Le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Ramtane Lamamra, a prononcé lundi à Dakar (Sénégal) une allocution au Forum de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique « Les médiations africaines : quelles leçons pour la prévention et la gestion des crises ? » dont voici le texte intégral :
Votre Excellence le Président Macky SALL, Président de la République du Sénégal ;
Excellences, Mesdames et Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement ;
Excellences, les anciens Chefs d’État et de Gouvernement ;
Excellences, les Chefs des Institutions et Membres du Gouvernement du Sénégal ;
Mesdames et Messieurs ;
Chers participants ;
C’est pour moi un honneur et un privilège de participer pour la première fois à ce Forum regroupant des personnalités éminentes dont le nom et le renom dépassent de loin les frontières des États nationaux qui ont été le cadre et le tremplin de l’œuvre de leur vie, admirable et exemplaire entre toutes.
Vous me permettrez de me prévaloir de votre compréhension, que je sais acquise, pour exprimer notre profonde gratitude au Président Macky SALL, figure prestigieuse de l’action africaine collective pour le règlement pacifique des conflits en Afrique ainsi que pour sa disponibilité remarquable dans la conduite persévérante de médiations méritoires.
C’est donc peu que de dire que je suis particulièrement honoré de prendre la parole à cette rencontre placée sous le haut patronage du Président Macky SALL, et de collaborer avec son Gouvernement et les autres participants pour assurer le succès de cette entreprise qui a vocation à doter l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité d’un surcroît d’efficacité.
De fait, une plus grande effectivité des complémentarités et des interactions entre les Instances continentales et régionales ainsi qu’une articulation plus grande et plus novatrice des efforts de l’Afrique avec ceux des Nations Unies et de l’Union européenne sont de nature à rehausser de manière significative la valeur et la rentabilité de nos partenariats au service de la paix.
Je tiens donc à vous assurer de ma pleine coopération et à vous transmettre les salutations fraternelles et les vœux de succès de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Abdelaziz BOUTEFLIKA, dont l’intérêt pour la problématique de notre présente session est surabondamment établi par une action et des accomplissements hors du commun qui sont connus de tous.
Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
La théorie et la pratique de la gestion et du règlement des conflits sont une encyclopédie ouverte dont les chapitres s’écrivent presque quotidiennement, dans l’épreuve d’expériences tout aussi inédites les unes que les autres et sous le prisme de réalisations, nécessairement imparfaites, face à des défis complexes. Cette théorie et cette pratique de la résolution des conflits mettent en évidence tout autant les mérites de la prévention que les vertus de la médiation comme modes opératoires dont le potentiel est quasiment inépuisable. De fait, il est souvent soutenu qu’un plus grand nombre de conflits armés se sont réglés par la médiation au cours des vingt dernières années que pendant les deux siècles précédents.
L’ancien Secrétaire Général des Nations Unies Kofi Annan a écrit que «la médiation est un art et une science ». Je suis tenté d’ajouter que la médiation est aussi une tradition et un engagement. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Afrique dont les valeurs référentielles cimentent les équilibres nécessaires entre l’individu et le groupe, comme entre différentes communautés humaines, autour d’interactions tendues vers une convivialité harmonieuse tous.
Ici, dans cette capitale qui a impulsé tant de médiations ayant profondément marqué l’histoire contemporaine de nombre de nos peuples, il est aisé de soutenir que la pratique africaine de la médiation, riche et diversifiée, met à contribution des atouts et des facteurs enracinés dans des siècles de coutumes et de traditions qui optimisent l’efficacité des modes pacifiques et diligents de dissipation des tensions, de règlement équitable des contentieux et d’assainissement des situations conflictuelles. Ces modes, qui reposent essentiellement sur l’ascendant et le prestige des aînés ainsi que sur la droiture et l’influence modératrice des sages, ont puissamment contribué à réguler les interactions entre catégories sociales comme entre communautés humaines dans des dynamiques fécondes de conciliation et de réconciliation.
Les valeurs qui ont parcouru des temps immémoriaux et favorisé la coexistence et la compréhension entre des groupes humains que des dures conditions de vie vouaient à la confrontation peuvent, à plus forte raison dans les circonstances d’aujourd’hui et de demain, constituer la source nourricière de contributions tout aussi équitables et efficaces à la prise en charge effective de contentieux, différends et conflits potentiels de toute nature et de toute intensité.
Les bons offices et la médiation, que nos Etats comme notre Organisation continentale et nos communautés régionales ont vocation à promouvoir avantageusement, en amont et en soutien aux composantes de l’Architecture africaine de Paix et de Sécurité ainsi qu’aux Nations Unies, portent la promesse d’une rentabilité optimale de l’action collective de l’Afrique en matière de prévention et de solution des conflits ainsi que de consolidation de la paix, une fois restaurée, par la reconstruction et le développement.
D’évidence, l’exercice de la médiation, au sens large, est une œuvre exigeante. Cet exercice se déploie, ainsi que je l’ai personnellement observé, sur une toile de fond faite de deux fois sept facteurs de complication combinés. D’un côté, il y a, entre les parties elles-mêmes:
- rupture du dialogue et de la communication ;
- cassure de la confiance ;
- accroissement des malentendus et des suspicions ;
- diabolisation des intentions de l’autre ;
- exagération de l’ampleur et de l’envergure des divergences ;
- surchauffement du climat psychologique avec prévalence de l’esprit de confrontation ; et tendance au refus du compromis.
En parallèle, le médiateur se retrouve souvent dans un périmètre exigu d’évolution dont les contraintes ont pour noms :
- multiplication des acteurs ;
- confusion des approches ;
- chevauchement des démarches ;
- duplication des efforts ;
- tendance à la manipulation des intervenants par les parties ;
- rigidité des procédures conventionnelles ; et
- lenteur et lourdeur des mécanismes traditionnels de règlement des différends et conflits.
Dans de telles situations, l’engagement, la discrétion, le savoir-faire et la persévérance sont particulièrement indiqués pour la conception et la conduite d’œuvres de paix épousant la complexité et la sensibilité des problèmes posés. Ces mêmes qualités sont également susceptibles d’être génératrices d’une inestimable plus-value d’ordre politique et moral lorsqu’il s’agit de travailler à rendre irréversibles l’application d’un cessez-le-feu ou la mise en œuvre d’un accord de paix. Il est, en effet, avéré, ainsi que le souligne le « Rapport Brahimi » sur les opérations de paix, que les six à douze premières semaines suivant la proclamation de la cessation des hostilités armées sont cruciales pour le succès et la durabilité du processus. Il est, aussi, avéré que pas moins de trente pour cent des conflits éclatent de nouveau dans les cinq ans qui suivent leur cessation.
Il est, dès lors, évident que l’édification de la paix est une tâche de longue haleine, s’articulant autour d’activités se complétant et se soutenant mutuellement et auxquelles les concours que des pays de bonne volonté peuvent apporter ne sont ni mineurs ni accessoires.
Monsieur le Président, Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers participants,
Les tensions et crises en Afrique liées à la gouvernance politique, et singulièrement aux processus électoraux pluralistes dans différents pays avec, en toile de fond, l’équation centrale du rapport « unité-diversité » installent dans le paysage géopolitique du continent une cinquième génération de conflits, après ceux inhérents au parachèvement de la décolonisation et à l’élimination de l’Apartheid, ceux liés aux différends frontaliers et irrédentismes territoriaux, ceux engendrés par la guerre froide et ceux relevant d’une confrontation à soubassements idéologiques, économiques, identitaires ou ethniques. De fait, les enjeux des processus électoraux nationaux en Afrique, à cette étape relativement nouvelle dans l’enracinement d’une culture et de pratiques démocratiques pluralistes, se conjuguent avec une série de facteurs endogènes et exogènes pour engendrer des tensions donnant une acuité particulière aux contentieux auxquels toute consultation électorale est susceptible de donner lieu.
Ces contentieux, de nature et d’ampleur différenciées, sont souvent pris en charge par les Institutions, juridictionnelles ou autres, que les dispositifs constitutionnels et législatifs nationaux des Etats concernés investissent des prérogatives de supervision, de contrôle et de validation des opérations électorales. C’est lorsque les contentieux en question, en raison de leur envergure et de la polarisation des forces en présence, remettent en cause ou tiennent en échec le fonctionnement des Institutions, et que des atteintes d’intensité croissante sont portées à l’ordre public et à la sécurité nationale du pays concerné, que la situation risque de prendre les caractéristiques d’un conflit interne avec des manifestations patentes de violence et des menaces latentes à fort potentiel de rupture de la paix et de la sécurité au triple niveau national, régional et international.
Mais, fort heureusement, les tensions et les crises qui se greffent sur des processus électoraux ou qui sont directement liées au déroulement et/ou aux résultats de consultations électorales ont vocation, dans beaucoup de cas, à se dissiper et à se résorber dans des dynamiques nationales d’apaisement, de conciliation et d’arbitrage nourries et stimulées par le degré d’effectivité atteint par l’État de droit et la bonne gouvernance politique.
Mesdames, Messieurs,
L’Union Africaine est née de la volonté collectivement proclamée par les États membres d’œuvrer sans relâche pour l’approfondissement et la consolidation de la démocratie, de l’État de droit, de la paix, de la sécurité et du développement dans les pays africains, compte tenu de leurs conditions historiques et culturelles ainsi que de leur niveau de développement économique et social. Dès lors, si des valeurs de portée universelle sont nécessairement à consacrer dans la conception et la conduite de l’œuvre de construction de la démocratie pluraliste, des efforts persévérants et spécifiques semblent s’imposer dans des processus fragiles de sortie de crise et des transitions politiques délicates.
L’Union Africaine s’est dotée de textes fondamentaux de référence en matière de démocratie, d’élections et de gouvernance comme en matière de paix et de sécurité. Il y a une claire reconnaissance des interactions avérées et possibles entre toutes ces sphères de la situation prévalant dans le continent. L’Union Africaine s’est également dotée d’institutions, de mécanismes et d’instruments ayant les mandats, les missions et les fonctions susceptibles d’impulser l’évolution individuelle et collective des États africains vers la pleine réalisation des idéaux, objectifs et principes inscrits dans son Acte Constitutif.
La contribution qualitative que l’Algérie a apportée à l’œuvre de paix et de réconciliation au Mali constitue précisément, à différents égards, un enrichissement de la doctrine et de la pratique de la médiation. Elle a été initiée à la faveur de la demande présentée directement par le Président de la République du Mali, M. Ibrahim Boubacar KEITA, au Président Abdelaziz BOUTEFLIKA, le 18 Janvier 2014.
Les mouvements politico-militaires des régions du Nord du Mali se sont regroupés, en Juin 2014 à Alger, en deux pôles, la « Coordination » et la « Plateforme », et ont accepté la médiation ainsi que les principes devant l’encadrer. Une feuille de route est signée le 24 Juillet et une équipe de médiation internationale inclusive, avec l’Algérie comme chef de file, est formellement mise en place.
L’inclusivité et la collégialité de la médiation est assurément l’une des caractéristiques distinctives de cet effort collectif qui a regroupé, pendant près d’une année, les pays voisins du Mali ainsi que les Organisations universelles (ONU, MINUSMA), régionales (UA, UE, OCI) et sous-régionales (CEDEAO).
La France et les Etats-Unis ont contribué à cet effort dans le cadre d’une équipe de médiation dite élargie ainsi qu’au moyen de leurs interactions respectives avec les parties maliennes. Ces dernières, ainsi que des représentants de la société civile, ont constamment été disponibles à Alger, séjournant dans les mêmes lieux pour faciliter les échanges humains et sociaux et bâtir la confiance.
L’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger qui a dû être signé à Bamako en deux temps, le 15 Mai et le 20 Juin 2015, est exemplaire en ce sens qu’il définit, avec autant de précision que possible, le cadre et les piliers de l’œuvre de sortie de crise (questions politiques et institutionnelles, Défense et sécurité, Développement, Réconciliation, Justice transitionnelle et affaires humanitaires). L’exemplarité de cet Accord réside également dans l’engagement organique de la Communauté internationale, aux côtés des parties maliennes, dans la vaste et complexe entreprise de mise en œuvre au sein d’un « Comité de suivi » siégeant à Bamako, sous la présidence de l’Algérie, pour assurer la continuité des efforts et la cohérence des démarches internes et internationales de conception, de réalisation et de soutien des chantiers de la paix et de la réconciliation.
Mesdames, Messieurs,
Dans la situation du Mali comme dans d’autres, le terrorisme et le crime transfrontalier sont des ennemis actifs des médiations dont le succès a pour effet de priver ces fléaux de leur terreau. Les soulèvements populaires qui ont donné lieu à des interventions militaires étrangères ont été accompagnés de la prolifération de groupes terroristes qui vouent des pays comme la Libye à une instabilité chronique nourrie de déchirements fratricides.
Avec le risque toujours perceptible de résurgence du phénomène des coups d’État militaires, et avec également la menace qui pèse sur l’intégrité territoriale de pays africains fragiles en contravention du principe cardinal de l’intangibilité des frontières héritées lors de leur accession à l’indépendance, avec enfin les défis inhérents aux mouvements migratoires et aux problèmes environnementaux y compris les changements climatiques, les champs sont nombreux où les médiations africaines sont appelées à se déployer en mobilisant les vastes réservoirs de sagesse que représentent la femme africaine et les aînés.
Mesdames, Messieurs,
Le moment semble particulièrement opportun pour diriger un regard à la fois introspectif et prospectif sur le parcours de l’Afrique tant du point de vue des avancées et des faiblesses enregistrées dans les processus nationaux qu’en ce qui concerne la pertinence et l’efficacité de l’action collective développée par l’Union Africaine et ses Communautés régionales en matière d’appui à la démocratie et à la bonne gouvernance ainsi que dans la mission de prévention et de règlement des crises et conflits.
La réflexion collective approfondie que la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement ainsi que le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine ont ouverte sur les problématiques inter-reliées de la bonne gouvernance et de la paix et de la sécurité doit pouvoir apporter des réponses à une large gamme de questions d’ordre doctrinal, politique et opérationnel. Nos présents échanges semblent particulièrement prometteurs pour enrichir cette réflexion collective d’une contribution frappée du triple sceau de l’indépendance, de l’expérience et de l’espérance.
Je vous remercie de votre aimable attention