Sentiment ■ A 17 ans, Yassine a «décroché» de l’école et ne se fait plus d’illusions sur son avenir. Comme beaucoup de jeunes des banlieues défavorisées aux portes de Paris, il s’estime victime d’une discrimination sociale.
«L’école, c’était trop dur», dit l’adolescent timide, le visage barré d’une mèche rebelle, qui rêvait d’obtenir son baccalauréat puis de faire des études universitaires. «J’ai redoublé, et puis j’ai arrêté». Malgré le froid, il traîne, désœuvré, avec un ami, au pied des immenses tours de Bobigny, barres de béton construites à l’origine pour offrir des logements décents aux familles à revenus modestes, devenues aujourd’hui le symbole du mal-être des cités défavorisées où vit en majorité une population issue de l’immigration.
Dans les allées reliant ces immeubles se déroulent souvent des trafics de drogue la nuit. «Si je vais voir un patron, avec mes origines et la zone où j’habite, il va difficilement m’engager», dit Yassine. De fait, les difficultés sociales sont plus accentuées dans ces quartiers dits sensibles, où vivent 4,7 millions de personnes, soit environ 7,5 % de la population française. La pauvreté y est trois fois plus élevée qu’ailleurs, l’illettrisme quatre fois plus important (12% en 2012), le taux de chômage est de 24% contre 10% environ au niveau national. «Oui, on a jeté les immigrés dans les cités comme si c’étaient des animaux en cage dans un zoo», déplore Mohamed.
Dans ces cités minées par la délinquance, «c’est la misère, le manque d’argent, et cela pousse les jeunes à commettre des actes illicites, des braquages», ajoute ce jeune homme de 32 ans. «Si je m’appelais Jean-Charles et que j’étais un blond aux yeux bleus, je trouverais du travail plus facilement», soutient-il. Lors de leur recherche d’emploi, les jeunes de ces quartiers disent cumuler plusieurs handicaps: rareté des offres (66%), manque d’expérience (58%), manque de réseaux professionnels (36%) et difficultés liées au lieu de résidence (9%). «Un jeune issu de ces quartiers a trois fois moins de chance de trouver un travail», souligne Nadir Kahia, président de l’association «Banlieue plus» qui s’investit avec les jeunes de ces cités. Ce dernier réclame de «vraies mesures pour casser l’apartheid», expliquant qu’on parle de «Mur périphérique» séparant ces cités de Paris. Pour lui, la première des priorités est l’éducation. «Beaucoup de jeunes sont déscolarisés, marginalisés, en échec scolaire», souligne-t-il. Nadir Kahia estime que «la politique d’intégration ou d’assimilation a échoué, parce que les politiques n’ont pas considéré les habitants des quartiers populaires comme des citoyens à part entière, des citoyens égaux». Dans le même temps, «de plus en plus de jeunes de ces quartiers réussissent, ce qui leur permet d’accéder à la classe moyenne», souligne M. Kahia. Mais le «premier réflexe» de ceux qui réussissent est de quitter ces quartiers, déplore l’écrivain Rachid Santaki, un enfant de ces cités. «Il existe un ghetto mental», souligne ce jeune homme qui multiplie les initiatives dans ces quartiers, en organisant par exemple des dictées, estimant que la culture peut renforcer le lien social. Cette discrimination a été comparée par le Premier ministre français Manuel Valls à l’apartheid.

Reportage AFP