Le marché, estimé à cinq milliards d’euros, est trop alléchant pour échapper aux convoitises. Tout le monde s’y met. L’arnaque pendant le Ramadhan rapporte beaucoup, et avec l’absence d’un cadre juridique, tous les coups sont halal.
Conserves, surgelés, produits cosmétiques… tout y est. Le halal bat les records de vente. Le marché serait plus conséquent que celui du bio. A l’origine de cet engouement, une forte demande mais aussi une absence unique de certification.
Pour rappel, le label halal n’est censé s’appliquer qu’à la viande issue de bêtes égorgées en direction de La Mecque, vidées de leur sang et que le sacrificateur prononce une prière au moment de l’abattage. Mais à mesure qu’il croît et que ses acteurs se multiplient, le marché échappe toujours à une réglementation incontestée malgré les consignes édictées par les trois plus grandes mosquées de France (Paris, Lyon et Evry).
Contrairement aux produits casher, garantis par le consistoire central des juifs de France, il n’existe pas dans l’Hexagone de label halal, reconnu par l’ensemble de la communauté musulmane, estimée à environ 5 millions de personnes, soit la plus importante d’Europe.
Les grandes enseignes ont compris, avec du retard, la niche commerciale que représente le secteur. Toutes s’y sont engouffrées. Casino a créé sa marque Wassila et Carrefour propose la gamme Sabrina. Le halal se cache de moins en moins. Des rayons entiers lui sont consacrés dans les grandes surfaces.
Il est pas bon mon halal ?
Halal est aussi une vitrine. «C’est une porte qu’on essaie d’ouvrir, une manière d’attirer l’attention du consommateur musulman, mais n’importe qui ne peut pas faire n’importe quoi.
Il faut un cahier des charges unique, une certification unique et un logo unique», remarque cheikh Al Sid Cheikh, assistant du recteur de la Mosquée de Paris. Pour l’instant, la certification unique n’est pas à l’ordre du jour.
La certification halal, «c’est un métier, pas une affaire de mosquée. Aujourd’hui, en France, on est dans l’autocontrôle», se désole Ala’a Gafouri, qui a créé le Halal institute of food management industry (HIFMI) pour former des sacrificateurs et des contrôleurs. Selon lui, 80% des produits étiquetés halal ne le seraient pas réellement, notamment dans les marques de distributeurs des grandes enseignes. Mosquées, associations rituelles qui leur sont rattachées ou organismes indépendants peuvent certifier les produits.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) voudrait mettre en place un «référentiel technico-halal» quand d’autres organismes appliquent déjà leur propre label. Le prix de la certification varie en fonction des volumes de viande.
Quelle est donc la cible ?
«Le consommateur halal est aujourd’hui typiquement une femme ou un homme issu de l’immigration, socialisé en Occident, pour qui être musulman est devenu un enjeu identitaire, une façon de sortir du stéréotype de l’Arabe assimilé aux classes populaires et dangereuses.
Aujourd’hui, le halal est le produit d’une ascension sociale et culturelle combinée à une stagnation économique due à des pratiques d’exclusion que les générations issues de l’immigration continuent de subir, mais que certains jeunes entrepreneurs musulmans savent désormais instrumentaliser à leur avantage», analyse, dans Libération, Florence Bergeaud-Blackler, sociologue et experte en commerce international.
Pour la sociologue Dounia Bouzar, le marché halal est victime de son succès. «On assiste à des dérives purement mercantiles parce que certains ont bien vu les possibilités de profit.
On a des générations entières qui croient que si elles ne mangent pas halal elles iront en enfer», explique l’universitaire, qui déplore que le qualificatif «halal» soit aujourd’hui accolé à toutes sortes de produits, alors qu’il devrait être réservé à la viande. Le marché aimant le flou juridique, la niche est devenue très courtisée.
En jouant sur le principe, des entreprises ont développé des lignes entières de produits, des cosmétiques aux conserves ou aux surgelés ne contenant pas forcément de viande. Le bizness est halal.
Rémi Yacine