Franck Renaud, réalisateur français, à l’Expression : « J’ai posé un regard sur l’Algérie… »

Franck Renaud, réalisateur français, à l’Expression :  « J’ai posé un regard sur l’Algérie… »
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Il a été projeté durant les Rencontres cinématographiques de Béjaïa qui se sont déroulées du 9 au 15 septembre dernier. Makach Mouchkil est le nom de ce documentaire. Son réalisateur Franck Renaud, suit Mounya, actrice, dans sa quête d’identité jusqu’en Algérie qu’elle n’a pas vue depuis 20 ans. Retour donc au bercail. Au fur et à mesure que le film avance, le réalisateur s’interroge sur lui-même, lui dont le rapport au père n’a pas été si évident au tout début.. Du Nord de l’Algérie au Nord de la France, de la France à l’Algérie, la caméra comme témoin des rires et les larmes de chacun des battements de coeur de ces deux antagonistes va nous plonger dans deux mondes différents, mais si proches en réalité. Outre le questionnement sur les origines, ce film aborde aussi la nécessité de réconciliation avec soi-même pour se reconstruire. D’où ce format un peu brouillon, sur lequel plane un verbiage un peu trop présent, des interrogations entêtantes, mais un scénario bien écrit au final sur ce patchwork humain et ces rencontres avec l’Autre. Mounya et Franck se cherchent tous deux des repères, sur quoi s’accrocher, une terre, une langue, des chants, des visages familiers. Des gestes, des sourires. Se dessine tout doucement cette cartographie commune des sentiments, du vivre ensemble, de l’altérité et de l’intime.

L’Expression: Ma première question si j’oserai c’est pour vous demander, est-ce que ça va mieux? Vous êtes-vous enfin retrouvé?

Franck Renaud: Ce film est effectivement une sorte d’auto analyse, c’est un peu une auto-fiction, c’est-à-dire que c’est nous et pas tout à fait nous.

Dans tous les cas pour ma part, le fait de faire ce film a été salvateur. C’est la première fois que je mets en scène comme ça, que je m’expose. J’avais peut-être besoin de ça pour comprendre qui je suis, faire un bilan devant les spectateurs à la charnière de mes quarante ans. J’avais besoin de me moquer de moi-même, de mes doutes, de mes angoisses. C’est une belle et grande étape, qui me permet de me définir, de m’affirmer encore plus en tant que réalisateur et en tant qu’être humain. Affirmer ce qui peut paraître évident, mais qui ne va pas de soi, sur le besoin de l’Autre pour avancer. C’est une vraie question politique.

LG Algérie

Mon intention était de faire un film qui pose un regard, au final, bienveillant sur les êtres pour aller contre la haine des Autres qui menacent. Dire qu’on fait ce que l’on peut pour faire notre parcours de vie avec le bordel des origines quelles qu’elles soient: sociales, géographiques…

Pourquoi avoir choisi Mounya Boudiaf comme «miroir ou révélateur de vous-même»?

C’est une rencontre et pas directement un choix. J’ai rencontré Mounya lors d’un précédent film, un court métrage de fiction (qui a d’ailleurs était programmé il y a deux ans à Béjaïa qui effleurait la guerre d’indépendance). Je n’avais aucun lien avec l’Algérie, sinon de l’incompréhension et de la colère face à l’Histoire. Cette rencontre m’a permis d’aller plus loin dans mon envie de découvrir ce pays. J’ai découvert l’Algérie par l’Histoire passée, je voulais découvrir l’Algérie d’aujourd’hui. Avec Mounya, nous sommes tombés d’accord pour faire le voyage. Mounya n’y était pas revenue depuis 20 ans et moi je n’avais jamais passé la Méditerranée. Au fil du film, nous comprenons que nos familles quoique différentes ont plein de points communs. Qu’au final, des familles restent des familles… Au début je ne devais pas être dans le film, je voulais rester caché derrière la caméra et puis pour «aider», accompagner Mounya je me suis petit à petit mis en scène. C’est plutôt Mounya qui m’y a encouragé. Elle est actrice, metteuse en scène, je suis réalisateur et acteur de formation. Donc un duo artistique est né. Nous sommes presque un duo de clowns; elle le clown poétique, moi le clown dérisoire.

Votre film est un peu déroutant dans la forme. Mais on arrive petit à petit à recomposer le puzzle comme Mounya qui recolle les morceaux de sa famille, de qui elle est, à qui elle appartient et vous aussi. Ce que je veux dire est que le documentaire est truffé d’aspects incertains, de doute, de remise en question, autant sur le plan générationnel, identitaire que sur la notion du genre à un moment donné en parlant des femmes et là on vous voit maquillé. Etrange séquence. Pourquoi ce dernier choix? Est-ce parce que la comédienne aussi parle de femmes dans sa pièce?

C’est intéressant ce que vous avez ressenti, car c’est exactement ce que j’ai voulu faire au final. En général les documentaires montrent une réalité déjà prédigérée par le réalisateur, un point de vue sur le réel nous est montré. Mon point de vue était d’essayer de faire un film qui doute et fait douter le spectateur pour que lui-même dans cet inconfort se questionne sur sa propre identité.

Le film a une forme éclatée, avec différentes manières de raconter. Nous sommes à la fois en immersion, puis parfois en distance surtout avec mon personnage. Mon personnage, je l’ai écrit presque comme un personnage de fiction.

Pourquoi me mettre en scène en double féminin? C’était une manière d’évoquer, le poids des hommes dans la vie des femmes de manière comique et troublante en même temps. Comme si je me posais vraiment la question et si j’étais une femme comment je vivrais tout ça? C’est la réponse aussi à cette séparation Homme/Femme où j’ai eu envie que tous les genres se mélangent le premier, le deuxième et le troisième sexe…Cela rejoint effectivement les questions que posent aussi Mounya au travers de la pièce qu’elle a monté La haine des femmes.

Est-ce qu’on peut dire que maintenant la boucle est bouclée avec la projection de ce film à Béjaïa?

Oui, en quelques années, un petit lien s’est tissé avec l’Algérie, et le film n’aurait pas pu se terminer sans l’aide, le soutien, la bienveillance du festival et son équipe. Il y a un jeu de regards. Modestement, j’ai posé un regard sur l’Algérie, et ici les Algériens ont regardé ce regard que j’ai posé.

C’était émouvant, lors de la projection ici à Béjaïa, j’étais stressé de l’accueil. J’avais peur de ne toujours pas être légitime. Mais au final, c’est surtout des histoires de familles et d’art.

Enfin, n’avez-vous pas eu peur que le danger avec votre film, qu’il soit perçu comme un film de famille et moins comme un documentaire d’investigation réelle?

Comme je l’ai dit c’est la première fois que je fais un film autobiographique, et que je filme de si près une actrice et sa famille. J’ai eu parfois peur que nos histoires soient trop personnelles pour toucher le spectateur, mais au final, ce que j’ai essayé de toucher c’est la dimension universelle de nos histoires de quête identitaire. Quant à la fin de la projection, des spectateurs viennent me parler de leurs histoires, de leurs familles, je ne peux qu’apprécier que le film ait pu toucher des points de leurs propres histoires et que le miroir leur soit tendu à leur tour. Le film dans sa forme effectivement, n’est pas journalistique. C’est une forme de cinéma hybride, assumée. Nous venons tous les deux du théâtre et la forme assume le récit du film comme un récit de théâtre.

Le film alterne immersion et introspection. Avec un final autour d’un repas comme dans plein de films français. Mounya est filmée en mouvement (le cadre est heurté parfois en très gros plan), parfois la caméra se pose, mais sa parole est toujours en mouvement. Moi je suis filmé de manière plus classique pour marquer naturellement que mon identité est plus simple. Mes angoisses sont plus mises à distance, aussi parce que je suis un peu plus vieux que Mounya et que ce travail d’introspection avait déjà commencé hors caméra.