Grande oubliée de la société: On l’appelle femme au foyer

Grande oubliée de la société: On l’appelle femme au foyer

Elle se lève avant tout le monde et se couche après tout le monde. Elle s’occupe de son époux et des ses enfants sans relâche.

Parmi la multitude des tâches ménagères, elle trouve le temps pour tricoter, coudre et faire des course pour approvisionner le foyer. Bref, elle est partout et sa journée dure plus de 14 heures. Elle, c’est la femme au foyer. Celle que tout le monde oublie en cette journée dédiée à la femme. Mais elle était là comme toutes les autres. Elle s’est faite belle comme ce que les autres femmes cadres, fonctionnaires et travailleuses font chaque jour. Elle a déambulé dans la ville malgré le mauvais temps. Elle a visité des expositions et écouté des conférences qui ne parlent pas d’elle.

Cela ne l’a pas pour autant dérangé. Nous les avons rencontrées hier. Entre celles qui n’ont même pas remarqué cet oubli et celles qui se sont montrées mécontentes, c’est toute l’indifférence à l’égard de la femme au foyer, qui singularise notre société. Elle c’est Mme Bouadjadja Nassima. Elle vit à El Kseur. Accompagnée de ses soeurs et sa mère, elle s’est rendue à la Maison de la culture Taos Amrouche. Un endroit très prisé par la gent féminine. Une mine grise, elle gesticule comme pour montrer sa déception.

«Toutes les catégories de femmes en ont eu pour leur compte sauf nous», s’écrie-t-elle publiquement. «Suis-je une femme? Ai-je le droit de cité? Ma condition n’intéresse plus personne? Autant de questions qui sortent de sa bouche comme une sorte de vengeance sur son sort. Nassima est femme au foyer. Sa déception trouve sa raison d’être dans les programmes initiés par-ci et par-là à l’occasion de la Journée internationale de la femme. «Ni conférence ni exposition, encore moins un film qui parlerait de nous!», s’exclame-t-elle et pourtant «notre rôle est plus qu’important comparé à ceux de celles qui font l’objet de débats», ajoute-t-elle.

«Faut-il être politicien ou militante pour faire parler de soi?» poursuit-elle. «Dans la vie nous apportons plus que la femme active, notre combat est quotidien et se fait sur tous les plans, nous sommes des femmes de ménages, nous éduquons nos enfants, nous leur préparons à manger, nous les aidons à réviser, nous nous occupons de la gestion du foyer. Nous faisons plusieurs métiers à la fois et s’il y a un hommage à rendre il serait plutôt pour nous», dit-elle avant de se retirer. Et les langues se délient enfin. Une quinquagénaire s’approche de nous pour nous parler. Elle aussi est une femme au foyer.

Elle est célibataire et vit chez ses parents. Sans niveau scolaire et sans qualification professionnelle, elle dépend totalement de sa famille, contrainte à supporter au quotidien les sautes d’humeur du frère, de la belle-soeur et des parents. Avec l’âge, elle a réussi à arracher le droit de sortir toute seule. Mais quel droit lorsqu’elle est obligée de «quémander» chez le frère ou la soeur pour pouvoir s’offrir un déplacement. «Jusqu’à l’âge de 40 ans, je ne sortais que pour rendre visite à la famille ou voir un médecin et là encore je me faisais accompagner», se plaint-elle avec une pointe d’amertume.

Cette femme voilée au regard triste renchérit. «Nous subissons le même sort», dit-elle avant de s’étaler sur son calvaire quotidien fait de gestes et de maux tous aussi empreints d’amertume les uns que les autres. Mariée, elle a été vite contrainte à se voiler par un mari qui ne se rappelle d’elle que lorsqu’il a besoin de quelque chose. Avec son mari, elle vit avec la famille composée des parents, frères, soeurs et belles-soeurs; constamment obligée de supporter les sautes d’humeur de sa mère, la violence de son frère et le regard dur de toute la société qui considère ces femmes comme des «moins que rien». Comme elles, elles sont nombreuses à souffrir en silence et regrettent toutes d’avoir quitté tôt l’école. Si j’avais poursuivi mes études, aujourd’hui je serais dans mon emploi et donc moins ignorée.

«De plus, je serais respectée aussi bien par les parents que par le mari parce que je gagnerais ma vie», fait-elle remarquer comme pour signifier toute l’emprise du matérialisme ordinaire qui mine notre société. La femme au foyer qui n’a pas cette chance se voit aujourd’hui démunie, dévalorisée par les siens et toute la société. Dur, dur le quotidien de ces femmes dont le rôle familial et social n’est pas à démontrer. Ainsi, Mme Bouadjadja prépare la création d’une association qui prendrait en charge cette catégorie de femmes et lui faire recouvrir son droit de vivre dignement. Un cadre organisationnel qui revendiquera la revalorisation de la pension «femme au foyer» figurant sur la fiche de paye de son époux, mais qui ne lui parvient pas parfois et pourquoi pas un salaire comme cela se fait dans les sociétés qui se respectent? Célibataires ou mariées, la dépendance de la femme au foyer est criante dans notre société.