Le pouvoir ne semble plus avoir d’emprise sur les formations politiques islamistes. Tous les partis membres de cette mouvance sont concentrés dans le camp de l’opposition. Les autorités algériennes ont-elles perdu l’ascendant sur les partis islamistes ?
Il semble bien que oui si l’on prend comme référence la composition du nouvel exécutif. Parmi les membres du gouvernement Sellal III, Amar Ghoul est le seul ministre à faire partie de cette mouvance. Et encore, l’ex-militant du MSP refuse, depuis la création de TAJ, d’être taxé d’islamiste. Nous sommes donc loin de la période où les islamistes avaient le statut de «partenaire», voire même «d’allié ».
Durant les années 1990, un parti comme Hamas — qui deviendra le Mouvement de la société pour la paix après l’adoption de la Constitution de 1996 — avait accepté d’accompagner politiquement les autorités dans leur lutte contre le terrorisme. La participation de Mahfoudh Nahnah à l’élection présidentielle de novembre 1995 puis des législatives de juin 1997 entrait dans le cadre de cet engagement. Mais le pouvoir tenait à imposer des règles strictes à ce partenariat. Ainsi, Nahnah n’avait pas réussi à se présenter à la présidentielle de 1999 faute de pouvoir justifier sa participation à la guerre de Libération.
Il fut même dans l’obligation de soutenir le candidat du «consensus», Abdelaziz Bouteflika. Vient ensuite l’ère de l’entrisme, une stratégie appliquée par le MSP pour justifier l’entrée au gouvernement puis à intégrer, en février 2004, l’Alliance présidentielle. Cette stratégie a finalement provoqué l’implosion du Mouvement de la société pour la paix. Et aux yeux de la base militante des «frères musulmans» algériens, les dirigeants du MSP perdront tout crédit. A trop vouloir le contrôler, le pouvoir a perdu un partenaire «crédible» qui, aujourd’hui, s’est rangé définitivement dans le camp de l’opposition.
Moins malléable, Abdallah Djaballah, autre leader de mouvance des «frères musulmans», aura droit à une tout autre forme de contrôle : l’exclusion. Ennahda puis El Islah, deux partis politiques qu’il avait créés et dirigés, lui échapperont totalement. Pour tenter de récupérer El Islah — formation considérée en 2002 comme la seconde force politique au sein de l’Assemblée — Djaballah avait dû mener une guerre juridique contre l’administration.
Peine perdue, le ministère de l’Intérieur, alors dirigé par Nourredine Yazid Zerhouni, donnera raison à son rival Djahid Younsi. Djaballah est revenu sur la scène politique en 2012 avec une nouvelle structure : le Front de la justice et du développement. Cette formation est actuellement membre de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique aux côtés du Mouvement de la société pour la paix, du Mouvement Ennahda, du Rassemblement pour la culture et la démocratie, de Jil Jadid et du Rassemblement pour la culture et la démocratie. Réunies autour d’une démarche de boycott de l’élection présidentielle, les formations politiques «islamistes et démocratiques» ont décidé de faire front commun contre le pouvoir.
Jeudi dernier, les représentants de la CLDT ont rencontré Ali Djeddi et Kamel Guemazi, deux dirigeants du FIS-dissous. Cette réunion entrait dans le cadre du processus de consultations initié par la Coordination à l’approche de la Conférence nationale sur la transition démocratique qui doit se tenir à Alger les 16 et 17 mai. Reste qu’une telle rencontre aurait été inimaginable par le passé. Une situation qui prouve que le pouvoir a perdu le semblant d’emprise qu’il avait sur les dirigeants locaux de l’ex-FIS.
Dix ans après l’entrée en application de la «Réconciliation nationale», les dispositions de cette loi ont certes permis de gérer certains aspects sur le plan sécuritaire, mais sont loin d’avoir réglé les problématiques d’ordre politique. En ce début de quatrième mandat, Abdelaziz Bouteflika et son gouvernement n’ont plus sous la main d’islamistes qui serviront de faire-valoir.
T. H.