Mort d’une leucémie il y a tout juste cinquante ans, le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans, le Martiniquais Frantz Fanon a symbolisé la violence révolutionnaire comme mode de libération. Adulé ou décrié, cet essayiste virulent a marqué son époque.
Du haut de son mètre soixante-cinq, Frantz Fanon était une boule de colère et de détermination, un modèle d’engagement. Défenseur de l’opprimé, du méprisé, du colonisé, il prônait la violence révolutionnaire comme unique recours pour briser les chaînes de la servitude. Excessif, cassant, intransigeant, peu porté sur la diplomatie, il avait le courage de ses idées, qu’il exprimait avec une agressivité et une rage contenues. Homme des ruptures définitives avec tout ce qui ne correspondait pas, ou plus, à sa vision du monde, Fanon était aussi bourré de paradoxes. Il pouvait réciter avec fierté des passages entiers du Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire, son ancien professeur au lycée Schœlcher de Fort-de-France, et rejeter le concept de négritude, ce « mirage noir ».
Lui qui ne croyait ni en l’existence d’un peuple noir, ni en celle d’un passé à sublimer combattait l’aliénation des Noirs qui avancent le visage caché derrière un masque d’emprunt et s’apprécient, ou se déprécient, au travers du regard des autres. Fidèle à ses principes, il n’a reculé devant rien pour défendre ce qui était le plus important à ses yeux : la liberté, la justice, la dignité. Et s’il est devenu l’une des figures emblématiques de ce qu’on appelait, dans les années 1950-1960, le tiers-mondisme, avec, comme paradigme, le droit à l’autodétermination des peuples, c’est surtout grâce à la guerre d’Algérie. Il fut même un temps où certains n’hésitèrent pas à voir en lui un Che Guevara… Favorable au panafricanisme, il était opposé à la création d’États supranationaux, privilégiant les alliances entre États-nations.
Très jeune, Frantz Fanon avait déjà l’âme d’un combattant. N’a-t-il pas pris, à 17 ans, alors que la Martinique était contrôlée par des pétainistes, le chemin de la résistance gaulliste ? L’envie de défendre la liberté l’a poussé, en 1943, à s’enrôler dans un bataillon antillais appelé à combattre en métropole. Il sera blessé, cité à l’ordre de sa brigade, décoré de la Croix de guerre. Mais cette guerre l’a révolté. Il n’y a vu qu’une chose : le soldat Fanon, d’un côté, des soldats blancs, de l’autre. Il écrit à sa famille : « Je me suis trompé ! Rien ici, rien qui justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout. » Après la guerre, il regagne la Martinique, mais revient dès 1946 en métropole, entreprend des études de médecine et se spécialise en psychiatrie. Il est affecté en 1953 à l’hôpital psychiatrique de Blida (Algérie).