Génération bouteflika, génération harraga?

Génération bouteflika, génération harraga?

Certains ne songent qu’à partir. D’autres trouvent des raisons d’espérer. Tous n’ont connu pour l’instant qu’un seul président, Abdelaziz Bouteflika. Coup de projecteur sur une jeunesse pas si dépolitisée qu’on le dit.

Face à la caméra du téléphone portable qui le filme, le jeune homme parle en versifiant en arabe dialectal : « Ils nous veulent pauvres ou jetés en prison. Nous brûlerons la frontière, même si nous devons mourir en mer. Ils nous veulent miséreux, vivant dans le rokhs (indignité)… » Alors que le soleil se couche à l’horizon, le Zodiac file à vive allure sur les eaux limpides de la Méditerranée.

À son bord, le jeune homme et ses sept compagnons, tous harraga (« brûleurs de frontières »), voguent vers les rivages de l’Espagne. Sans gilets de sauvetage, avec un kilo de bananes et une poignée de fraises pour seules victuailles, ils espèrent atteindre les côtes de cet eldorado européen dont rêvent tant d’Algériens. Sur le Zodiac, la caméra tourne encore. Cette fois, c’est un autre candidat à l’immigration clandestine qui s’exprime en faisant de la main un geste d’adieu. « Bye bye Bouteflika, chante-t-il. On te laisse l’Algérie et ton quatrième mandat… »

Diffusée sur YouTube, cette vidéo a été tournée le 17 mars, un mois jour pour jour avant l’élection présidentielle qui a vu la réelection du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, pour un quatrième mandat en dépit de son âge avancé, 77 ans, et de sa santé fragile. Largement commentée dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les meetings politiques, la vidéo a fait irruption dans le débat électoral pour illustrer le désespoir de ces Algériens condamnés à fuir leur pays au péril de leur vie. Si le phénomène des harraga est apparu avant le retour aux affaires de Bouteflika, il n’en a pas moins pris une ampleur spectaculaire au cours des dix dernières années, d’autant que l’Algérie d’aujourd’hui ne ressemble en rien à celle d’il y a quinze ans. Elle est désormais apaisée après les années de terreur et de violences qui ont fait plus de 150 000 morts. Les caisses de l’État et des banques publiques croulent sous les pétrodollars. Les réformes politiques, économiques et sociales ont contribué à rendre ce pays plus « vivable ».