Ghardaïa retient son souffle

Ghardaïa retient son souffle

Scènes de destruction et de désolation. La ville de Ghardaïa est encore sous le choc, après les affrontements qui ont eu lieu à la mi-mars et qui ont causé la mort de trois personnes, les blessures d’une centaine d’autres, sans compter les dégâts matériels considérables.

Le calme précaire qui s’installe petit à petit dans cette ville du Sahara (à 600 kilomètres au sud d’Alger), a du mal à cacher les séquelles d’une semaine d’une rare violence.

Les communautés mozabite et ibadite se rejettent la balle quant à la responsabilité de ce sursaut de violence. Les troupes algériennes maintiennent désormais la paix, et les habitants circulent dans une ville jonchée de décombres.

Et c’est cette possibilité de voir la violence reprendre à tout moment qui est le plus à craindre.

Cette ville de la vallée du Mzab, longtemps décrite comme un havre de tolérance et de coexistence pacifique, est secouée par les violences depuis le mois de décembre dernier. Plus de treize personnes ont trouvé la mort au cours de ces combats sporadiques.

Mais les derniers affrontements à Ghardaïa sont les plus graves, dans la mémoire de tous.

Ghardaïa n’avait jamais connu un tel degré de destruction. Jusqu’à présent, le conflit se limitait à des zones voisines comme Berriane et Guerrara. Mais ces derniers mois, il s’est infiltré dans la ville, pénétrant directement dans les quartiers mixtes.

Le Premier ministre algérien Youcef Yousfi et le ministre de l’Intérieur Tayeb Belaiz se sont rendus à Ghardaïa le samedi 15 mars, quelques heures après les meurtres. La semaine précédente, on dénombrait au moins 89 blessés, dont 29 dans les rangs des forces de l’ordre.

Yousfi est venu à Ghardaïa, dans une tentative de calmer les esprits. Il a reçu séparément les représentants des deux communautés et s’est contenté de promettre des mesures de sécurité renforcées.

Les précédentes éruptions de violence dans cette ville de 90 000 habitants ont entraîné la même réponse. Les forces de police anti-émeute algériennes sont arrivées à Ghardaïa le 20 janvier, et des milliers d’éléments supplémentaires ont été déployés à la suite de la visite du ministre.

Les écoles et les commerces ont été fermés à la suite des derniers affrontements. Plus de trente locaux professionnels et des résidences ont été pillés ou incendiés.

Les traces de destruction sont visibles un peu partout, mais aussi les graffitis communautaristes.

La place du marché, jadis lieu de rencontre des deux communautés, résume à elle seule la gravité de la situation : tout est brûlé, tout est saccagé.

Un général-major de la gendarmerie, Abdelhafid Abdaoui, s’y est rendu la semaine dernière, a discuté avec les commerçants des deux communautés et a tenté de les rassurer.

Les commerçants se plaignent des pertes subies et demandent plus de sécurité, mais chaque partie campe sur ses positions, et chaque partie accuse l’autre.

Les forces anti-émeute continuent d’affluer sur la ville et se positionnent dans les zones tampons entre les deux communautés, et particulièrement dans les quartiers mixtes. L’hélicoptère de la gendarmerie survole la ville jusqu’à des heures tardives de la nuit, tandis que les jeunes, des deux communautés, font le guet à l’entrée de leurs quartiers respectifs.

Un climat de psychose s’est installé dans la vallée du Mzab et tout porte à croire que le retour à la normale devrait encore attendre. D’un côté, comme de l’autre, on se dit « victime ».

Les Mozabites sont un peuple amazigh avec leurs propres traditions, croyances, rites et mode de vie. Ils pratiquent le rite ibadite de l’Islam, selon lequel les manières de prier, de vénérer Dieu et de désigner les mosquées diffèrent de celles pratiquées par la majorité des Algériens, qui sont Malékites.

Slimane Bakir, représentant de la communauté mozabite, estime que les raisons de cette flambée de violence sont d’ordre historique, social, économique, culturel et politique.

« Il y a eu des événements annonciateurs directs de cette violence extrême. Depuis quelques années , il y a eu un ensemble d’incidents entre les deux communautés, mais ils ont été très limités. Au lieu d’assurer la prise en charge de ces incidents, qui tournent particulièrement autour du foncier, l’Etat a été absent », dit-il.

« Les notables des deux communautés étaient, eux aussi, absents. Cette non-prise en charge explique cette accumulation qui fait qu’à un certain moment, la marmite explose », explique le responsable mozabite.

Pour lui, les incidents de décembre dernier, qui ont coûté la vie à quatre personnes, auraient dû inciter le gouvernement à agir pour contenir la situation. Il estime que la décision prise par les autorités d’alléger le dispositif de sécurité a encouragé la reprise des violences.

L’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal avait alors minimisé l’importance de la crise. « Nous n’avons aucune raison de penser qu’il existe un problème entre Malékites et Ibadites. Il s’agit uniquement d’altercations entre jeunes gens », avait déclaré Sellal le 22 janvier.

Mais pour le notable mozabite, le problème est plus complexe.

« En Algérie, nous n’avons pas cette culture de la différence, ce qui a créé des comportements de rejet », dit Bakir. « Il faut que les deux communautés s’acceptent mutuellement. Il faut que le droit à la différence soit accepté. »

Des extrémistes religieux à l’origine de ces violences ?

Du côté arabe, Bouamer Bouhafs, président du conseil de la fondation des Châambis, estime que les raisons se trouvent ailleurs : « Il faut demander aux gens qui sont à l’origine de tout cela. Nous avons été victimes d’une agression organisée. »

« Ceux qui traitent les Ibadites de Kharidjites sont une minorité (salafiste) », déclare-t-il. « Par le passé, des échauffourées ont eu lieu, mais elles étaient vite circonscrites. Mais cette fois-ci, c’est prémédité. Je n’accuse pas tous les Ibadites, mais un groupe. Ce même groupe, il y a deux ans, s’était réuni au siège de la wilaya, où il avait hissé le drapeau des révolutionnaires libyens ».

Et de poursuivre : « S’il n’y avait pas ces groupes extrémistes, il n’y aurait pas de problème. »

Il y a des « organisations », ajoute-t-il, « qui veulent appliquer un agenda extérieur ».

« Si on n’arrête pas ces commanditaires, et ceux qui dirigent ces groupes, on ne règlera pas le problème de Ghardaïa », relève-t-il.

« Il faut dénoncer les coupables, s’attaquer aux groupes de déstabilisation », dit-il. « Comment voulez-vous que les notables mozabites et malékites s’assoient autour d’une table, alors qu’un groupe d’extrémistes continue de s’activer ? »

Bouhafs n’est pas le seul à attribuer la responsabilité des troubles survenus à Ghardaïa à des « influences venues de l’extérieur ».

S’exprimant lors d’un meeting électoral à Skikda, le 25 mars, la secrétaire générale du Parti des travailleurs et candidate à l’élection présidentielle Louisa Hanoune a également évoqué la possible implication d’une partie extérieure.

« Nous sommes convaincus qu’une conspiration a été mise en œuvre pour déstabiliser l’Algérie. Un clan tenu par une main étrangère tente de monter les Ibadites et les Malékites les uns contre les autres. Ils veulent nous voir revenir aux années 90, quand la société algérienne était sous la menace de l’extermination au nom de la religion », avait indiqué Hanoune.

Alors que la campagne électorale pour l’élection présidentielle bat son plein, les candidats hésitent à se rendre à Ghardaïa. Moussa Touati, président du Front national algérien, a dû renoncer à son meeting prévu dans la ville.

« Ce n’est pas possible de tenir un meeting électoral, alors que la ville est encore sous le choc. Il faut arriver à trouver un moyen pour dépasser cette crise », explique-t-il.

De son côté, Saida Benhabyles, présidente du Croissant rouge algérien, compte se rendre sur place, pour « tenter de rapprocher les notables des deux communautés ».

« Il faut que le dialogue reprenne entre les deux communautés et il faut débattre des problèmes qui sont à l’origine de cette crise récurrente », dit-elle.

« Nous devons voir comment assurer le retour des enfants dans les écoles et la réouverture des commerces, comme nous devons assurer une prise en charge des familles éprouvées par ce conflit », ajoute-t-elle.