Vivre en France, c’est plus qu’un souhait pour nos jeunes d’aujourd’hui. C’est un rêve, un fantasme. Certains, aventureux et accrochés aveuglément à leur objectif, traversent la Méditerranée sur des barques de fortune, au péril de leur vie, afin d’atteindre l’autre rive en quête de conditions de vie meilleures.
Tous les moyens sont bons pour quitter le pays. Pourtant, de l’avis de la plupart des jeunes qui vivent illégalement sur le sol du vieux continent, il ne fait plus bon vivre en Europe. Notre rencontre avec des jeunes Algériens et Maghrébins en situation irrégulière dans quelques grandes villes de France, comme Paris, Lille et autre le Havre, nous renseigne davantage sur la situation de ces jeunes qui, à la fleure de l’âge, affrontent la misère, le mal-vivre et l’humiliation au quotidien. La plupart sont instruits et ont obtenu des diplômes universitaires. Le racisme, de plus en plus prononcé avec la montée spectaculaire dans les sondages d’opinion des idées d’extrême droite, rend chaque jour un peu plus aléatoire leur rêve de voir leur situation se régulariser.
Le sans-papiers, étranger dans son pays d’accueil, vit dans des conditions sociales difficiles. Ceux qui ne possèdent pas de titre de séjour, donc pas de permis de travail, se retrouvent dans des conditions autrement plus compliquées. Les Algériens sans papiers représentent une partie importante de notre communauté établie dans ce pays d’accueil.
A Paris, ville dite lumière, la vie n’est pas vraiment en rose pour les émigrés, y compris ceux qui sont en situation régulière. «Je vis ici depuis plus de quatre ans sans papiers, et l’idée de retourner au bled commence à germer dans ma tête. Je ne peux plus supporter la misère», souligne Kamel, un jeune de Boumerdès, âgé de 28 ans, rencontré à Boulogne Billancourt, la ville la plus peuplée du département des Hauts-de-Seine et de toutes les communes franciliennes après Paris. Autour de lui, un groupe d’amis font face aux mêmes difficultés.
L’un d’eux raconte : «Je suis ici en France depuis plus de 7 ans. Sans papiers, la vie est un calvaire. Faute de travail, tout le monde me voit d’un mauvais œil. Les gens sont des escrocs, ils profitent de notre situation pour nous faire travailler gratuitement.» La déception et la désolation se dessinent sur les visages. A peine la conversation est-elle entamée, que nos interlocuteurs s’apprêtent à s’éloigner du coin. «Il faut se disperser. On risque d’être repérés par des policiers en civil qui grouillent ces derniers temps, surtout avec l’afflux des émigrés tunisiens en provenance d’Italie», nous dit Ali, originaire de Tizi Ouzou. A la place Marcel-Sambat, dans la ville de Boulogne Billancourt, en banlieue parisienne, nous avons rencontré Saïd. Ce jeune de Kabylie, qui travaille au noir dans un café-restaurant, s’étale à son tour sur ses difficultés quotidiennes : «La vie en France n’est pas facile, et il m’arrive souvent de regretter d’être venu ici.» Ingénieur en informatique, Saïd n’aurait, en Algérie, pas souffert des affres du chômage.
Et c’est ce qu’il reconnaît non sans quelques regrets : «J’aurais dû rester dans mon pays où, plutôt que de travailler au noir 8 ans durant à l’étranger, mes parents ne vivront plus aussi loin de moi et mes amis seront à mon côté.» Et d’ajouter : «Maintenant, je n’ai plus le choix : dans deux ans, j’aurai 10 ans ici en France, et, à ce moment là, la possibilité d’obtenir l’attestation de séjour d’une année.» Au moment de la discussion, un autre Algérien, qui a l’habitude de prendre son café chaque matin dans cet endroit avant d’aller au travail, annonce une mauvaise nouvelle à son ami : «Mon oncle est mort ce matin au bled… impossible d’assister à l’enterrement !» L’impossibilité de concilier le droit de rêver encore à une carte de séjour et le devoir d’être comme tout le monde présent à l’enterrement d’un être cher fait vivre à l’ami de Saïd un instant d’enfer.
A la question de savoir s’il songe rentrer au pays, il affirme, d’un air résolu, que cette idée n’a jamais effleuré son esprit. «Non, pas question d’y retourner tant que je suis encore un sans-papiers», précise-t-il. Et, amère, de justifier : «Et les misères déjà endurées, dont 2 années à dormir dehors, à manger des repas pas chers dans les foyers des Africains ?»
En Haute-Normandie, dans la ville du Havre plus exactement, en cette matinée printanière, juste lorsque les prémices de l’aube annoncent la levée du jour, nous avons rencontré trois jeunes Algérois. Deux d’entre eux venaient à peine d’arriver en France, en provenance de Grèce.
«Après avoir obtenu un visa pour la Turquie, nous sommes entrés clandestinement en Grèce. Deux mois après, nous avons réussi à obtenir des faux passeports français, grâce à un Marocain. Avec ce document, nous avons atterri en France, grâce à notre cousin qui nous a accueillis», raconte Aziz, dont le voyage a duré plusieurs mois. Il indique que plusieurs Algériens croupissent dans les prisons et centres de rétention grecs, et d’autres sont même condamnés par la justice pour immigration clandestine. «Ils vivent dans des conditions inhumaines. La plupart des Grecs sont racistes à outrance», ajoute notre interlocuteur d’un air emprunt de tristesse. Fateh, son compagnon, ne veut plus penser au passé douloureux qu’il a vécu durant sa longue mésaventure qui a duré presque 6mois. «Je ne suis pas près d’oublier le calvaire vécu en Grèce : on dormait dehors dans un froid glacial, on volait pour manger», indique-t-il. Les deux aventuriers poursuivent leur histoire : «Même en France, on n’est pas au bout de nos peines. Une autre épreuve vient de commencer : trouver un toit et quoi manger avec seulement quelques euros en poche.» Et Fateh d’espérer : «Vivement un travail pour subvenir à mes besoins !»
Même son de cloche à Lille, grande ville du nord de la France. Ici, la «Capitale des Flandres». Plusieurs sans-papiers algériens vivent dans cette localité gérée par les socialistes. Slimane, 34 ans, ancien cadre dans une entreprise algérienne, rencontré lors de la liesse de la victoire des Lillois, dit : «C’est vraiment très difficile de vivre dans un pays étranger, j’étais bien en Algérie, mais je ne sais pas comment je me retrouve ici comme un esclave qui doit subvenir à ses besoins.» Devenu supporter du LOSC, Slimane indique qu’«en quittant l’Algérie pour la France, je n’ai finalement fait que changer de misère». Cette phrase lourde de sens résume à elle seule la situation de nos compatriotes en situation irrégulière en Europe.
Enfin, être sans papiers en France, c’est d’abord courir le risque d’être arrêté puis reconduit aux frontières. Mais même pour ceux qui réussissent à se cacher et à travailler en noir, les difficultés restent considérables. Peur permanente de l’interpellation et de l’expulsion, difficultés à se loger, à se soigner, à travailler. A vivre. Vivre sans papiers en France, c’est la galère permanente. Une situation de précarité absolue ! Vivre sans papiers en France, c’est-à-dire travailler au noir, raser les murs, n’avoir que le droit de se taire, etc.
Une aubaine pour les employeurs véreux qui, sans scrupule aucun, exploitent la situation. tre sans papiers en France, c’est aussi s’interdire de rentrer au pays, pour une fête, un mariage, un enterrement, ou simplement l’envie d’aller embrasser les parents. Car, rentrer au bled, c’est courir aussi le risque de ne plus pouvoir retourner dans le pays dit d’accueil et qui, en vérité, ne vous a jamais accueilli. Au-delà de ces questions, les inégalités de traitement entre Algériens et ressortissants européens sont bien considérables.
Mohammed Zerrouki