Grippe porcine, grippe saisonnière où sont les vaccins ?

Grippe porcine, grippe saisonnière où sont les vaccins ?

Les premiers départs aux Lieux Saints pour le rituel du Hadj sont prévus pour le 2 novembre prochain. Selon le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Saïd Barkat, les hadjis, avec les 20 millions de doses de vaccin contre la grippe A/H1N1 (effet de manche ?) que son département comptait importer, seront immunisés contre cette maladie mais avant ils devront d’abord se prémunir contre la grippe saisonnière. Le hic, c’est qu’il faudra un délai d’au moins 21 jours avant l’inoculation du vaccin contre la grippe A/H1N1. Un simple calcul mental indique que ce délai a été largement dépassé.

La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière devait commencer, selon les spécialistes que nous avons interrogés durant notre reportage, à la mi-septembre sans oublier que le vaccin contre la grippe saisonnière n’est pas disponible ou alors existe en petites quantités dans les polycliniques et les centres de santé. Le black-out autour de cette question est déconcertant d’autant plus que les pèlerins risquent leur vie et celle de toute la population.

Pourquoi, jusqu’à présent, aucune information officielle n’a filtré sur ce dossier, ni sur la rupture de stock de médicaments (dont nous avons pu obtenir la liste complète), ni sur les deux vaccins précités. Même les acteurs concernés comme l’UNOP ou le SNAPO n’arrivent pas à avoir un éclairage sur la question. Les autorités concernées ont-elles l’intention d’annuler le pèlerinage à la dernière minute comme l’ont fait nos voisins marocains et tunisiens par mesure de sécurité et pour des raisons de santé publique ? Pour beaucoup de ceux que nous avons rencontrés, ce silence qui s’apparente à du mépris est source d’inquiétude. Pour eux, «l’heure est extrêmement grave».

Les dégâts du crédit documentaire

Une virée dans les pharmacies nous permet de constater que la pénurie de médicaments a commencé il y a déjà deux mois. Le ministère concerné aurait pu intervenir avant que les choses ne se dégradent mais rien n’a été fait jusqu’à présent. Un pharmacien du centre-ville nous dit qu’«il ne faut pas se fier aux déclarations des gouvernants. Nous étions dans une situation de pénurie mais nous sommes depuis quelques jours dans une situation d’absence totale de certains médicaments.

Toutes les catégories de produits sont concernées. Vous avez par exemple les pommades ophtalmiques, les corticoïdes, les sirops antitussifs, des antibiotiques, des antihistaminiques, des hormones, des collutoires, des pilules contraceptives et même certaines vitamines, et la liste est longue». Comme cette année ce vaccin est destiné uniquement aux pèlerins, aux corps constitués et aux malades chroniques, le reste de la population qui constitue la majorité ou ceux qu’on appelle par euphémisme «le petit peuple» en est tout bonnement privé. Le vaccin, selon cette nouvelle mesure, est interdit de vente dans les pharmacies. C’est que nous apprenons auprès de ce pharmacien. Et l’antigrippal ? «Le vaccin de la grippe saisonnière connaît également un manque. Il est vendu dans les cliniques privées et vous savez très bien qui se rend à ce genre d’endroit. Certainement pas un zaouali», ironise- t-il. Et d’enchaîner : «L’année dernière, il était disponible mais cette année on ne sait pas pourquoi le gouvernement ne l’a pas ramené.

J’ai des clients qui en achètent chaque année mais quand je leur dis qu’il n’est pas disponible, ils repartent déçus et croient que c’est nous les pharmaciens qui sommes derrière ce manque pour qu’on augmente le prix. J’ai beau leur expliquer que c’est le gouvernement, ils ne veulent rien entendre». Un client qui assistait à la conversation apparemment désappointé de devoir galérer pour trouver le reste des médicaments qui manque à son ordonnance, intervient : «Qu’est-ce que tu crois, ils veulent qu’on crève ! Quand on doit faire la tournée des pharmacies à la recherche de médicaments pour soigner un simple rhume, c’est que les choses vont mal !». Notre interlocuteur ajoute : «Les médecins ne savent pas quels sont les médicaments qui ne sont pas disponibles. On est obligé de donner l’équivalent et souvent on renvoie le client qui doit se débrouiller». Le Syndicat national algérien des pharmaciens et officines (SNAPO) a à maintes reprises tiré la sonnette d’alarme mais en vain. Il vient d’établir une liste de médicaments qui accusent une rupture de stock depuis le 8 octobre dernier alors que des lots de médicaments sont déstockés à l’approche de la date de leur péremption.

Ce syndicat qui n’a eu de cesse d’alerter l’opinion publique demande à l’Etat de «réguler le marché du médicament» et accuse les importateurs d’être derrière cette situation pour «faire pression sur les autorités afin que soit retiré le projet de taxe de 5 % sur les bénéfices nets réalisés sur les médicaments importés». Selon cette entité, «tous les segments du secteur pharmaceutique pour toucher les réactifs indispensables aux analyses médicales». Nous avons appris également que plusieurs requêtes ont été adressées par l’UNOP (Union nationale des opérateurs de la pharmacie) mais elles sont restées lettre morte. L’UNOP regroupe 34 opérateurs qui représentent, selon le chiffre avancé par leur président, 75 % des parts de marché des médicaments. Ces derniers en ont gros sur le cœur. Ils considèrent les nouvelles mesures contenues dans la loi de finances complémentaire, notamment celle liée au crédit documentaire (CREDOC) qui doit être utilisé dans toutes les opérations de commerce extérieur, comme «une mesure injuste» qui assimile «le médicament à la banane». Hier, nous avons longuement discuté avec Ziad Ammar, le président de l’UNOP, qui nous a reçus dans son bureau à Aïn Benian.

Il ne mâche pas ses mots. Concernant la situation dans laquelle se débat le secteur de la santé et le marché du médicament, il s’est insurgé contre les décisions à l’emporte-pièce du ministère de tutelle «Nous butons contre un mur de silence !» a-t-il résumé. «Aujourd’hui nos entreprises sont asphyxiées financièrement du fait qu’elles sont contraintes de passer par le paiement par le crédit documentaire alors qu’elles bénéficient d’un crédit fournisseur de six mois et plus. Cette mesure va engendrer des ruptures, et d’ici la fin novembre la situation sera dramatique. Ce mode de paiement aura des conséquences terribles qui interviendront dans un mois».

Et d’ajouter : «Des entreprises sont engagées par le cahier des charges du ministère de la Santé à détenir 3 mois de stocks en permanence et aujourd’hui, elles paient 3 mois avant de les avoir. C’est irréaliste, sachant que les formalités bancaires, douanières et autres prennent un temps fou. Autant mettre la clé sous le paillasson». Et la solution ? «Nous avons, a soutenu notre interlocuteur, adressé plusieurs requêtes aux ministres de la Santé et des Finances, et récemment à Ouyahia pour leur proposer la remise documentaire, un mode de paiement qui garantit la traçabilité bancaire mais qui n’oblige pas les entreprises à payer le fournisseur à l’avance ».

Pour lui «la loi de finances complémentaire est une loi antinomique avec la protection de la production nationale. Même les organismes de santé comme l’Institut Pasteur ou encore la Pharmacie centrale ont des difficultés, ils n’ont pas d’argent !». A ce propos, le directeur général de l’Institut Pasteur Abadi Mohamed Cherif a indiqué il y a quelques jours que «deux vaccins ne sont pas disponibles, le Polio et le Tétra B. Si pour le Polio 2,5 millions de doses sont en cours de contrôle, pour le Tétra B, le bon de commande est depuis longtemps chez le fournisseur du vaccin mais la banque, avec laquelle l’Institut a l’habitude de travailler, a demandé un dossier volumineux pour les lettres de crédit». S’agissant du vaccin de la grippe saisonnière, le président de l’UNOP s’interroge sur la décision du gouvernement de limiter les doses importées.

Il ne comprend pas les motivations d’une telle mesure qui exclut un large pan de la population. «Si c’est par souci d’économie pour alléger le poids des importations, je dirai que ce sont des économies de bouts de chandelle. Au contraire, les caisses de l’Etat et notamment la CNAS vont subir une saignée si cette grippe qui s’annonce sévère devient endémique.

La grippe saisonnière tue plus que la grippe porcine !». Hier, nos tentatives d’obtenir des éclaircissements auprès du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière ont toutes été vaines. La personne que nous avons eu au téléphone a pris nos coordonnées, nous a assuré avec amabilité que nous serions contactés pour avoir les réponses à notre question qui est très simple : «Avez-vous importé les 20 millions de doses de vaccin contre la grippe A/H1N1 ?» On imagine bien que les responsables ont préféré esquiver notre question car ils n’ont pas de réponse. Selon un producteur de médicaments, «Said Barkat dit avoir passé commande de 20 millions de doses mais il ne dit pas auprès de quel pays l’Algérie a fait cette commande.

Il faut savoir que tous les laboratoires réunis ne peuvent produire que 3,5 milliards de doses. Faites le calcul sur la population mondiale qui dépasse de plus de la moitié cette quantité de vaccins. La France qui le fabrique ne commencera la vaccination que la semaine prochaine. Il faut attendre que ces pays fabricants comme la Chine et l’Allemagne et bien sûr la France vaccinent leurs populations avant de satisfaire les commandes des autres pays. Nos hadjis n’ont aucune chance d’être vaccinés !».