Google et le droit à l’oubli : la presse craint la censure

Google et le droit à l’oubli : la presse craint la censure

Le groupe américain a commencé à retirer de ses résultats certains liens d’articles de presse, au nom du «droit à l’oubli». Il a déjà reçu près de 70.000 demandes en Europe.

Les médias britanniques grondent. The Guardian et la BBC ont découvert avec stupeur que plusieurs articles publiés sur leurs sites Internet ont disparu de Google. Ils ont été avertis par courriel que ces articles ne figureraient plus dans les pages de résultats des différentes déclinaisons européennes de son moteur de recherche. Une conséquence inattendue de la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a consacré le «droit à l’oubli» sur Internet et que Google doit désormais respecter.

Depuis un mois, n’importe quel internaute peut demander à Google de ne plus faire apparaître un contenu qu’il juge problématique lorsqu’on tape son nom dans le moteur de recherche. Sa requête doit être argumentée et expliquer en quoi les résultats affichés sont «obsolètes, non pertinents ou inappropriés». En un mois, Google a reçu plus de 70.000 demandes de retrait au niveau européen dont 14.000 en France, qu’il traite au cas par cas. Un travail délicat: «Nous devons trouver un juste équilibre entre les droits d’un individu à contrôler ses données personnelles et le droit du public à accéder à ces informations et à les diffuser»,explique la société, qui estime «ne pas être la mieux placée pour statuer». Les premiers retraits ont commencé le 27 juin.

«Boîte de Pandore»

Google n’a jamais caché sa perplexité face à l’arrêt de la Cour, dont «l’impact [le] préoccupe». S’il est compréhensible que certains internautes souhaitent faire oublier leurs erreurs de jeunesse, d’autres individus pourraient être tentés d’utiliser la législation pour enterrer certaines affaires gênantes. Parmi les articles déréférencés par Google au Royaume-Uni figurent ainsi des papiers sur un arbitre écossais ayant reconnu avoir menti pour justifier un penalty, ou sur l’ancien patron de Merrill Lynch, Stanley O’Neal, qui aurait fait perdre à sa banque plusieurs milliards de dollars à l’aube de la crise des subprimes.

Rien ne dit pourtant que ces personnes ont demandé le retrait de ces articles: Google ne communique ni le nom du plaignant, ni la raison de sa plainte. «La boîte de Pandore a été ouverte», s’inquiète Marc Rees, rédacteur en chef de NextInpact. Ce site spécialisé dans l’actualité high-tech est le premier média français à avoir reçu de Google une notification de déréférencement d’un de ses articles. «Nous ne savons pas qui a demandé le retrait ni pourquoi. Et nous n’avons aucun moyen de nous défendre.» NextInpact estime qu’il n’est pas du ressort de Google de juger si un article doit disparaître de ses moteurs et va se rapprocher de la Cnil «pour avoir des explications solides».

La presse britannique n’entend pas non plus se laisser faire. Le quotidien The Daily Mail va publier régulièrement la liste des articles déréférencés afin que ces derniers restent facilement accessibles. «Et si, dès qu’un organe de presse reçoit une notification de Google, celui-ci tweetait l’article qui vient de disparaître?» suggèreThe Guardian. Le quotidien estime que l’application de l’arrêt de la Cour a le potentiel de menacer la liberté de la presse. «Les éditeurs de presse peuvent et doivent contre-attaquer.» Face à cette fronde, Google a déjà fait en partie marche arrière: d’après l’agence de presse Reuters , le groupe américain aurait déjà rétabli les liens de certains articles du Guardian.