Gaspillage de pain : Entre gâchis et mauvaise qualité

Gaspillage de pain : Entre gâchis et mauvaise qualité

Les citoyens veulent-ils manger de ce pain-là ? La qualité est-elle au rendez-vous ?

Quelles sont les véritables raisons du gaspillage du pain ? Qui ne connaît pas ce phénomène ? Qui n’a pas vu une baguette ou deux au minimum jetées par terre ou dans les poubelles, piétinées par chats et chiens ? Et, pourtant, cet aliment de base était et reste pour d’autres inaccessibles.

Le gaspillage de ce produit vital s’explique par deux facteurs qui sont le prix et la qualité. Le consommateur achète son pain quotidien à 10 dinars l’unité, alors que son coût réel est de 12 dinars. Ce prix est subventionné par l’État et donc à la portée de tous, d’où ce gaspillage à grande échelle. Quant à la mauvaise qualité du produit, elle affecte négativement sur la consommation. La qualité du pain est indiscutablement à l’origine d’une bonne partie du gaspillage. Un mauvais produit n’a d’autre sort que de se retrouver parmi les détritus. Pas mal de boulangers ne respectent aucunement les normes de fabrication de cette denrée pour gagner sur le poids et destiner une partie de leurs quotas de farine subventionnée à des usages plus juteux. Selon l’Association du consommateur, «le pain perd sa fraîcheur et son élasticité quelques heures après sa panification et sa cuisson». Ces dernières années, la population se plaint de la qualité du pain qui lui est cédé dans les boulangeries et les magasins d’alimentation générale. Cette denrée a perdu ses lettres de noblesse car de nombreux boulangers, attirés par le gain facile, ne respectent pas les règles élémentaires de sa préparation puisque la profession est exercée par des ouvriers inexpérimentés qui se forment sur le tas. «Il est révolu le temps où l’on achetait du bon pain doré et croustillant exhalant une odeur appétissante, car les ouvriers-boulangers le préparaient avec un soin particulier et respectaient les consignes de leur patron. À présent, on nous propose des baguettes de pain à l’aspect douteux, car elles deviennent immangeables en fin de journée. Il faut avouer que nous sommes devenus otages de ces commerçants qui déshonorent cette noble profession», lance Hadja Fatma, rencontrée dans une des boulangeries à Bab El-Oued. Pour Nadia, femme au foyer, «le gaspillage est dû à la surconsommation du pain». «On  s’oublie toujours dans l’achat du pain, même si on a des plats qui ne nécessitent pas l’accompagnement de cet aliment», explique-t-elle, tout en insistant sur la qualité du pain qui «reste à désirer». «Il y a une grande différence entre la qualité du pain d’avant et celle d’aujourd’hui. La  préparation ne se fait plus comme avant. Le pain perd sa valeur et devient élastiqué en quelques heures, et les enfants refusent de le manger, du coup on le jette à contrecœur», précise-t-elle.

« Des baguettes de pain à l’aspect douteux »

Un père de famille rencontré dans une épicerie nous affirme : «Il est révolu le temps où l’on achetait du bon pain doré et croustillant exhalant une odeur appétissante, car les ouvriers-boulangers le préparaient avec un soin particulier et respectaient les consignes de leurs patrons.» Les consommateurs ont beau se plaindre, la situation ne s’améliore pas, car les services concernés tolèrent ces dépassements pourtant réprimés par la réglementation en vigueur. Les clients doivent être matinaux pour être servis, car, le pain, très demandé, est acquis quelle que soit sa qualité, l’essentiel est de ne pas rentrer bredouille à la maison. Le pain sans sel, recommandé pour une catégorie de malades chroniques, est introuvable dès les premières heures de la matinée, car la quantité mise sur les étals est infime. Cela n’est pas le même avis du président de l’Union nationale des boulangers algériens. Son président, Youcef Kalafat, estime que «la préparation du pain est la même, car les ingrédients, leurs qualités, la cuisson du pain sont les mêmes qu’avant et chez tous les boulangers». «Le gaspillage n’a rien à voir avec la qualité du pain, tous les boulangers utilisent les mêmes ingrédients, à savoir les mêmes farine, améliorant et levure», a-t-il expliqué, avant d’ajouter : «Ce gaspillage est dû à la subvention, le manque de culture de la consommation chez le citoyen. Tout le monde est responsable. La plus grande quantité du pain gaspillé est au niveau des restaurateurs, les universités, les cantines scolaires.»  Afin de garder le pain en bonne qualité toute la journée, M. Kalafat conseille  «de ne pas le laisser dans les sacs en plastique». Pour ce qui est du gaspillage, il a affirmé qu’en 2013, on compte 27 millions de baguettes de pain jetées dans les poubelles. Ce chiffre a diminué en 2014 pour atteindre 21 millions, et, cette année, le nombre de baguettes a baissé à dix millions. Afin de limiter le gaspillage du pain, M. Kalafat a indiqué qu’«il faut qu’il y ait une sensibilisation, non seulement de la part des associations des consommateurs et du ministère du Commerce, mais aussi de la part des ministères de l’Environnement, de l’Éducation, de la Santé, ainsi que des médias».

Absence de culture de consommation

Par ailleurs, le président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (Apoce) a fait savoir que faute d’une culture de consommation, 2 à 3 millions de baguettes de pain sont jetées quotidiennement. Selon l’intervenant, le prix du pain qui est à la portée de toutes les bourses, encourage la surconsommation et, par conséquent, le gaspillage. Pour leur part, les économistes estiment que la population se plaint de la qualité du pain qui lui est vendu dans les boulangeries et les magasins d’alimentation générale, car cette denrée a perdu ses lettres de noblesse. «De nombreux boulangers, attirés par le gain facile, ne respectent pas les règles élémentaires de sa préparation puisque la profession est exercée par des ouvriers inexpérimentés qui se forment sur le tas», nous confie Salah Edinne Belhadj, docteur en économie. Les responsables l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) considèrent que l’amélioration de la qualité du pain est un préalable pour éviter le gaspillage et réduire ainsi la facture d’importation de blé tendre, utilisé dans la production de la farine panifiable. Selon l’ITGC, les boulangers peuvent fabriquer du pain complet, de bonne qualité sans avoir besoin d’utiliser d’améliorant. Il faut dire que contrairement au pain blanc qui manque de vitamine et n’a aucune qualité nutritionnelle, le pain complet est bénéfique pour la santé, estiment les spécialistes de santé. «En raison de la hausse des maladies cardiovasculaires et du diabète, il serait temps de s’orienter vers la consommation des céréales complètes qui contiennent plus de fibres et moins de calories», relève le Dr Mensali, nutritionniste.

La responsabilité du gaspillage n’incombe pas au seul consommateur

De son côté, l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) accuse les boulangers qui ne fournissent aucun effort pour produire un pain de qualité, qui se conserve et non celui qui est immangeable le jour d’après.

Connus pour leur consommation excessive de pain, les Algériens ont pris cette habitude de gaspiller à outrance cet aliment de base durant toute l’année. Le pain fait partie des produits alimentaires les plus demandés. Ainsi, de grandes quantités de pain sont achetées quotidiennement qui, malheureusement, ne seront pas toutes consommées. Et comme le pain de la veille est rarement consommé le lendemain, à cause de sa qualité médiocre, d’énormes quantités sont jetées. Néanmoins, cela demeure toujours du gaspillage. Les poubelles des quartiers des grandes villes, où ce phénomène est plus répandu, débordent de sacs pleins de pain rassis ou même frais, car ne datant que de la veille. Pour le directeur général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (Oaic), Mohamed Belabdi, le gaspillage de pain par les ménages (quelque 7 millions de baguettes par jour sont jetées quotidiennement dans les poubelles), cette situation n’incombe pas au seul consommateur. D’après lui, il est primordial d’appliquer et de faire respecter un cahier des charges permettant aux boulangers de produire un pain de qualité, qui se conserve et non celui qui est immangeable le jour d’après. La Fédération nationale des consommateurs avait d’ailleurs fait état, à ce propos, qu’au moins 20 millions de baguettes de pain achetées sont ramassées par les services d’assainissement quotidiennement. Ce que viendra confirmer récemment une étude économique en révélant que l’Algérien consomme entre 500 et 900 g de pain par jour, et qu’entre 150 et 200 g se retrouvent dans les poubelles.

Manque de professionnalisme

Mais si les Algériens accompagnent la majorité de leurs repas avec du pain, accordent-ils de l’intérêt à sa qualité ou à sa valeur nutritive ? La plupart d’entre eux misent sur la quantité et produisent seulement du pain normal ou dit blanc. La qualité reste à désirer, et ceux qui offrent du pain d’orge, pain noir ou complet, pain à base de semoule… sont généralement des boutiques spécialisées en la matière et le proposent à des prix forts.  Encore, ces dernières se comptent sur le bout des doigts et ne répondent pas à la demande des consommateurs. Ainsi, s’il existe des dizaines de variétés de pain, l’Algérien n’en consomme généralement qu’une seule, à savoir le pain normal. Même les ménages algériens semblent avoir perdu la tradition de préparer leur propre pain de maison dit «khobz etadjine, matlouh ou kasra». Les boulangers expliquent cette situation par la qualité du pain qui reste médiocre, à cause de la farine utilisée. Ainsi, le boulanger est obligé d’apporter les correctifs nécessaires à même d’obtenir un pain «mangeable». Il s’attarde de ce fait sur la fermentation et les levures. Mais il paraît également que l’absence d’une formation de qualité des boulangers est aussi derrière cette négligence dans la production de pain. Pour un pays qui consomme autant de pain, ne pas former des boulangers est difficile à admettre. Les associations de protection des consommateurs déplorent le manque de professionnalisme des boulangers qui ne maîtrisent pas les normes et les techniques de la profession, en l’absence d’écoles spécialisées en matière de préparation de cet aliment de base. Ils estiment que les boulangeries que compte actuellement le pays n’offrent pas beaucoup de choix.

    Wassila Benhamed.