La question n’est pas de savoir si l’humanité sera à nouveau confrontée à une pandémie grippale, mais quand elle le sera, prévenaient régulièrement les épidémiologistes. Ce temps est-il venu ? Ces mêmes spécialistes attendent avec anxiété la réponse. Vendredi 24 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est mise en état d’alerte et a multiplié les réunions de crise : plusieurs foyers d’infection humaine par un virus de grippe jusqu’ici inconnu – d’apparence porcine – ont en effet été décelés ces derniers jours aux Etats-Unis et au Mexique, faisant dans ce pays plusieurs dizaines de morts.
Pour l’heure, la situation semble sous contrôle aux Etats-Unis, où huit cas d’infection grippale porcine ont été recensés depuis la fin mars – six en Californie, dans la région de San Diego et deux au Texas, près de San Antonio. Le dernier cas a été signalé vendredi 24 avril par le Centre de contrôle des maladies (CDC) d’Atlanta, qui précise que les patients n’ont été que modérément affectés par la maladie, même si l’un d’eux a dû être hospitalisé.
Il en va tout autrement au Mexique, où plus d’un millier de malades ont été recensés et où vingt décès sont formellement attribués au nouveau virus H1N1, suspecté d’avoir tué soixante-huit personnes à ce jour. Des mesures d’urgence ont déjà été prises à Mexico, où les cours scolaires et universitaires ont été annulés vendredi, sans que les autorités sachent encore combien de temps elles prolongeront ces interdictions, voire s’il conviendra de confiner à domicile l’ensemble de la population. En France, le ministère de la santé a multiplié les réunions vendredi, et réfléchissait aux mesures à préconiser, notamment vis-à-vis des touristes revenant du Mexique.
L’agent infectieux, un virus influenza A de type H1N1, déroute les spécialistes. Ce virus porcin, très contagieux mais peu dangereux pour l’animal, n’a que rarement été identifié chez l’homme, pour qui il n’a été jusqu’ici qu’exceptionnellement mortel. Le CDC n’a pour l’heure pas trouvé de lien évident entre les personnes récemment infectées aux Etats-Unis et des élevages de porcs. Il est par ailleurs acquis que le virus ne se transmet pas par ingestion de la viande de l’animal.
Plus énigmatique encore : les premières analyses montrent que la souche qui frappe à Mexico est identique à celle trouvée en Californie. Comment expliquer qu’elle soit mortelle au sud du Rio Bravo et curable au nord ? « On l’ignore encore », avouait vendredi une porte-parole de l’OMS, qui hésitait à déclarer l’état de pandémie. Elle doit répondre à trois conditions : l’apparition d’un nouveau virus contre lequel les humains sont peu ou pas immunisés ; la preuve que le virus peut infecter les humains et causer une maladie ; celle qu’il est efficacement transmis d’un humain à un autre et se propage.
H1N1 semble remplir ces trois critères. Il l’a déjà fait par le passé : le virus de la grippe espagnole qui, en 1918, avait fait entre 50 et 100 millions de morts, porte lui aussi cet acronyme. Mais pour Bernard Vallat, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), il convient de se garder de conclusions hâtives : « Le virus de la grippe comporte huit gènes, ce qui fait 164 combinaisons possibles. Il faut affiner les analyses pour préciser la structure de ce nouveau virus. »
COMBINAISON INÉDITE
Le CDC a déjà indiqué que la souche californienne comportait des fragments génétiques de virus grippaux humains, aviaires et porcins. Une combinaison inédite. Mais qui pourrait avoir été favorisée par son origine porcine : « Le porc est un des rares animaux pouvant héberger des virus grippaux d’origine diverses, indique M. Vallat. Cela peut autoriser des recombinaisons virales qui pourraient s’attaquer à des populations naïves. »
Ce nouvel H1N1 résiste aux antiviraux amantadine et rimantadine, mais est sensible à des molécules plus récentes, l’oseltamivir et le zanamivir, a constaté le CDC. Serait-il possible de lutter grâce à un vaccin ? « On pourrait en fabriquer rapidement, mais cela obérerait la capacité de production des vaccins contre la grippe saisonnière, qui tue entre 500 000 et un million de personnes par an dans le monde, constate M. Vallat. Le choix risque d’être cornélien. »
D’autant que l’un des rares cas d’infection mortelle humaine par la grippe porcine ne prêche pas pour une réponse vaccinale massive : en 1976, à Fort Dix (New Jersey), un H1N1 porcin avait tué un soldat. On pensait alors que le virus de 1918 était lui aussi d’origine porcine. Le président Gérald Ford avait alors ordonné la vaccination de l’ensemble de la population. Le virus devait mystérieusement disparaître, mais le vaccin fut suspecté d’avoir causé des cas de maladie de Guillain-Barré, parfois mortels.
Si la pandémie se déclare, la Maison Blanche risque, comme le reste du monde, d’être confrontée aux mêmes dilemmes. En 2005, face au risque d’humanisation de la grippe aviaire (H5N1), un sénateur démocrate américain déplorait, dans une tribune au New York Times, les efforts trop « modestes » de l’administration Bush. « Nous devons faire face à cette réalité, écrivait-il. Ces tueurs exotiques ne sont pas des problèmes sanitaires isolés à l’autre bout du monde, mais des menaces directes et immédiates pour la sécurité et la prospérité sur notre sol. » Son nom ? Barack Obama.