La sortie inédite du chef du gouvernement sur sa page facebook déroute encore plus les citoyens du sud du pays qui contestent la pratique de la fracturation hydraulique dans leur région.
Ainsi, Abdelmalek Sellal est catégorique. « Le gouvernement n’a délivré aucune autorisation d’exploitation du gaz de schiste ». Pour lui l’exploitation de cette ressource n’est pas à l’ordre du jour de son gouvernement.
Il a défini le puits d’Ahnet-1 comme un projet pilote de prospection qui sera suivi de deux forages qui préciseront les réserves récupérables de gaz de schiste dans cette région. Une deuxième phase, écrit-il, suivra une évaluation « d’exploration » et non « d’exploitation » des résultats de la délinéation pendant au moins deux ans.
Il s’agira selon le premier ministre d’estimer le potentiel de ces réserves, de voir si elles sont économiquement exploitables et surtout de quantifier les effets sur l’environnement. Ces affirmations sont en totale contradiction avec ce qu’ont déclaré d’abord le ministre de l’Energie puis le nouveau PDG de Sonatrach et le conseiller du ministre sur les ondes de la chaine III.
En effet, selon ce dernier, « il serait irresponsable de ne pas envisager l’exploitation du gaz de schiste », il assure que le développement de cette ressource n’est qu’au stade de l’«évaluation» et que le risque d’impact négatif est dorés et déjà évalué, il est « quasi nul ». M. Sahnoun quant à lui a confirmé dans cette chaine la semaine dernière les propos de sa conférence de presse lors des deux journées de la conférence internationales sur le gaz organisée au centre des conventions d’Oran (CCO).
Pour le PDG, il n’y a rien à évaluer, l’Algérie dispose d’un potentiel national récupérable de 21.000 milliards de m3 de gaz de gaz de Schiste, soit 740 tonnes mètres cubes, de quoi valoriser ces ressources futures et permettre au pays de capitaliser un autre savoir-faire en matière de leur exploitation et de leur production. N’étant plus au stade de l’hésitation, l‘Algérie entre dans la phase de mise en œuvre de la feuille de route.
Ces ressources nécessitent des moyens. En termes de création d’emplois, il faut multiplier le potentiel par 4 voire 5 dans les prochaines années. Des actions sont donc menées, notera le responsable pour prendre en charge ces ressources à travers un plan de recrutement et de formation que la direction exécutive de Sonatrach a mis en place. Quelque 1.000 à 1.500 agents seront donc formés par an, afin d’adhérer aux perspectives tracées par le gouvernement. Sonatrach prévoit aussi, dans le cadre de son plan, le recrutement de milliers d’ingénieurs et de techniciens.
En effet, la volonté affichée par les pouvoirs publics quant au développement de ce secteur met en exergue les premières prévisions de la production qui, selon le PDG, sera lancée à partie de 2022 et pourra atteindre d’ici 2025 les 10 milliards de m3 de gaz de schiste. Pour Mr. Yousfi qui était présent à cette conférence de presse, il a pris le relais au nom du gouvernement pour préciser que les pouvoirs publics veilleront à la stabilité de cette équation afin de réduire le coût de ces ressources et la question qui se pose à présent est comment se préparer à cette production.
En matière d’environnement, l’une des principales préoccupations de l’heure, le ministre a été formel quant à l’utilisation de nouvelles technologies pour le traitement des eaux après fracturation de la roche. Il existe des lois que le gouvernement va mettre en place pour protéger les ressources en eau. Avec un forage de plus 10.000 puits dans le sud, la compagnie a acquis une expérience avérée dans le domaine de l’exploration et de la recherche et un savoir-faire. Par ailleurs, cinq sociétés étrangères ont été retenues après l’avis d’appel d’offres lancé dans le cadre de projets de partenariat avec Sonatrach pour les 31 périmètres délimités pour prospection et mise en exploitation.
Si l’on croit la déclaration du chef du gouvernement, le feu vert donné par Bouteflika lors du conseil des ministres de mai 2014 est limité uniquement à une évaluation du potentiel qui ne donne aucune autorisation à une quelconque exploitation de ressources non conventionnelles sur le sol algérien. Si tel est le cas, comment expliquer la présence de la compagnie française Total qui est opérationnelle depuis fin 2013 en Algérie, dans le bassin de Timimoun, en association avec Sonatrach et la société espagnole Cepsa, ainsi qu’à Ahnet (In Salah) avec Schlumberger, Sonatrach et la turque Partex ?
Face à une cacophonie de ce genre, on est en droit de se poser la question sur la présence ou non d’un pilote dans le système de gouvernance.
1- Ce n’est pas la première fois que cela se produise
Il faut souligner que l’opacité qui entoure ce dossier est établie. Comment ? En mars 2011, à Houston,au cambridge Energy Research Associates Week de l’année, une importante conférence des acteurs des hydrocarbures, le ministre de l’Energie et des mines déclarait que l’Algérie disposait de réserves de gaz de schiste aussi importantes que ceux de certains champs américains. Il est allé plus loin en précisant qu’un programme pilote était en cours de préparation pour le choix de la région et plus intéressant encore dans le contexte où il se trouvait, « le partenaire étranger ». Le New York Times qui a rapporté cette information la qualifia de « sensational news ».
A cette époque déjà, de nombreux observateurs se sont demandés ce qui est arrivé à ce ministre, réputé pourtant sage pour « se tirer une balle dans le pied » car le prix du gaz a commencé à chuter et l’Algérie subissait d’énormes pressions surtout de la part des pays européens pour revoir leur prix voire même remettre en cause les contrats long terme et tout cela à cause de ce gaz de schiste qui a inondé le marché américain. La démarche du ministre semblait à priori incohérente mais ses proches conseillers ont du nuancer ses propos pour les ramener à des intentions plus stratégique et que dans l’immédiat elles se limiteraient à une mission de reconnaissance pour valoriser les réserves du pays dans ce type de ressources.
Six mois après vers la fin septembre 2011, le PDG de Sonatrach, Nordine Cherouati, confirmait le démarrage effectif de l’exploration du gaz de schiste pour 2012 dans le sud-ouest du pays, il a annoncé par ailleurs que plusieurs protocoles d’accord ont été déjà signés avec des entreprises internationales, spécialisées pour mettre en application les techniques permettant l’extraction du gaz des roches mères et s’assurer de leur rentabilité économique en fonction des différents paramètres comme la profondeur du gisement, l’éloignement par rapport au centre de traitement et de consommation etc. il semblait extrêmement prudent quant à l’exploitation éventuelle d’une telle ressource.
Entre temps, l’entreprise ENI a mis en ligne cet accord de coopération « cooperation ageement » dont parlait le Pdg de sonatrach mais on y lit carrément le développement du gaz non conventionnel « development of unconventional gas ». Des failles commençaient donc à apparaitre dans le discours des uns et des autres, alors un débat s’en est suivi.
2- A quelle conclusion sont arrivés les experts ?
Des experts se sont exprimés dans les quotidiens nationaux et internationaux, à la télévision algérienne. Il y a eu des pour et des contre, certains ont même mimé la propagande des multinationales qui minimisait l’impact d’environnement sous prétexte que la fracturation hydraulique se déroule en profondeur, très éloignée des nappes phréatiques, que la migration des produits chimiques est maintenant maitrisée etc. mais en dépit de cette divergence dans l’approche écologique, ils sont restés tous unanimes quant à l’inopportunité pour l’Algérie de s’aventurer dans l’immédiat dans l’exploitation et le développement du gaz de schiste.
Ceci a été confirmé lors des tables rondes organisées sous le patronage de Monsieur le ministre de l’énergie et des mines par l’Association Algérienne des Industrie du gaz à Oran le 27 et le 28 février 2012. Dans les remarques de conclusion, disponibles dans le site www.aig.dz , on peut lire que les différents participants ont finalement compris l’importance des réserves du gaz de schistes dans le monde et qui dépassent de loin celles dites conventionnel cependant, chaque région dans le globe a ses propres spécificités qui différent de celles des Etats Unis, il faudrait absolument en faire avec.
L’Algérie n’ayant aucune expérience dans ce domaine, le message semblait très clair et le ministre avait confirmé sa réception 5/5 en appelant encore une fois à la prudence. Il faut souligner par ailleurs que les responsables concernés directement par l’opération à Sonatrach, trouvent que l’exploitation du gaz de schiste dans les conditions algériennes reste relativement chère puisque les coûts de réalisation d’un forage varient entre 10 et 15 millions de dollars. On peut dire que jusqu’au mois d’avril 2012 tout allait dans la confusion mais deux événements majeurs sont venus renforcer le doute et l’opacité dans le traitement de ce dossier par notamment Sonatrach.
3- Quels sont ces événements ?
– L’arrivée d’un émissaire américain en la personne de Robert Ichrod, responsable au niveau du bureau des ressources naturelles au département d’Etat américain. L’intéressé est venu normalement pour Sonelgaz mais en partant, il s’est permis de porter un jugement sur l’amendement de la loi sur les hydrocarbures : « Nous suivons avec les compagnies de près le processus de révision qui doit améliorer le climat des investissements, nous estimons qu’il y aura peut-être des changements. » Ce « peut être » est une forme de politesse diplomatique car l’intéressé connaissait les amendements dans leur moindre détail ;
– Le 7 Juin depuis Kuala Lumpur en Malaisie, le nouveau Pdg de Sonatrach donne des chiffres fracassants sur des études qui selon lui sont déjà terminés alors que l’opinion publique croyait qu’on venait juste de débuter un forage de reconnaissance. Il annonce dans le même contexte qu’une superficie de 180 000 km2 a révélé un « potentiel énorme » de gaz de schiste dépassant plus de 600 millions m3 par kilomètre carré, ce qui signifie que plus de 2.000 milliards de m3 peuvent être récupérés.
Comment il est arrivé à 2000 milliards, on ne sait pas ? mais ce qui est certain ; pour arriver à de telles précisions, ces études ont bel et bien commencé depuis bien longtemps, peut-être même avant l’arrivée de Yousfi auquel cas, on été entrain de mener en bateau les Algériens alors que le jeu est pipé depuis Chakib Khelil.
– Le comble est venu avec le nouveau premier ministre qui, avant de son investiture, déclarait en tant que ministre des Ressources en Eaux, au forum du journal Liberté : « Pour préserver ses ressources en eaux souterraines, l’Algérie a fait le choix de mobiliser au maximum ses ressources en eaux de surface ». Il est urgent d’ouvrir un sérieux débat sur l’exploitation du gaz de schiste envisagée par le gouvernement. Une fois nommé, il a été le premier à lever la main pour valider la loi permettant l’exploitation de ce type de gaz qui pourrait mettre en péril cette mobilisation des ressources en eau dont il parlait.
– Enfin, une curieuse coïncidence : dans la même semaine la ministre de la francophonie arrivait en Algérie pour préparer la visite de François Holland qui confirmait l’interdiction de la fracturation hydraulique en France pendant que l’Algérie la valide en conseil des ministres.
4- Conclusion
Ce cafouillage troublant dans le traitement d’un dossier aussi épineux renvoie à trois observations :
– Le processus de décision à Sonatrach est infiltré par les multinationales qui sont au courant de tout ce que fait l’entreprise nationale et agissent en conséquence. La crise économique mondiale les contraint à rechercher un plan de charge quitte à créer des besoins à travers leurs réseaux sur place. L’exploitation du gaz de schiste en Algérie n’est qu’une pure incitation des multinationales pour rentabiliser leur expertise et sucer le fond souverain Algérien placé chez eux.
– L’exposé des motifs sensé justifier l’amendement est fallacieux. Les firmes sérieuses ne fuient pas l’Algérie pour sa fiscalité mais pour le risque de stabilité diverse, le climat des affaires et surtout cette histoire de manifestation d’intérêt inventé par l’ancien ministre. Donc, cette amendement a été fait sur mesure pour permettre aux multinationale de placer leur expertise dans l’exploitation et développement du gaz du schiste ;
– Sans aucune volonté d’ennuyer les lecteurs par des considérations techniques pour ne pas noyer le poisson dans l’eau mais un tout petit raccourci est nécessaire pour comprendre précisément ce point. Finalement, le gaz de schiste c’est quoi ? C’est du gaz conventionnel qui a raté sa migration vers la couche réservoir et est resté dans la poche de sa mère. C’est une ressource d’hydrocarbures comme toutes les autres telles qu’elles sont définies dans la loi de 2005 et son premier amendement en 2006. Alors ! Pourquoi une loi spécialement pour des concessions du gaz non conventionnel ?
En quoi son contrat diffère-t-il des autres ? Par contre son mode d’exploitation est contesté dans le monde et pose problème. Ceci ne concerne pas la partie Algérienne dont l’objectif est la valorisation de ses ressources naturelles mais l’operateur qui appréhendent d’ores et déjà les risques de la fracturation hydraulique. Il cherche donc à se prémunir pour qu’en cas de dégât, il mettra tout sur le dos du pays qui l’accueille en disant la fracturation hydraulique est réglementaire et tout le monde connait ses risques. Il prendra sa valise et quitte le pays sans payer de préjudice. Il laissera bien entendu l’Algérie dans des difficultés inextricables. Pour rappel les contrats de partage de production signés avant 2005 ne prévoient rien pour la réhabilitation des sites après l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers dont certains commencent déjà de s’affaisser.
Rabah Rabah, Consultant, Economiste Pétrolier