Après la déculottée des municipales du 29 mars dernier, la gauche française bat désormais à mains nues.En effet, c’est l’image d’une France réticente, en colère et ayant peur d’avancer qui sort des urnes «il faut être lucide, c’est une gifle sans précédent, le gouvernent doit agir et en tirer vite les conséquences» c’est en ces termes amers, défaitistes et durs que le désormais ex-maire P.S de Toulouse Pierre Cohen, pourtant porté quelques semaines auparavant grand favori des sondages aurait dépeint le dernier désastre de la gauche.
Les militants de la majorité crient leur rancœur et s’estiment lésés par une déroute gouvernementale et une vision globale peu claire, plutôt confuse des enjeux de la France en haut lieu. A part la métropole parisienne qui a vu Anne Hidalgo défiler en fanfare sur les pas de l’ancien maire socialiste Bertrand Delanoë, la majorité des grandes villes ont viré à tribord (Montpellier, Lille, Toulouse). A mots à peine couverts, c’est Hollande lui-même qui a été désigné à la vindicte populaire, un avertissement prémonitoire d’un électorat déçu, après presque deux ans de tergiversations! En plus, la situation est intenable, la débâcle trop lourde pour être gérée politiquement, on ne sait plus là où l’on se dirige et on se lance dans des pronostics et des conjectures à tout venant!
Néanmoins, sans grande surprise, la vague bleue a essaimé sur l’Hexagone et emporté le peu d’espoir qui reste au camp socialiste. Pour certains, c’était déjà prévu (les appels incessants au limogeage de Jean-Marc Ayrault, pointé du doigt pour sa mollesse et l’inefficacité de sa méthode du travail n’ont pas eu l’écho souhaité, l’improvisation ou l’impréparation de Harlem Désir, le premier secrétaire du P.S au défi de campagne pour les municipales est avérée), pour d’autres c’est un camouflet global d’autant plus préoccupant qu’ils en appellent à une massive mobilisation en vue des européennes du 25 mai prochain, préparer le terrain, investir en masse dans les bas-fonds de la France, faire barrage à la montée du Front National de Marine le Pen dont la percée reste selon le leader du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon à «relativiser», devient le leitmotiv et le mot de ralliement d’une majorité éperdue d’angoisse, peu cohérente et déjà projetée sur l’échéance présidentielle de 2017!
Ainsi le principal concerné, le président Hollande s’entend jusque-là taciturne et circonspect en a-t-il pris acte, le très discret Jean-Marc Ayrault est vite viré et le très populaire des ministres de ce dernier, en l’occurrence, Manuel Valls est appelé aux manettes! Mais par-delà cette promotion-surprise mais attendue de longue date de l’ancien ministre de l’intérieur à l’Hôtel Matignon, s’agit-il pour Hollande d’un changement de personne ou d’un changement de stratégie? Aucune version n’en a filtré pour le moment mais peut-être serait-ce tout simplement une question d’énergies contradictoires entre un premier ministre volontaire et plein d’allant et un président, jugé d’en bas «mou» mais fort intelligent!
Sans l’ombre d’un doute, recoudre par des points de sutures les déchirures de la grande famille de gauche, ajuster les anomalies économiques d’une France peu accroc aux enjeux de la compétitivité (voir mon article le grand embarras de la gauche française , le Quotidien d’Oran N° 5832 du 30 janvier 2014 ), relancer le pacte républicain, donner du tonus à un gouvernement inerte, répondre à l’aspiration des français dont le chômage, le coût de vie et l’impact de la crise ont trouvé ces derniers temps leur dénominateur commun dans la colère est la mission que s’est assignée le locataire de l’Élysée « c’est un gouvernement de combat!» confesse-t-il. Mais pourquoi la France se droitise-t-elle de façon inquiétante et les idées de l’extrême droite gagnent-t-elle des galons de plus? La réalité des faits est que, contrairement à son père qui s’est appuyé en particulier sur des élites embourgeoisées, des caciques et des nostalgiques de la colonisation, Marine le Pen aurait pris tout un autre chemin, plus sournois et plus tactique en rajeunissant les structures de son parti et en opérant des «liftings» dans ses structures. Preuve en est que son parti se soit fortement mobilisé lors des dernières municipales en présentant des candidats dans toutes les villes dont le nombre d’habitants dépasse les 100 000! Une première dans les annales d’un parti aussi minoritaire que le F.N! De plus, le discours adouci et pragmatique de sa jeune leader a sonné fort, contexte de la crise oblige, dans les oreilles des classes moyennes et surtout des couches défavorisées de la société!
Par les temps qui courent, la gauche plongée dans ses guéguerres (bras de fer entre Valls et les écologistes, Cécile Duflot a même refusé le poste du ministre de l’écologie, cédé in extremis à la revenante Ségolène Royale, ex-candidate aux présidentielles de 2007) laissent une marge de manœuvre et un temps de récupération aux tendances extrêmes à gauche comme à droite. Et puis, chose incompréhensible du reste, comment Hollande, l’adepte de la stratégie de croissance dont le slogan «le changement, c’est maintenant» a fait rêver la majorité de ses compatriotes un certain 6 mai 2012 vire-t-il aujourd’hui sa cuti en choisissant comme premier ministre Valls, un social-démocrate, qui n’a jamais caché sa volonté de changer même le nom du parti socialiste? Ne s’agit-il pas d’un clin d’œil du côté de l’opposition (l’U.M.P, le F.N) qui y voient un alignement de la politique gouvernementale sur leur approche de gestion (sécuritaire notamment)? En vérité, il en ressort que le gros lot de la classe politique hexagonale est sceptique quant à la démarche de Hollande, son indécision chronique, les signes de faiblesse qu’a donné son ancienne équipe, la lenteur des réformes promises (par exemple celles de Vincent Peillon, ex-ministre de l’éducation trop brocardé sur sa gestion chaotique des rythmes scolaires), les scandales successifs (Cahuzac, Leonarda, la grosse bourde de la garde des sceaux Christiane Taubira quant aux fameuses écoutes téléphoniques sur les communications de l’ancien président Nicolas Sarkozy), la courbe du chômage qui, en ascension constante, se joue sur des petites fourchettes (en février dernier à titre d’exemple, au moins 31 500 nouveaux inscrits sont enregistrés au Pôle Emploi!) ont suscité de vives inquiétudes même dans le propre camp du président. De même, au lendemain de l’annonce du pacte de responsabilité où le président Hollande a donné de larges concessions aux patrons et aux chefs d’entreprises, les cartes sont rebattues et la majorité des citoyens s’interrogent sur cette histoire de 50 milliards d’euros à engranger d’ici l’horizon 2017, un chiffre pourtant infiniment plus petit par rapport à la dépense publique annuelle de l’Etat, environ 1200 milliards d’euros! (voir à ce sujet Sophie Fay, 50 milliards d’euros à trouver, la méthode Hollande est-elle la bonne ? Nouvel Observateur, avril 2014).
Serait-il question alors de resserrement de boulons dans les années à venir? La France se dirigerait-elle vers des plans d’austérité des plus durs qu’elle n’ait jamais connus jusque-là ou remonterait-elle la pente sous l’effet des opérations chirurgicales non dévoilées au grand public, de marque bien sûr hollandaise pur sang? Rien n’est moins sûr d’autant plus que Valls, rocardien dans l’âme (franc-parler, rigueur et sévérité) n’y va par quatre chemins pour dicter l’ordonnance social-démocrate sur le modèle germanique à une machine économique en panne d’idées et de perspectives, une option qui risque, il faut bien le préciser, de creuser davantage le fossé entre un président de plus en plus impopulaire et une base citoyenne, frondeuse et en ébullition! Cependant, la grande surprise dans le gouvernement Valls reste décidément la promotion de Arnaud Montebourg, éternel frondeur de la mondialisation, au maroquin d’économie dans une équipe qui, de toute évidence, prône tout sauf «l’anti-mondialisation»! Ce dernier persévérerait-il alors dans ses réquisitoires contre le capitalisme ou cautionnerait-il les choix de son gouvernement, largement aux antipodes de ses visions? A priori, la seconde option est la plus plausible.
Il semble au final que le système-Hollande bat en retraite en tentant de préserver le dernier quart d’une légitimité qui évolue en dents de scie et que «le président normal», mitterandien dans l’esprit (parfaite discrétion, élégances du langage, communication par messages codés), joue les prolongations en ces temps de vaches maigres! Si ce dernier arrive à tenir le souffle, ce n’est que très difficilement. Car, les politiques de rattrapage économique telles que les rabots budgétaires, les coupes drastiques dans les régimes spéciaux, ou cette ingénieuse idée de redécoupage administratif des régions ne sont pas forcément, du point de vue citoyen, les bonnes recettes face à un front social qui se précarise chaque jour davantage. De même rogner sur la sécurité sociale et le régime de retraite ne convainc pas grand-monde en Hexagone. Mais après tout, une question se pose avec acuité, Manuel Valls serait-il vraiment ce bémol qui compenserait le peu d’énergie présidentielle? C’est trop tôt pour le prédire mais au moins une évidence se profile à l’horizon : avec cette nomination, le président Hollande a fait un grand virage à droite!