Alors que le gouvernement autorise certaines manifestations et pas d’autres, il apparaît que l’état d’urgence ne répond pas à une nécessité, mais à une volonté d’imposer un régime autoritaire.
L’analyse des textes et de leur application ne laisse aucun doute.
Le 10 mai, le Sénat a voté, à une large majorité, le projet de loi augmentant de deux mois la durée de l’état d’urgence. Au lendemain des attentats de Paris, celui-ci avait déjà été prolongé de trois mois par la loi du 20 novembre 2015.
Depuis, une nouvelle période de trois mois s’est ajoutée et vient à échéance ce 26 mai. Ainsi, le gouvernement a beaucoup de mal de sortir de l’état d’urgence malgré le vote, ce 5 avril 2016 par le Sénat, de la loi de réforme pénale « renforçant la lutte contre le terrorisme et le crime organisé ».
Cette législation donne un débouché pénal aux dispositifs légaux d’espionnage des ressortissants français, contenus dans les différentes réformes mettant fin à la vie privée des Français, dont la dernière loi sur le renseignement.
Elle inscrit, dans la norme, des mesures liberticides normalement autorisées par l’état d’urgence : espionnage des citoyens et limitation de la liberté d’aller et venir des « retours de Syrie ».
État d’urgence ou État de droit ?
Le projet de loi, prolongeant l’état d’urgence, maintient les mesures existantes concernant les restrictions des libertés publiques et de l’Habeas Corpus des citoyens. Il comprend des « mesures de restriction de la circulation des personnes ou des véhicules », ainsi que « l’interdiction de séjour dans certains lieux ».
Il permettra aussi de « maintenir les assignés à résidence qui le sont actuellement ». Cependant, le texte ne contient plus les dispositions concernant les perquisitions administratives, des mesures relevant de la vie privée des Français.
Cette mise à jour de l’état d’urgence nous indique que son objet spécifique est bien la restriction des libertés publiques et du droit de disposer de son propre corps. Quant à la limitation des libertés privées, elle résulte d’une inflation de lois « antiterroristes » installant une surveillance généralisée des populations.
La France n’a donc pas attendu la promulgation de l’état d’urgence pour s’attaquer aux libertés privées de ses ressortissants. Ces mesures prises depuis une dizaine d’années, l’ont été à chaque fois sans limite temporelle. Il est donc surprenant de voir le Premier ministre Manuel Valls faire référence à un État de droit qui, dans les faits, n’existe plus pour justifier l’état d’urgence.
Sa déclaration à la radio publique France Inter : « l’état d’urgence c’est l’État de droit » contraste avec celle d’un policier qui, lors une intervention musclée, dit à la personne traumatisée par l’action policière : « De toute façon, on est en état d’urgence, on fait ce qu’on veut ».
La considération de la hiérarchie pourrait nous amener à conclure que le chef du gouvernement a raison et que le policier a tort. Pourtant, l’observation du nombre de portes défoncées, de perquisitions, d’arrestations et d’arrêts domiciliaires, sans que les personnes concernées présentent un quelconque caractère de dangerosité, nous indique que la déclaration du policier n’est pas sans fondement.
État d’urgence et maintien de l’ordre
Remarquons d’abord qu’il est paradoxal d’invoquer l’État de droit pour justifier la prorogation de 3 mois d’un état d’urgence qui n’a d’autre objectif que de s’affranchir du principe de séparation des pouvoirs, de liquider le pouvoir judiciaire et de concentrer l’ensemble des prérogatives aux mains de l’Exécutif et de sa police.
Le texte de la loi du 20 décembre, prolongeant l’état d’urgence, s’oppose à ce que préconise la Cour européenne des Droits de l’homme.
Cette dernière stipule que toute ingérence dans le droit, veillant au respect des libertés, ne peut se faire que sur la base d’une « loi d’une précision particulière », c’est à dire sur base de règles claires et détaillées. La loi sur l’état d’urgence est tout le contraire. Les articles sont particulièrement flous et laissent une marge d’interprétation quasiment illimitée.
Depuis le début de l’état d’urgence, la plupart des perquisitions administratives ont été conduites, non pas pour des matières touchant au terrorisme, mais pour des affaires relevant du maintien de l’ordre, par exemple, à l’encontre de militants écologistes, ou de droit commun, sans aucun lien avec la lutte contre « le terrorisme de guerre », confirmant ainsi quel la « guerre contre le terrorisme » est avant tout un conflit entre le gouvernement et ses populations.
Des militants écologistes avaient déjà été assignés à domicile, afin de les empêcher de rejoindre la manifestation interdite du 29 novembre 2015. Toujours dans le cadre de l’état d’urgence, les interdictions d’exercer ce droit constitutionnel continuent.
Après avoir interdit à des activistes « antifascistes et anticapitalistes » de participer à la manifestation unitaire du 17 mai 2016 contre la loi travail, la préfecture de police de Paris a également décidé d’interdire à un journaliste, titulaire d’une carte de presse, de couvrir la mobilisation.
L’interdiction de manifester est cohérente avec la procédure utilisée pour faire passer en force le projet de loi de réforme du code du travail, l’article 49-3 de la Constitution de 1958 permettant, en engageant la responsabilité du gouvernement, de se passer du vote parlementaire.