Francis Perrin, expert international en énergie : “L’Italie et l’Espagne, la priorité pour Sonatrach”

Francis Perrin, expert international en énergie : “L’Italie et l’Espagne, la priorité pour Sonatrach”

Francis Perrin est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS.) Dans cet entretien, il nous livre des éléments d’analyse sur le renouvellement des contrats gaziers qui lient l’Algérie à ses clients traditionnels en Europe. 

Liberté : L’Algérie vient de renouveler ses contrats de livraison de gaz avec la plupart de ses partenaires européens. Dans quelles conditions contractuelles et de prix ce genre d’accord se négocie-t-il aujourd’hui ?

Francis Perrin : On ne dispose pas de tous les éléments concernant ces contrats qui ont été renouvelés notamment avec Eni pour le marché italien, avec Gas Natural Fenosa pour le marché espagnol et avec Galp pour le marché portugais. Un point commun, cependant, est le fait que les contrats gaziers signés actuellement et dans la période récente ont tendance à être d’une durée plus courte que dans un passé plus lointain. Dans le cas des trois contrats ci-dessus, on est à présent sur une dizaine d’années pour chacun d’eux. La vitesse des évolutions dans le paysage énergétique mondial et la montée des incertitudes expliquent cette volonté des acteurs concernés de ne pas s’engager pour des durées aussi longues que par le passé. Il y a aussi une volonté d’une plus grande flexibilité.

Comment analysez-vous le fait que la France soit le seul pays à tarder encore à renouveler son contrat gazier avec l’Algérie ?

On ne peut pas à ce stade faire trop de déductions par rapport à ce calendrier. Lorsqu’on est engagé dans des négociations avec plusieurs acheteurs de gaz naturel dans divers pays européens, il est normal que certaines d’entre elles avancent plus ou moins rapidement. Cela dit, pour Sonatrach, la priorité était l’Italie et l’Espagne. En 2018, le marché italien a absorbé 35% des exportations gazières de l’Algérie et le marché espagnol 31%. La part de la France n’était que d’un peu moins de 8% en 2018. De plus, les approvisionnements gaziers français sont très diversifiés car la France compte quatre terminaux de réception de gaz naturel liquéfié (GNL), ce qui permet à Engie d’importer du gaz de plusieurs sources, en plus des importations par gazoduc. La part de l’Algérie sur le marché gazier français est moins importante que pour les marchés italien et espagnol.

Comment la physionomie du marché mondial du gaz en termes de concurrence et de prix se présente-t-elle aujourd’hui ? 

Il n’y a pas encore un grand marché gazier mondial, mais plutôt trois grands marchés régionaux (Amériques, Europe/Russie et Asie). Cela dit, le développement du GNL a tendance avec le temps à réduire les frontières entre ces trois marchés principaux. Une autre évolution-clé est la montée en puissance du gaz non conventionnel aux États-Unis. Ce pays est devenu en 2017 un exportateur net de gaz naturel, et cette tendance va s’accentuer de façon considérable dans les années qui viennent. Les États-Unis deviendront à terme l’un des trois plus grands exportateurs mondiaux de GNL, les deux autres étant le Qatar et l’Australie. Une autre tendance est que plusieurs pays vont entrer sur le marché du GNL. Ce sera par exemple le cas en Afrique, dans les cinq prochaines années au plus, du Sénégal, de la Mauritanie, du Mozambique et de la Tanzanie. La Méditerranée orientale devrait aussi entrer dans ce bal. Une concurrence croissante déjà perceptible et qui va s’accentuer, surtout grâce à ces nouveaux approvisionnements en GNL. Cela pousse Gazprom, premier exportateur de gaz sur le marché européen, à être plus agressif commercialement pour maintenir ses parts de marché. C’est donc dans un contexte beaucoup plus concurrentiel que les contrats entre Sonatrach et plusieurs de ses clients européens ont été renouvelés.

L’ère des contrats gaziers de long terme est-elle définitivement révolue ?  

Tout dépend évidemment de la façon dont on définit le long terme, car il y a une dose de subjectivité dans ces termes. Ce qui est clair, c’est qu’il y aura de moins en moins de nouveaux contrats signés pour 20-25 ans, comme cela était souvent le cas dans le passé. En revanche, compte tenu de la lourdeur des investissements dans l’industrie gazière, notamment le gaz naturel liquéfié, les pays et les industriels concernés continuent à penser qu’il faut des contrats d’une certaine durée pour permettre le financement des investissements. Mais “une certaine durée” signifie une durée moindre que par le passé.