L’interdiction du port de signes religieux par une crèche privée apparaît » justifiée » pour la cour d’appel de Versailles, qui a rendu jeudi une décision déboutant à nouveau une salariée voilée qui contestait son licenciement de la crèche Baby Loup.
Crèche associative d’un quartier populaire de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), Baby Loup avait licencié en 2008 une salariée qui avait refusé d’ôter son voile au retour d’un congé parental. Contestant son licenciement, elle avait déjà été déboutée par les prud’hommes en première instance en décembre 2010.
Dans son arrêt dont l’AFP a obtenu copie, la cour d’appel a confirmé le premier jugement, considérant notamment que les enfants accueillis dans cette crèche » compte tenu de leur jeune âge, n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse « .
» Les restrictions (à l’expression des convictions religieuses des salariés, NDLR) ainsi prévues apparaissent dès lors justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées « , a ajouté la cour, qui a également estimé que le licenciement de cette salariée » ne présente pas de caractère discriminatoire « .
» C’est une grande victoire pour la laïcité mais c’est avant tout la victoire de Baby Loup. Pour la première fois de manière aussi claire, on étend le champ de la laïcité au secteur privé et il n’est pas discriminatoire de demander aux salariés de laisser leurs convictions religieuses aux portes de l’entreprise « , s’est félicité l’avocat de la crèche, Me Richard Malka.
» Le fait que ce soit une crèche a joué mais la cour d’appel pose un principe plus large sur la restriction de l’expression du fait religieux en entreprise, quand le motif est légitime « , a poursuivi l’avocat.
Pour l’avocat de la salariée voilée, Me Michel Henry, cette décision est » le prolongement par le bas de la neutralité qui s’impose aux enseignants du secteur public mais les fonctionnaires ont un statut très strict alors que dans le privé, c’est la liberté « . Il a ajouté qu’il » conseillerait à sa cliente de former un pourvoi en cassation « .
» Il y a un après-Baby Loup «
La directrice de la crèche, Natalia Baleato (BIEN Baleato) s’est dite » soulagée après trois ans de procédure « . » La justice devait trancher et Baby Loup a été légitimée dans son action. Je pense que maintenant, il y a un après-Baby Loup, la jurisprudence va s’appliquer maintenant « , a-t-elle déclaré.
Baby Loup avait reçu le soutien de plusieurs personnalités dont la philosophe Elisabeth Badinter.
Le député-maire PS d’Evry (Essonne), Manuel Valls s’est réjoui jeudi qu’ait été » imposé le principe de laïcité, c’est vrai dans la sphère publique et, maintenant, c’est vrai dans la sphère associative et privée « .
Cette décision intervient après la parution lundi d’un code de la laïcité, recueil de textes et de jurisprudences, qui en soit n’est pas nouveau, mais dont l’interprétation par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant restreindra le champ d’application de la liberté religieuse de la loi de 1905, sans vouloir la modifier.
Ainsi, la question du port du foulard pour les femmes musulmanes accompagnant les enfants dans les sorties scolaires s’inscrit dans un désir de plus grande neutralité, de même que les pratiques religieuses dans certaines entreprises privées.
L’affaire Baby Loup avait créé des remous au sein de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), saisie également par la salarié licenciée.
L’institution avait d’abord apporté son soutien à la salariée en mars 2010. Mais en octobre de la même année, après son entrée en fonction, la présidente de l’époque, Jeannette Bougrab, avait pris position en faveur de la crèche.
Mme Bougrab s’est dite jeudi » très heureuse » de cette décision.
» J’étais convaincue que la laïcité n’est pas un principe à géométrie variable. La laïcité a vocation à s’appliquer y compris dans les quartiers dits sensibles et peut-être davantage dans ces quartiers-là « , a-t-elle souligné.AFP