivé au pourrissement. Comment voulez-vous, après ce que j’avais vu et entendu, que je puisse regarder le match contre la Gambie, d’autant que je sais que rien n’a changé et que cette situation va encore durer, non pas deux ou trois ans, mais pendant plus longtemps.
Vous ne suivez même pas le championnat ?
Je n’ai vu aucun match, je ne regarde même pas la télévision et je ne lis plus la presse. J’étais tellement déçu que rien ne m’encourage à le faire aujourd’hui, surtout quand je vois à la télévision un ancien gardien de parking, qui lavait des voitures, prendre part à un débat sur le football en donnant son avis et en analysant techniquement la situation. Il passe la nuit à réunir des informations et le lendemain il va à la télévision répéter tout ce qu’il a révisé la veille, comme un perroquet. Ça, c’est le comble. Je vais vous dire comment je vois le football national en ce moment. C’est comme un grand plat de couscous, tout le monde en mange, des Algériens, des étrangers, sans que personne d’entre eux napporte quoi que ce soit. Parfois, il me semble même qu’ils sont en train de dévorer un cadavre.
Ne pensez-vous pas qu’il y a d’autres choses qui sont tout de même positives, qu’il faut encourager, comme les trois victoires successives de l’EN et ce dernier succès réalisé en Gambie ?
Oui, il y a eu une victoire à l’extérieur, mais nous sommes-nous demandés qui sont ceux qui l’ont réalisée ? Sont-ils des joueurs issus de notre championnat ? Doit-on se vanter d’avoir battu la Gambie avec des joueurs formés à l’étranger ? Où est la compétence nationale dans tout cela ? Qu’est-ce que nous avons produit, «nous», dans notre pays ? C’est de cela dont je parle et ce sont les vraies questions qu’il faut se poser.
Avouez que même la génération de 1982 était constituée de joueurs pros, formés à l’étranger, non ?
Il y avait deux joueurs pros dans l’équipe de 82. Et puis, moi, je ne suis pas en train de faire la différence entre pros et locaux, ce sont tous des Algériens. Je parle de la formation. Avons-nous formé des joueurs depuis ? J’aurai été très content s’il y avait un joueur brésilien, né et formé ici et qui jouera pour l’Algérie. J’aurai été très fier, car c’est un produit algérien. Je suis en train de poser un problème qui devrait interpeller tout le monde et je pense que je dis des choses censées, non ? Est-ce que cette équipe nationale reflète l’état de notre football ? Non, bien sûr. Alors, ceux qui sont sur le terrain en Algérie n’ont pas de quoi être fier et ne doivent surtout pas bomber le torse car cette équipe nationale n’est pas le fruit de leur travail. Eux, ils n’ont rien fait, ils ne font que bricoler et manger dans ce grand plat de couscous.
Si on doit vous accorder cela, surtout quand il s’agit de la formation, il faut reconnaître en parallèle qu’Halilhodzic fait du bon travail. Il apporté du nouveau, il a opéré des changements et les résultats ont suivi. Une victoire à l’extérieur, cela fait longtemps qu’on n’en a pas vue quand même…
Ce n’est que la Gambie, sa superficie pourrait égaler celle du port d’Alger.
Avant lui, Cavalli et Saâdane n’y sont pas parvenus…
(Il marque un temps d’arrêt comme s’il ne voulait pas répondre à la question. Il finit par changer de sujet). Prenez par exemple l’Ethiopie, le Brunei ou même l’Afghanistan. Vous aller voir que leur position au classement FIFA est loin derrière, après la 180e place mondiale. Mais s’ils changent de politique, s’ils vont chercher des joueurs nés et formés à l’étranger mais qui ont des origines de leurs pays, leur classement va s’améliorer sans qu’ils fassent quoi que ce soit. J’espère qu’on comprendra cet exemple.
Mais on n’a pas naturalisé des joueurs, ce sont bien des Algériens, non ?
Je vois que vous ne m’avez pas compris. Je ne parle pas de naturaliser les joueurs, encore une fois, je parle de la formation et du produit local qui a été délaissé. Je vais vous donner un autre exemple. Admettons qu’un Algérien vive en Allemagne. Il a étudié et il a été formé là-bas. Il nous ramène des produits allemands pour les exposer ici en Algérie à la foire internationale. Dites moi quelle est la relation avec l’Algérie si ce n’est le fait que l’endroit où est exposée la marchandise se trouve en Algéri ? Nous ne formons plus en dépit des sommes colossales que l’Etat a mis sur la table. Malgré tout l’argent qui a été dépensé, on va chercher des joueurs en Europe. C’est de cela que le ministre a parlé.
Encore une fois, nous sommes d’accord avec vous, mais pourquoi vous ne voulez pas reconnaître qu’Halilhodzic a fait du bon travail à la tête de la sélection ?
Ce n’est pas moi qui dois le juger ou évaluer son travail. Je ne dis pas qu’il ne fait rien, mais moi, je suis ici pour défendre les intérêts de mon pays et l’avenir de nos enfants. Regardez le Maroc. Ils ont ramené un entraîneur étranger qu’ils rémunèrent autour de 240 mille euros. Qu’a-t-il fait ? Rien à part la victoire contre l’Algérie, et on a vu comment le Maroc est sorti les mains vides de la dernière CAN. Pour revenir à cette victoire contre la Gambie, dont vous voulez faire une référence, sachez qu’un entraîneur algérien aurait gagné là-bas avec les mêmes moyens, humains et financiers. Ce n’est que la Gambie, une équipe très moyenne. Il y a un joueur gambien que je connais, il joue en quatrième division en France. Franchement, je ne comprends plus rien. On veut faire de cette victoire un succès historique. C’est la preuve que le football national a touché le fond.
Selon vous, n’importe quel entraîneur algérien aurait gagné en Gambie, c’est cela ?
Non, pas n’importe quel entraîneur, mais il y a ceux qui auraient pu le faire, mais je ne citerai pas de noms.
On vous donne un autre exemple d’entraîneurs étrangers qui réussissent en Algérie. Regardez Alain Geiger, avec peu de moyens et une équipe modeste, il est en tête du championnat et il est en train de faire du bon travail…
Bienvenue à Geiger en Algérie, nous sommes hospitaliers et nous lui souhaitons bon courage. Mais la question qui se pose est pourquoi, nous, nous n’irons pas travailler en Suisse ou ailleurs ? Je vous laisse réfléchir à la question. Et puis, qui est ce Geiger ? L’Entente n’a-t-elle pas gagné des titres avant son arrivée ? Pourquoi on minimise le travail d’un Algérien quand il fait des résultats, et dès qu’il s’agit d’un étranger, on est comme ébahis ? Cela fait quand même quelques années que l’ESS réalise de bons résultats et gagne des titres. La différence, c’est que quand c’est un Algérien qui en est derrière, on fait comme si de rien n’était, mais quand c’est un étranger qui le fait, on en fait un évènement.
Il paraît que vous ne changerez jamais d’avis et que vous resterez toujours aussi pessimiste…
On me dit que je ne changerai jamais le monde seul. Oui, jen conviens, mais ceux qui me disent cela, cette situation les arrange. Moi, je ne rentrerai jamais dans les rangs et je resterai fidèle à mes principes.
Merci de nous avoir accordé cet entretien
Merci à vous.