Grève, marche et protestation des enseignants: Immersion à l’université Mouloud Mammeri

Grève, marche et protestation des enseignants: Immersion à l’université Mouloud Mammeri

L’Expression a plongé dans le milieu des étudiants pour sonder et mettre des mots sur les maux qui rongent l’université Mouloud Mammeri.

L’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou commencera la semaine dans la zone de turbulences. Plusieurs départements seront paralysés par un mouvement de grève des étudiants, qui commence à s’éterniser alors que certaines facultés n’ont pas encore entamé l’année. Parallèlement, les enseignants menacent de reprendre la protesta si leurs problèmes ne trouvent pas de solutions.

En fait, les grèves et les actions de protestation n’ont jamais cessé à l’université de Tizi Ouzou. Les étudiants eux-mêmes témoignent que jamais cette institution n’a connu une semaine sans qu’une seule de ses facultés ne connaisse une manifestation. Ces dernières années, les grèves ne se limitent plus aux étudiants mais aussi aux enseignants et aux travailleurs.

Face à cette situation, la colère ne fait que grandir et les relations deviennent de plus en plus conflictuelles entre toutes les parties.

LG Algérie

L’Expression a, dans ce climat de tension, plongé dans le milieu des étudiants pour sonder et mettre les mots sur les maux qui rongent l’université Mouloud Mammeri. Nous avons surtout creusé dans le fond pour permettre aux étudiants sans porte-voix et qui se disent non représentés de dire ce qu’ils pensent réellement de l’université, de leur avenir et de leurs espoirs, souvent déçus. Ils sont très nombreux, largement majoritaires parmi les 42.000 qui fréquentent les amphis de l’Ummto. Ce qu’ils pensent n’a jamais été exprimé par aucune partie. Leurs intérêts sont complètement hors des joutes oratoires souvent politiciennes de la majorité des représentants de leurs pairs. Ecoutons-les.

Assis devant l’entrée principale du campus Hasnaoua 1, un groupe d’étudiants s’est spontanément joint à notre conversation. «Nous ne sommes plus fiers de nous présenter comme des étudiants. Notre image dans la société en a pris un sérieux coup» regrette notre premier interlocuteur. «Comme vous voyez, nous sommes réduits à quémander un sandwich. Des grèves pour la bouffe. C’est vraiment grave», ajoute son camarade.

En fait, les étudiants de l’université de Tizi Ouzou, en grande majorité, s’estiment non représentés politiquement. «C’est archi-faux de croire que les étudiants de l’université de Tizi Ouzou se reconnaissent dans les partis et les mouvements politiques. Regardez le nombre d’étudiants qui répondent aux appels aux marches de ces derniers. Ils n’arrivent même pas à mobiliser un millier sur les 42.000. Et si ces partis appellent cela, mobiliser, alors ils se trompent», tonne un étudiant qui en a ras-le-bol des grèves.

«Personne ne cherche nos intérêts. Ils courent tous derrière les leurs, y compris nos enseignants et l’administration. Les étudiants sont seuls face aux difficultés», ajoute-t-il.

En quête d’un rêve

«Nos gouvernants doivent donner un rêve aux Algériens. C’est la seule façon de les motiver. Un défi, un grand défi à réaliser. Nous voulons un rêve et un défi pour nous mettre à l’épreuve et faire voir au monde ce dont les Algériens sont capables», affirme avec fougue Samir qui est vite ramené à la réalité par son camarade. «Un rêve avec des étudiants nourris aux pâtes et spaghettis tous les jours? T’es fou.»

En fait, des discussions avec les étudiants, il se dégage des idées que l’on croyait parties à jamais de l’Université algérienne. Les étudiants d’aujourd’hui, même si moins enclins à la chose politique que les «anciens», portent des idées nouvelles et des idéaux grandioses.

Pour peu que des espaces d’expression leur soient donnés. «Les partis politiques ont fait leur temps à l’université de Tizi Ouzou. Les gens considèrent l’éloignement des étudiants de ces structures désuètes comme un retard par rapport aux anciens mais c’est archi-faux. Au contraire, nous sommes en avance sur les partis et la société en général qui continue à les écouter.

Lors de notre virée à l’université, nous avons été accrochés par des discussions hautement intellectuelles des étudiants qui paraissaient lassés par les joutes oratoires politiciennes.

«Vous savez, vous les journalistes, il faut que vous fassiez aussi l’effort d’élever le niveau. L’université n’est pas uniquement une scène politique, un resto et des syndicats bidon. L’étudiant, c’est aussi des idées nouvelles, de l’exploration de l’inconnu dans tous les domaines», parle doctement Amar, un étudiant en fin de cycle et qui se fait vite contredire par son camarade. «Non, à Tizi Ouzou, l’étudiant, c’est la bouffe.

L’étudiant à Tizi, c’est la course au visa. Vous savez que la bourse que l’Algérie nous donne sert pour beaucoup à payer les frais de visa?».

Beaucoup d’étudiant on tenu à participer à la discussion. Toutefois, l’essentiel de leurs discussions corrobore l’idée que l’étudiant est conscient de l’ingratitude de la communauté scientifique à l’égard de leur pays. «Oui, c’est dommage de partir soigner les parents des Européens après des études payées par le sang de nos martyrs et la sueur de nos propres parents. Nous en sommes conscients. Mais c’est impossible d’évoluer dans notre pays. Les conditions ne s’y prêtent pas» Se désole Samir. «Ironique, un autre étudiant confirme les dires de son camarade. «Moi, mon père dit que nous ne méritons pas les pâtes qu’on nous donne au resto. Il dit que nous sommes des ingrats à qui l’Algérie ne doit rien donner même pas des sandwichs. Il se met en colère contre moi rien qu’en évoquant ce chapitre à la maison.»

Au-delà des clichés

En effet, il devient clair aujourd’hui que les étudiants veulent régler leurs problèmes immédiats mais il apparaît en filigrane qu’au-delà, ils cherchent à ouvrir une nouvelle ère. L’étudiant aujourd’hui cherche à se construire un avenir mais aussi une nouvelle image loin des clichés qui lui collent depuis quelques décennies.

Il y a beaucoup de problèmes à l’université.

La panoplie va des conditions d’hébergement à la pédagogie mais il y a aussi une volonté de lancer de vrais débats. Les étudiants veulent ouvrir une nouvelle ère. «Moi, personnellement, j’en ai marre que l’on parle à ma place. Personne ne me représente. Je ne me retrouve avec aucun parti ni organisation ni association. Ils n’expriment qu’une partie de mes espoirs», estime un étudiant rencontré devant le campus de Bastos.

«Je peux défier tous les partis politiques s’ils peuvent réunir plusieurs milliers d’étudiants. C’est impossible. Et ce n’est pas parce que nous ne sommes plus à la page mais c’est plutôt eux qui ne le sont plus» Constate un autre.

Enfin, de cette virée, un constat se dégage. Personne ni aucune organisation de quelque nature qu’elle soit ne peut prétendre être représentative des étudiants. Ces derniers se détournent de tout non pas parce qu’ils sont en retard par rapport à l’actualité mais parce qu’ils espèrent de nouvelles idées et de nouvelles pratiques.

Aujourd’hui, la société comme les pouvoirs publics doivent changer de perception de l’étudiant. Aller à sa rencontre plutôt que de parler à sa place serait plus judicieux. Comme ils ont été les initiateurs des mouvements qui ont changé le destin du peuple algérien colonisé, ils ont été à l’avant-garde de son émancipation démocratique et ils seront sans aucun doute le fer de lance du développement de l’Algérie.

Pour peu, comme ils le souhaitent eux-mêmes, qu’on leur donne un rêve et un défi grandiose qui changera l’histoire… de l’avenir de l’Algérie.