Les islamistes algériens convoitent le modèle turc
Le courant islamiste en Algérie refuse de faire la moindre concession en vue d’assurer une véritable alternance politique.
Le mouvement islamiste algérien réussira-t-il à prendre conscience et évoluer pour devenir un mouvement nationaliste? Ou, agira-t-il comme un mouvement d’une province du Moyen-Orient où sévit un islamisme souffrant de la dépendance des sultans, de la corruption et de l’instabilité? De l’avis de nombreux spécialistes de cette mouvance, ces questions constituent le fond du problème auquel est confronté le courant islamiste algérien. Un courant qui se trouve sans projet de société mais qui a le regard braqué sur les expériences des autres qui le mèneraient au pouvoir. Les islamistes algériens convoitent le modèle turc, après avoir empruntés celui des Frères musulmans égyptiens et afghans. S’exprimant dans les colonnes de L’Expression dans un entretien, l’Américain William Quandt Pr de sciences politiques, a soutenu qu«’au pays de Mustafa Ataturk, les protagonistes que sont l’armée au pouvoir et l’opposition islamiste ont tracé des lignes rouges à ne pas franchir. Ces lignes ont pour but de préserver le pays commun et l’avenir commun». Alors qu’en Algérie, a-t-il expliqué, le courant islamiste refuse de faire la moindre concession en vue de bâtir un front capable d’assurer une alternance politique. Laquelle alternance serait susceptible de traduire les revendications du peuple en un projet de société. Selon le même intervenant, après une cinquantaine d’années de sacrifice et de lutte politique, la Turquie a enfin su réconcilier et réunir militaires et islamistes pour bâtir un régime où chacun trouve son compte. «Mettant la préservation des intérêts du peuple et le développement de leur pays au premier plan des actions de leur gouvernement, les Turcs s’en sortent bien», a-t-il expliqué, avant d’ajouter qu’aujourd’hui, l’expérience turque, saluée par l’Occident, attire bien des convoitises. L’expérience turque est présentée comme un exemple de cohabitation entre les courants islamistes et l’armée qui contrôle le champ politique. «Cette cohabitation a permis à la classe politique turque d’évoluer vers le réalisme et le modernisme», a indiqué, pour sa part, Mustapha Saïdj, Pr de sciences politiques à l’Université d’Alger. Et de poursuivre, dans le même contexte, qu’en Turquie, les appartenances ethniques, culturelles et territoriales caractérisant les identités des individus et des nations sont mis de côté au profit de l’intérêt commun des Turcs. Selon le professeur, l’Armée turque a compris que son champ politique doit être impérativement partagé avec l’opposition, représentée par les islamistes. «La grande muette en Turquie a compris le contexte international actuel qu’elle a jugé comme une donnée à laquelle elle ne pourrait pas tourner le dos», a affirmé le Pr William Quandt. Dans le cas de l’Algérie, la situation est différente. Pour des raisons idéologiques et d’intérêt personnel, les islamistes algériens rejettent le costume de la cohabitation. «Le courant islamiste ne se soucie que des échéances électorales, d’où les dissensions et alliances contre nature s’opérant avec d’autres forces politiques à l’approche de ces dernières», a-t-il noté. De son côté Anis Nakache, président des réseaux sociaux libanais, a fait remarquer que l’islamisme turc n’est pas un modèle ni pour l’Algérie ni pour les autres pays arabes. Car, a-t-il dit, la Turquie est à moitié européenne aussi bien du point de vue culturel qu’historique. L’avènement de la République en Turquie avec ses principes et sa philosophie ne date pas d’hier. C’est dire que la démocratie turque sous les couleurs de l’Islam est le résultat d’un demi-siècle de lutte et d’affrontements culturels avec l’Europe. Donc, plaider pour un islamisme à la turque dans le Monde arabe relève d’une maladresse politique, puisque tenter de calquer des modèles de gestion politique, économique et social, ne correspondait pas aux aspirations des peuples, mais ils lui seraient imposés.