Quand bien même j’aimerais être en accord avec nos responsables politiques et leur accorder le bénéfice du doute, il est difficile de ne pas s’inquiéter de la situation actuelle.
La gestion catastrophique de la polémique entourant le gaz de schiste lors des dernières semaines, arrimée à plusieurs déclarations maladroites de la part de nos responsables politiques, souvent contradictoires d’ailleurs, expose au grand jour l’incapacité managériale de ce gouvernement à gérer des enjeux de développement durable. Encore plus surprenant est le fait que les politiques aient pris le dessus sur le promoteur, la Sonatrach.
Les politiciens ainsi que le chef de la sûreté nationale effectuent des visites au Sud afin de « vendre » leur projet, faisant fi des gestionnaires au sein de la Sonatrach en charge de la gestion des relations entreprises-communautés, de la responsabilité sociale et du développement durable. Où sont-ils ? Il me semble pourtant que ces personnes seraient les mieux placées pour agir en tant que médiateur entre les communautés locales et le ministère de l’Énergie.
Quoi qu’il en soit, la déception des populations du Sud lors des visites du ministre de l’Énergie Youcef Yousfi est claire : il aurait été plus intéressant d’envoyer des gestionnaires de la Sonatrach qui travaillent au quotidien avec les communautés locales et qui sont familiers avec la nature de ces enjeux.
Dalila Boudjemaa, la ministre de l’Environnement a fait une sortie hasardeuse sur le gaz de schiste.
Par ailleurs, j’affirmais récemment dans un autre article que le ministère de l’Environnement, jusque-là absent ou presque du débat sur le gaz de schiste, devait être un acteur de premier plan car s’il y a bien plusieurs logiques qui s’affrontent dans ce débat, la logique environnementale en est certainement une dominante dans l’esprit des mouvements contestataires.
La ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, Dalila Boudjemaâ, a répondu présente : « En tant que ministre et spécialiste de l’environnement, je peux affirmer que l’exploitation du gaz de schiste n’a aucun impact sur l’environnement, d’autant plus que les études faites dans ce sens le confirment ».
Sidérant ! L’argument d’autorité « en tant que spécialiste de l’environnement » a piqué ma curiosité. En effectuant quelques recherches, quiconque apprendra sur le profil de notre chère Ministre de l’Environnement qu’elle est ingénieure d’État en agronomie, et qu’elle a occupé des postes liés à l’agriculture entre 1978 et 2000. Celle qui se prétend « spécialiste de l’environnement », ne s’est intéressée à l’environnement qu’à partir de 2001, en occupant notamment des postes de direction (2001-2012) et de ministre (2013-2014).
En se proclamant experte de l’environnement, je m’attendais naïvement à ce qu’elle détienne un doctorat en sciences environnementales de l’Université californienne de Berkeley, qu’elle ait une formation antérieure en épidémiologie de la même université, qu’elle soit directrice exécutive au sein d’une organisation à but non lucratif subventionnée par l’État américain afin de mener des recherches scientifiques solides et impartiales sur le développement du gaz non conventionnel, qu’elle ait publié dans des revues de qualité autour de l’énergie, la pollution et la qualité de l’air et de l’eau, du changement climatique, de la santé humaine, et des dimensions environnementales et climatologiques du gaz de schiste, et qu’elle soit professeure d’université.
En fait, je l’ai confondue avec le professeur Seth Berrin Shonkoff, un autre « expert », dont les résultats publiés dans des revues scientifiques de qualité affirment le contraire de ce qu’avance notre experte nationale (nos expertes, devrais-je dire, après les propos de Louisa Hanoune sur son incompréhension des inquiétudes des populations du Sud).
Les résultats récents des travaux du professeur Seth Berrin Shonkoff, publiés en avril 2014, sont sans équivoque : « Il y a des preuves de risques potentiels pour la santé publique dus au développement du gaz de schiste ». Le chercheur et ses co-auteurs poursuivent qu’une « accumulation grandissante d’études suggère que les risques de pollution existent par le biais d’une variété de voies de contamination, en particulier durant le transport des eaux de fracturation usées ou de leur entreposage, ou par le biais de confinement défaillant des gaz et des fluides, dues à une mauvaise cimentation des puits ».
Cette étude montre clairement que l’exploitation du gaz de schiste pollue tant l’air que l’eau, « la littérature scientifique suggère que l’exploitation de gaz de schiste émet des polluants atmosphériques parmi lesquels le benzène, le toluène, l’éthylbenzène et le xylène, le formaldéhyde », en précisant qu’ils ont également recensé « de hauts niveaux de méthane dans des points de prélèvement d’eau potable. »
Enfin, ils poursuivent qu’à certaines concentrations, « plus de 75% des produits identifiés sont connus pour affecter négativement les yeux, la peau et d’autres organes sensoriels, le système respiratoire, le système gastro-intestinal et le foie […] 52% ont le potentiel d’affecter négativement le système nerveux, tandis que 37% sont de possibles perturbateurs endocriniens. » Un autre expert a récemment participé à la publication d’une étude dans les annales de l’Académie américaine des sciences en démontrant les dangers de la fracturation hydraulique sur les eaux souterraines.
Ce géochimiste professeur à l’Université Duke explique clairement que les gaz situés à 1 600 mètres de profondeur dans l’État de la Pennsylvanie ont contaminé des eaux situés plus haut dans le sol, et que le risque de contamination des eaux est une évidence. Ces considérations faites, il me semble naturel de se questionner sur les implications environnementales de l’exploitation du gaz de schiste, d’autant plus que le Sahara algérien regorge une vaste quantité d’eau souterraine de Béchar à Biskra, jusqu’au Sud du côté de In-Salah (tiens !) et In-amenas.
Après tout, chacun est libre de choisir l’expert qu’il souhaite écouter. Pour ma part, et vous l’aurez sans doute compris, mon choix a été simple et vite fait.
S. B. (*)
(*) Doctorant à HEC Montréal