A Ghardaïa, le différend n’est pas réductible au foncier, estime le ministre des affaires religieuses, Mohamed Aïssa, dans un entretien au journal El Khabar. C’est aussi un problème de drogue, de commerce informel, de ressentiments légués par le colonialisme, de « main étrangère »… Mais il existe un sixième facteur qui réside dans une tentative de donner une coloration religieuse à ce différend et pour lequel il se dit directement concerné.
« Au lieu de dire que les enfants d’Algérie sont entrés dans un affrontement violent à Ghardaïa, comme il en arrive aussi dans des quartiers de la capitale ou entre certains arouchs à l’est, à l’ouest et au sud, on dit qu’il y a un affrontement entre malékite et ibadite ».
C’est, selon lui, une assertion dangereuse qu’il faut rejeter car elle « pousse à la division ». Le facteur religieux est « un des instruments utilisés pour alimenter l’hostilité, il n’est pas la cause ». Ce sont ceux qui veulent mener l’Algérie dans « le marécage des affrontements religieux qui persistent à le présenter comme un différend entre ibadite et malékite ».
Mohamed Aissa nie que ce soit une émission, particulièrement odieuse de la chaîne Iqraa où les ibadites ont été violemment attaqués, qui est la source des tensions. « Cette émission remonte à loin » estime-t-il et n’a pas eu d’impact.
Le problème est beaucoup plus ancien, selon Mohamed Aissa, des différends sont nés en raison de « compétition commerciale ou pour le foncier, du fait de la consommation de drogue par des jeunes et les agressions qu’ils commettent contre les autres.
A chaque fois, ces conflits étaient présentés sous un habillage politique. L’émission d’Iqraa est venue dans le sillage des différends et non avant. Aujourd’hui, il y a une vidéo d’un jeune algérien qui étudie en Arabie Saoudite et porte une Ghutra (coiffe) saoudienne qui prononce des mots qu’il n’a pas écrits… « .
Les salafistes ne sont pas les seuls à alimenter le feu, note-t-il, sur Facebook on trouve aussi des appels qui sont fait au nom du « malékisme de l’Algérie » comme si l’Algérie était « devenu un Etat confessionnel où il y aurait des malékite contre des ibadites ».
A Ghardaïa, il y a conflit entre Algériens qui habitent dans une wilaya précise et il faut œuvrer à les réconcilier mais « parler de victimes ibadites et de victimes malékites » est une entreprise volontaire de division.
Pour El-Firqa En-Nâdjiya, Ibadite et Malékite iront en enfer
Le ministre met en cause un groupe précis de salafiste qu’il distingue de la pensée salafiste « nationale qui ne détruit pas le pays ».
» Je veux parler de la pensée de « El-Firqa En-Nâdjiya » (littéralement le « groupe sauvé », censé être les seuls qui suivent la voie du prophète et de ses compagnons -NDLR) dont la source est Muqbil ibn Hadi al-Wadi’iau Yémen, qui a fondé l’école de Dammaj ».
Des éléments de ce courant « œuvrent à semer les troubles à Ghardaïa et « Dieu merci, ils ne sont ni dans les mosquées, ni dans les écoles coraniques. Ils sont présents en tant qu’habitants de Ghardaïa ».
Ce groupe, souligne-t-il, cherche à cataloguer les ibadites parmi les « khawarej » mais il considère également que les malékites font partie des groupes « en perdition » qui finiront en enfer. Pour ce groupe, « tous les autres sont des apostats promis à l’enfer sauf eux »
Le ministre dit avoir mis en garde contre ce type de pensée qui » existe à Ghardaïa et sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ». Ces idées ont un impact sur les jeunes qui ne connaissances la réalité des différences dans le fiqh ».
Il a également un impact sur les gens en conflit qui trouvent dans ce discours extrémistes un argument religieux pour justifier leurs violences, note-t-il.
Les tentatives de donner une coloration religieuse au différend qui existe à Ghardaïa « ne menacent pas la référence religieuse nationale seulement, mais menacent l’Algérie toute entière ».
« L’unité se renforce quand la diversité est dans une optique de complémentarité, elle s’étiole et disparaît quand la diversité est vécu dans une optique de confrontation » note-t-il en relevant que la coexistence est ancienne au Maghreb et la diversité a été vécue comme un élément de force.
Des salafistes dont « l’allégeance n’est pas à l’Algérie »
Au sujet des 54 imams salafistes écartés des mosquées, le ministre précise qu’il s’agit de « volontaires » qui avaient été autorisés à assurer la fonction d’imam. Pour lui, le problème n’est pas qu’ils soient des salafistes mais plus gravement dans le fait que leur « leur allégeance n’est pas à l’Algérie ».
Quand une instruction est donnée par la direction des affaires religieuses « ils demandent l’autorisation à des cheikhs à la Mecque d’appliquer ou non…. Le problème avec ces gens est qu’ils considèrent l’hymne national comme du kofr et qu’il ne faut pas se lever quand il est entonné. Ils se considèrent comme le groupe élu qui sera sauvé alors que les autres croupiront en enfer… ».
Le ministre dit son aversion pour ceux qui » dans une Algérie unie par l’Islam disent « je suis salafiste » et tel autre « malékite » et tel autre « ibadite ». Nous sommes tous des musulmans et œuvrons dans le cadre d’un référent religieux national qui est à la base de l’école malékite qui accepte l’ijtihad et l’ouverture sur tous les autres ».
Les 55 imams-volontaires n’ont pas eu un renouvellement de leur autorisation d’exercer, ils « ont été remplacés par de vrais imams, des universitaires ou des diplômés d’institut. Certains imams-volontaires continuent d’exercer et se sont engagés à ne pas aller contre le référent religieux national », précise-t-il.