Il était l’homme des tirages aux sorts, le voici désormais président de la Fifa, après avoir été au coude-à-coude avec le cheikh Salman, patron bahreïni de la Confédération asiatique.
Le candidat de l’Europe, l’Italo-Suisse Gianni Infantino, était en effet donné gagnant mercredi 25 février selon un décompte des intentions de vote réalisé par l’AFP auprès des fédérations appelées à voter ce vendredi. L’ex-bras droit de Platini a d’ailleurs reçu le soutien (mesuré) de son mentor dans les colonnes de L’Equipe. « On a travaillé neuf ans ensemble. C’est un bosseur. J’ai confiance en lui », a déclaré l’ex-numéro 10 des Bleus, désormais disqualifié de cette compétition.
Et lorsque l’on se penche sur le profil de cet avocat de profession devenu secrétaire général de l’UEFA, c’est l’image d’un homme intègre qui revient systématiquement. Loin des scandales de corruption qui ont marqué l’ère Blatter (et qui éclaboussent aujourd’hui Platini), Gianni Infantino n’a pas de casserole et n’a semble-t-il jamais trempé dans des scandales comme la Fifa sait les fabriquer. Et pour cause, il n’a jamais travaillé pour cette instance. Un avantage quand on veut représenter le changement, mais qui peut s’avérer problématique au moment de se faire élire par une communauté aux méthodes -disons- discutables.
Cinq candidats, zéro débat
Depuis le scandale qui a ébranlé la Fifa et qui a considérablement rabattu les cartes de l’élection, difficile de dire qui incarne quoi en guise de programme. « C’est simple, il y a cinq candidats mais zéro débat », résume auprès du HuffPost Paul Cometto, analyste chez News Tank Football soulignant la dimension « particulière » de cette élection dont l’enjeu repose surtout sur les problèmes d’image que véhiculent les scandales de corruption. « Leurs programmes ne permettent pas de les départager eu égard à leur caractère trop général. L’élection du 26 février se limitera donc à choisir entre le président de la puissante Confédération Asiatique de Football et le secrétaire général de l’UEFA », expliquait pour sa part dans une tribune sur Le HuffPost l’avocat spécialiste du sport Thierry Granturco, à propos des deux favoris, le Sheikh Salman et Gianni Infantino.
Interrogé sur cette question, ce dernier détaille : « Ils font des grandes déclarations d’intention. Mais quand on essaie de les décliner en programmes d’action, on ne trouve rien. Ce qui laisse donc la place derrière à tous les compromis ». Ce faisant, profil clean ou non, c’est davantage ce qu’on va promettre entre quatre yeux qui va faire la différence qu’un réel programme qui fera office de base de travail pour les années à venir. En atteste la candidature de l’autre Français, Jérôme Champagne, au programme le plus abouti et aux intentions de vote les plus basses. Donc malgré toutes les bonnes intentions du monde, il paraît difficile que l’armure du chevalier blanc puisse ensuite résister à l’exercice du pouvoir.
Peut-on rester clean dans le siège de Sepp Blatter ?
Sur ce point justement, Gianni Infantino a avec lui le fait d’afficher « un profil clean ». « Autre avantage », indique Paul Cometto, « il vient d’une confédération où il n’y a pas ‘trop’ d’affaires de corruption, la moins problématique de ce point de vue là », note-t-il. « Je crois que la Fifa a besoin d’une élection démocratique avec un processus transparent », a d’ailleurs déclaré lundi le chauve le plus connu de l’UEFA. Problème : arriver avec des envies de transparence n’est peut-être la meilleure idée quand on souhaite s’asseoir dans le siège que Sepp Blatter a occupé pendant 17 ans. C’est en tout cas ce qu’explique au HuffPost Thierry Granturco : « On peut arriver clean comme président de la Fifa, mais on peut difficilement en sortir clean. « , déplore-t-il.
Le problème n’est pas tant d’être élu et d’arriver en homme intègre, mais bien l’exercice du pouvoir, la confrontation avec un système opaque. « Car Fifa ou pas, il se passe des choses en Asie ou en Afrique sur lesquelles Gianni Infantino ne pourrait avoir que peu de prises », poursuit l’avocat. « C’est d’ailleurs le problème auquel a été confronté Sepp Blatter », renchérit-il citant en exemple le football africain, sujet à une importante ingérence politique alors que les règles de la Fifa interdisent (en théorie) ces pratiques. « Tout aussi clean qu’il soit, l’influence qu’aura Gianni Infantino sur ces fédérations sera quasi nulle », résume Thierry Granturco. D’autant qu’être le candidat de la transparence pourrait, au final, s’avérer contre-productif pour le candidat européen.
Les coutumes de la Fifa favorisaient Sheikh Salman
Interrogé sur la position de favori de Gianni Infantino, Paul Cometto restait sceptique : « c’est très serré et il y a des enjeux politiques et sportifs qui sont toujours en négociation », tempère-t-il. Idem du côté de Thierry Granturco qui met une pièce sur le candidat de l’Asie, Sheikh Salman. « Le continent qui va faire la différence c’est l’Afrique, mais ceux qui parlent ne sont pas aujourd’hui ceux qui vont faire l’élection », détaille l’avocat précisant qu’il y a toujours un décalage entre ce que l’on dit dans la presse « pour faire bien », et les « réalités de l’isoloir » (qui ne sera pas transparent comme certains l’avaient demandé).
Selon le spécialiste, l’Afrique et l’Asie se rangeront derrière le Sheikh Salman malgréson profil controversé. Car au final, il paraît impossible que le mode de gouvernance très strict (et qui plus est transparent) de Gianni Infantino plaise à toutes les fédérations africaines et asiatiques, dont beaucoup sont soupçonnées de corruption. Et quand bien même le secrétaire général de l’UEFA obtiendrait les rennes du football mondial, il lui serait difficile de ne pas déroger à ses principes d’intégrité. « C’est maintenant ou jamais que la Fifa doit s’engager dans le changement et ramener le football au centre », a indiqué Gianni Infantino. Les votants, malgré leur attachement à leurs us et coutumes, l’ont visiblement entendu.