Khedidja Baba-Ahmed
Comment a été gérée médiatiquement la prise d’otages au centre gazier de In Aménas et comment a été qualifié par les médias l’assaut des militaires algériens sur le site ? Si l’on peut y répondre pour ce qui concerne les médias français qui ont mobilisé pour l’événement toutes leurs éditions et appelé en renfort tous leurs bataillons d’«experts», l’on ne peut malheureusement en dire autant des médias publics algériens qui se sont contentés d’en dire le minimum, en fait, de se limiter, comme de coutume, aux déclarations officielles des autorités qui, en l’occurrence, en pleine action, ne pouvaient objectivement se répandre en déclarations qui pouvaient nuire au déroulement des opérations.
S’il y avait un reproche à ne pas faire aux médias français, c’est celui de n’avoir pas accordé à l’événement la place qu’il méritait. Les chaînes d’info ont même fait plus : dès l’annonce de la prise d’otages sur le site gazier, tout autre événement a été éclipsé des radars et l’on a eu droit à des éditions spéciales, et ce, encore ce vendredi, au moment où nous mettons sous presse aucun bilan définitif sur ces opérations n’a encore été donné, celles-ci se poursuivant encore sur le site du centre de traitement de gaz. Pouvait-il en être autrement, sachant que l’action terroriste ne concernait pas notre seul pays, les otages étant de plusieurs nationalités ? Deux temps forts ont été observés depuis cette mobilisation médiatique française. Un premier temps dominé par les interrogations sur la présence ou non d’otages français.
C’est de bonne guerre. Durant cette phase d’interrogations, peu de critiques de l’Algérie, le discours des chaînes d’info étant plutôt dominés par le rappel insistant sur le fait que l’Algérie en autorisant le survol de son territoire par des avions militaires français a, de facto, soutenu l’engagement opérationnel français.
L’on a eu droit dans ce premier volet, à des qualificatifs aussi dithyrambiques que «courage des Algériens», «principe implacable d’éradication du terrorisme» ou encore «l’approche réussie du traitement du terrorisme» qui a fait que l’Algérie est «sortie de la décennie noire». Et que nous a réservé le deuxième volet de ce traitement ? Entre les deux phases, il est vrai, il y a eu l’assaut et là, un tournant dans les commentaires, un autre discours. Alors que l’on comprenait que Hollande ne communique pas trop sur l’événement et qu’il dise ne pas le faire pour des raisons évidentes de sécurité, le silence algérien sur ce qui se déroulait autour et dans le site de In énas est tout d’un coup devenu étrange et de questionner en boucle «pourquoi aucune information n’est donnée par les Algériens ?» Dans la volonté des chaînes d’y parer, nous avons eu droit, et s’est même devenu lassant, à des envois à partir d’Alger, faits soit par des correspondants des chaînes d’information (France 24 en avait un) soit par des journalistes algériens qui allaient, à partir de leurs bureaux d’Alger, tenter de donner des exclusivités qui n’en étaient pas et gloser sur la situation sur un terrain d’opérations à mille lieues de leurs bureaux.
Le recours aux «experts» s’est fait alors massivement et qu’avons-nous entendu ? L’armée algérienne qui était alors portée aux nues est devenue tout d’un coup «une armée aux méthodes bien particulières », une «armée qui n’a pas l’habitude de faire dans la dentelle », selon Roland Jacquard de l’Observatoire international du terrorisme. Pour d’autres spécialistes du monde arabe l’assaut est qualifié de «contre-productif par rapport à l’objectif», dixit Gilles Kepel ou encore une «méthode algérienne», selon Antoine Basbous, cet «autre expert».
Et que dire du traitement de la crise par les médias algériens ? Radios et télévisions, les poids lourds du secteur public, se sont tus. Alors que personne ne s’attendait à une communication de l’armée, les mains étant dans le cambouis, les deux seules communications officielles ont été produites.
L’intervention du ministre de l’Intérieur qui s’est hasardé à avancer que les terroristes ne sont venus de nulle part, ni de la Libye ni du Mali mais sont des locaux, pour se reprendre le lendemain et affirmer qu’ils sont venus de Libye, suivi jeudi soir par son collègue de la communication qui lisait péniblement sur la chaîne publique un communiqué qui se voulait rassurant et justifiant l’assaut.
Et le travail de journaliste de la presse d’Etat ? Aucun débat contradictoire, ni même débat tout court sauf à annoncer, vendredi matin, sur la Radio Chaîne III que «samedi, sur cette même chaîne, il y aura un débat sur cette question». Est-ce à dire que nous sommes incapables d’organiser en instantané ce type d’échanges ou alors les Algériens ne méritent pas ce genre de débat sur une opération qui les concerne et concerne leur avenir au premier chef ?
Khedidja_b@yahoo.fr