Dans une petite maison d’Afrine, Amouna Hassan et les siens partagent avec six autres familles trois pièces, une cuisine et une salle de bain. Fuyant l’offensive turque dans le nord-ouest syrien, les déplacés de l’enclave kurde s’entassent par dizaines dans des habitations spartiates.
«On dors assis, est-ce que c’est normal? Comment va-t-on tenir ici? Que peut-il nous arriver de pire?», lâche avec colère Mme Hassan, le visage strié de rides, une cigarette à la main. La vieille femme à la peau mate a fui la localité de Jandairis, près de la frontière turque, pour échapper aux frappes aériennes et tirs d’artillerie de l’offensive lancée le 20 janvier par Ankara contre une milice kurde dans la région d’Afrine. Aujourd’hui, dans la ville même d’Afrine, relativement épargnée par les violences, Amouna Hassan partage avec ses frères le nouveau domicile qu’ils louent. Et chaque famille compte dix personnes, explique-t-elle, assise à même le sol. «On ne se lave plus depuis plusieurs jours, la salle de bain ne fonctionne pas, on ne pense qu’à pouvoir manger», se lamente-t-elle, les cheveux recouverts par un voile gris à pois violets. Derrière elle, un vieillard est allongé sur un matelas à même le sol. Une dizaine de femmes et d’enfants sont assis dans la pièce, où retentissent les hurlements d’un bébé. Plusieurs couvertures sont empilées dans un coin, soigneusement pliées. «Nous avons fui sous les bombes et sous la pluie, au milieu des cris. La mort rôdait partout», raconte-t-elle. «Et maintenant on est assiégé ici, il suffit d’une bombe et on va tous mourir ensemble».
«Situation tragique»
Selon l’ONU, au moins 15.000 personnes ont été déplacées par les combats, qui ravagent principalement la périphérie de la région d’Afrine, la plupart trouvant refuge dans la ville éponyme. Et depuis le début de l’offensive, les bombardements turcs on tué près de 70 civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Mais la Turquie dément cibler la population et assure viser uniquement la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), qu’Ankara veut chasser de sa frontière. Le mouvement est classé groupe «terroriste» par les autorités turques, même s’il est un allié crucial de Washington dans la lutte antijihadistes. Dans les habitations spartiates débordées par l’afflux massif de nouveaux arrivants, les familles vivent avec les moyens du bord: matelas à même le sol, parfois un poêle à bois au centre de la pièce pour se protéger du froid. Abdel Hajj Ahmad fait partie de ces déplacés ayant tout abandonné derrière eux. Arrivé dans la ville d’Afrine avec les 12 membres de sa famille, cet homme de 49 ans, originaire du village de Cheikh Mohamed, raconte son calvaire. «La situation est tragique. Il n’y avait pas de voitures sur les routes. Nous sommes partis avec nos bagages, on a marché jusqu’à tomber sur un automobiliste qui a accepté de nous transporter», témoigne-t-il. La famille finit par arriver à bon port et se réfugie chez des proches à Afrine. «Nous sommes neuf familles, soit près de 40 personnes qui partagent une seule cuisine et une salle de bains. Vous imaginez?», déplore-t-il. «C’est la première fois que nous découvrons la vie des déplacés», lâche-t-il, la voix triste.
«Rentrer chez nous»
Nazliya Belo, elle, a dû accueillir son oncle et ses proches du jour au lendemain. «A la base on était 10, maintenant on est 30 dans la maison», raconte-t-elle, vêtue d’une robe grise, une chaîne en or autour du cou.
«On s?entraide (…), les circonstances difficiles de la guerre nous ont unis, on est heureux de les avoir ici, mais ils ont dû abandonner leur maison, c’est triste», soupire la jeune femme de 28 ans.
Elle appelle tous les habitants d’Afrine à aider «les habitants des villages dont les maisons ont été endommagées».
«C’est une grande tragédie, il faut ouvrir nos portes à tout le monde», insiste-t-elle. L’élan de solidarité atténue quelque peu la douleur des déplacés, même s’ils rêvent tous de retrouver leur maison. Abdine Kachad, 30 ans, a fui avec sa famille il y a deux semaines son village de Koura Baba, trouvant refuge dans un premier temps dans la localité de Rajo. Mais là aussi, les frappes aériennes les ont forcées à rallier la ville d’Afrine.
«On espère que les bombardements ne vont pas nous poursuivre», lance-t-il dans un pièce étroite où il est installé avec ses proches.
«Il faut que ça s’arrête pour que l’on puisse rentrer chez nous».