JULIEN COLLIGNON
Un article publié par Libération vendredi dernier a déclenché une tempête sur les réseaux sociaux. On fait le point sur le scandale de la « Ligue du Lol ».
Pour comprendre, un flashback est nécessaire. En 2009, Vincent Glad, journaliste aujourd’hui à Libération, crée un groupe Facebook intitulé la « Ligue du Lol ». Dans ce groupe figure une trentaine de journalistes et influenceurs, spécialistes de la communication, d’une époque où les réseaux sociaux, et surtout Twitter, n’étaient pas ce qu’ils étaient aujourd’hui. Leur passe-temps : se moquer, prendre pour cible voire harceler des personnes sur les réseaux sociaux, généralement des femmes.
J’ai aussi été harcelée par la ligue du LOL pendant des années. Leur dernier fait d’arme est toujours en ligne, et il est punissable d’1 an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. (Y a prescription.) https://t.co/EB08ZL07Zq J’ai vos noms, mecs. J’oublie pas.
— Florence Porcel (@FlorencePorcel) 8 février 2019
« C’était hyper angoissant »
Près de dix ans plus tard, les témoignages de victimes ressortent depuis quelques jours sur Twitter. Elles décrivent comment elles ont subi les foudres des harceleurs. Et beaucoup d’entre elles ont été profondément marquées et traumatisées par la haine gratuite dont elles étaient victimes à l’époque. Les témoignages font parfois froid dans le dos.
« Ils étaient plusieurs à s’en prendre à moi avec de faux comptes Twitter, très régulièrement et de façon malfaisante », raconte la Youtubeuse Florence Porcel. « C’était hyper angoissant. »
« Beaucoup de filles étaient terrifiées par ces gens, avaient peur de les dénoncer », souffle Nora Bouazzouni, journaliste culinaire et séries. « Insultes, photomontages, gifs animés avec des trucs pornos avec ma tête dessus, mails d’insulte anonymes. C’était le forum 18/25 de jeuxvideo.com avant l’heure. »
« À un moment, j’en suis arrivée à un stade où je me détestais. J’ai eu des idées sombres. À force de lire des saletés sur moi partout sur les réseaux, j’ai été convaincue que je ne valais rien », révèle Capucine Piot, une autre victime. « Ça a été très dur dans ma construction de jeune femme (…) Ils nous ont humiliés en place publique, sans prendre la mesure de notre douleur, de ce qu’on pouvait ressentir ».
Mon témoignage fait partie de ceux ignorés par l’article mais pour moi La ligue du LOL c’est des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites… clairement ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste.
— Lucile (@LucileBellan) 8 février 2019
Imaginez être une jeune journaliste noire, parler de blackface, d’apartheid et se prendre ce genre de trucs x20 par des « confrères » pendant plusieurs jours. pic.twitter.com/LJmaT9FHpu
— Mélanie Wanga (@babymelaw) 8 février 2019
L’affaire a pris une telle proportion que même Marlène Schiappa, secrétaire d’État en France en charge de l’égalité hommes-femmes, a pris la parole. « Tout mon soutien et ma solidarité aux blogueuses et journalistes qui ont eu à subir le harcèlement sexiste de la Ligue du Lol. Ce n’est pas internet qui est impitoyable, c’est ce qu’on en fait. »
Tout mon soutien et ma solidarité aux blogueuses et journalistes qui ont eu à subir le harcèlement sexiste de la #LigueDuLol particulièrement @FlorencePorcel
Ce n’est pas « internet » qui est impitoyable, c’est ce qu’on en fait. https://t.co/SUbdSVHoxB
— 🇫🇷 MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 10 février 2019
« C’était du trolling, on trouvait ça cool »
Au pied du mur, les membres de la « Ligue du Lol » ont été obligés de s’expliquer, face à la tempête. Leur argument principal ? Ils avaient sous-estimé la portée de leurs actes, quand ils ne minimisent pas les faits…
« Nous étions influents, et c’est vrai que si on critiquait quelqu’un, ça pouvait prendre beaucoup d’ampleur », reconnaît Vincent Glad, le fondateur du groupe. « Il y avait beaucoup de fascination autour de nous, on était un peu les caïds de Twitter. Il y a une part de vrai là-dedans, une part de gens qui ont pu se sentir légitimement harcelés. Mais il y a aussi une grosse part de fantasme (…) C’était une grande cour de récré, un grand bac à sable. C’était du trolling, on trouvait ça cool. Aujourd’hui, on considérerait ça comme du harcèlement. »
Je vous dois des explications. Et surtout des excuses. pic.twitter.com/UajOC0bi0h
— Vincent Glad (@vincentglad) 10 février 2019
Le journaliste Alexandre Hervaud fait lui aussi partie des personnes épinglées comme membre de la « Ligue du Lol », tout comme David Doucet, rédacteur en chef des Inrocks.
Aux personnes qui se sont senties visées ici ou ailleurs depuis 11 ans par une ou plusieurs de mes saillies ricaneuses, je peux difficilement dire autre chose qu’un sincère « je m’excuse, c’était vraiment pas malin, et ça ne se reproduira plus ».
— Alexandre Hervaud (@AlexHervaud) 8 février 2019
À propos de la #ligueduLOL pic.twitter.com/Qzk2aKIGcG
— David Doucet (@Mancioday) 10 février 2019
Des explications qui n’ont pas vraiment calmé la tempête, tant les réactions de dégoût restent nombreuses parmi les internautes. « Ces ‘saillies ricaneuses’ m’ont volé une partie de ma jeunesse » , a répondu Capucine Piot, l’une des victimes. « Vos ‘excuses’ sont une insulte à la souffrance que vous m’avez infligée ».