Une vie pour la philosophie, une philosophie pour les causes justes.
A 87 ans, le philosophe français Francis Jeanson risque de tirer sa révérence dans l’anonymat.
Jusqu’au bout, l’intellectuel a parié pour exister car, selon lui «les hommes n’existent qu’au prix de parier sur leurs propres chances d’exister».
Ainsi se déclinait pour Francis Jeanson la foi d’un croyant.
Pour M.Jeanson, le combat n’avait de sens que quand il était mené pour des causes justes.
Homme de réflexion et d’action, la «Voix dissidente» s’engage pleinement dans la lutte du peuple algérien pour son indépendance.
Dans un hommage rendu au philosophe, Marie Ulloa, historienne, révèle: «En 1957, alors qu’il dirige la collection Ecrivains de toujours aux éditions du Seuil, il entre dans la clandestinité anticolonialiste et s’engage, pleinement, aux cotés du FLN. Trois ans plus tard, le procès du « Réseau Jeanson » révèle à la France entière le visage et le choix de ceux qui ont décidé de combattre pour préserver les idées républicaines».
Fondateur du réseau de porteurs de valises pour le FLN, l’éminence grise a su rallier à son action d’illustres intellectuels, artistes et militants français.
Parmi les 4000 membres que comptait le réseau, figuraient les noms de Jacques Charby, Georges Arnaud, le père Davesies et Hélène Cuénat.
Le procès qui devait condamner les esprits engagés, pour leurs convictions, a constitué un rappel à l’ordre historique pour la France coloniale aux idéaux de la révolution française.
Né en 1922, Francis Jeanson a grandi dans une période (entre les deux guerres mondiales) qui a eu un impact décisif dans sa manière d’appréhender les conflits qui ont marqué le siècle précédent.
En 1943, M.Jeanson rejoint les rangs des Forces françaises libres. Pour ce faire, le jeune résistant a dû s’évader de France pour fuir le Service du travail obligatoire (STO).
Imposé par l’Allemagne nazie, le STO permettait la réquisition et le transfert, obligatoires, de milliers de Français au pays du IIIe Reich.
Arrivé en Espagne, il y découvrira, à son corps défendant, les conditions, inhumaines, d’internement dans les camps.
Entrant en Algérie via le Maroc, M.Jeanson fut bouleversé par la boucherie du 8 Mai 1945.
Epris de liberté, le philosophe s’opposa farouchement à la théorie d’Albert Camus qui soutenait que le stade final des révolutions n’était autre que la négation des libertés.
Inspiré de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, Francis Jeanson croyait fermement que le sens de l’humanité était dans la lutte contre l’oppresseur et le système qui a secrété l’oppression.
En 1955, Francis Jeanson publie, avec sa femme Colette, l’Algérie hors-la-loi.
Révolutionnaire, la publication souleva un tourbillon intellectuel et politique qui a fortement contribué à rendre visibles les mouvements de décolonisation à travers le monde.
Quarante ans après l’Indépendance de l’Algérie, le philosophe invitait la classe politique et intellectuelle française à faire un diagnostic honnête de la période coloniale.
Dans un entretien accordé au quotidien français, Le Monde le 28 mai 2001, Francis Jeanson déclarait: «La vraie question est: pourquoi faisions-nous la guerre au peuple algérien? Au nom de quel intérêt ?».
La réponse à cette interrogation implique une libération mutuelle de l’Algérie et de la France, d’un passé qui ne cesse de peser dans le présent des deux pays. Mais cela est une autre histoire.