Fortisgate : le plus haut magistrat mis en cause

Fortisgate : le plus haut magistrat mis en cause
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L’enquête judiciaire à propos des fuites dans l’arrêt Fortis remonte désormais au plus haut niveau de la justice belge. Le juge d’instruction gantois Henri Heimans a reçu le feu vert pour examiner le rôle exact joué par le président de la Cour de Cassation, Ivan Verougstraete. Les partis politiques sont partagés quant à la nécessité de la relance d’une commission d’enquête.

L’appareil judiciaire a-t-il dysfonctionné dans les procédures Fortis ? Des membres du gouvernement Leterme ont-ils fait pression sur les magistrats ? Autant de questions que n’a pas résolues la commission d’enquête parlementaire. Les espoirs de réponses reposent maintenant sur la justice. Plus précisément sur le parquet général de Gand, lequel travaille pour l’heure activement au dossier. Le juge d’instruction Heimans viendrait, en effet, de procéder à l’inculpation de la juge Schurmans et vient d’obtenir un élargissement de son champ d’action…



Que signifie cette inculpation ?

Au parquet général de Gand, on se refuse à confirmer l’inculpation de Christine Schurmans. Mais on s’empresse de préciser que pareille décision, dans le cadre précis de la procédure (particulière car elle concerne un magistrat) n’aurait guère de conséquences, sinon de conférer des droits à l’intéressée. Pour rappel, cette dernière, juge à la 18e chambre de la cour d’appel de Bruxelles, est soupçonnée d’avoir informé son mari de la teneur de l’arrêt Fortis (gelant l’opération de sauvetage) avant qu’il ne soit rendu. Son époux aurait, à son tour, informé le gouvernement, qui aurait tenté de faire pression sur les magistrats… Christine Schurmans a toujours nié avoir trahi le contenu de l’arrêt ; elle reconnaît en revanche s’être émue, auprès de son mari, du déroulement de la procédure.

LG Algérie

Pourquoi une extension de mandat ?

Ce fait, confirmé par le parquet général gantois, est plus révélateur. « Son enquête lui a permis de découvrir certains éléments qui nécessitent une extension de l’instruction », souligne le porte-parole, qui se refuse à toute précision complémentaire. Selon nos informations, le juge Heimans tenterait de déterminer si d’autres personnes que la juge auraient pu être à l’origine des fuites. Plusieurs pistes seraient explorées. D’abord celle des cinq experts, consultés par la 18e chambre, pour leur expertise en matière de pouvoirs des actionnaires. Ils auraient pu se voir confier la teneur de l’arrêt, afin de donner un avis.

Et puis, le président de la 18e chambre a fait demander, via son premier président, Guy Delvoie, à la Commission bancaire et financière, de suspendre le cours de l’action le jour où l’arrêt serait prononcé. Une demande qui augurait d’un contenu peu favorable à l’opération et aurait pu être éventée.

Enfin, l’attitude de la Cour de cassation semble faire l’objet d’interrogations. Si le rôle du président, Ghislain Londers – auteur de la lettre qui a conduit à la démission d’Yves Leterme – est connu, celui d’autres membres de la Cour, l’est moins. Or, l’époux de la juge, lorsqu’il a témoigné devant les parlementaires, a dit que Christine Schurmans, désespérant de convaincre Ghislain Londers des problèmes de procédure, avait contacté un autre membre de la cassation, le président Ivan Verougstraete. Que s’est-il passé ensuite ?

Le Tijd et L’Echo annoncent ce jeudi que le juge gantois a reçu le feu vert pour examiner le rôle d’Ivan Verougstraete. Le nom d’Ivan Verougstraete a été à peine évoqué dans la commission d’enquête parlementaire sur le dossier Fortis. Les rumeurs sur une éventuelle fuite par Ivan Verougstraete avaient jusqu’ici fait peu de bruit. Pourtant, une enquête disciplinaire a déjà été initiée contre lui. L’issue de cette enquête est restée confidentielle, mais « une sanction » aurait été prise à son encontre, selon De Tijd. .

Tommelein : « La commission d’enquête pourrait être relancée »

La commission d’enquête sur Fortis pourrait être relancée, indique jeudi dans De Morgen Bart Tommelein (Open Vld), ancien président de la commission Fortis. « La nouvelle tournure que prend l’affaire ne semble pas surprendre M. Tommelein. » L’opposition estimait que nous n’avions pas suffisamment approfondi l’enquête. Nous nous sommes en effet contentés de dire, concernant la procédure en appel, que le principe de séparation des pouvoirs a ‘peut-être’ été violé. Mais je savais, de sources judiciaires, qu’il y aurait une suite au dossier », explique-t-il.

Concernant la relance de la commission Fortis, « la Chambre devra décider si les nouveaux éléments ont suffisamment de poids pour que la commission poursuive ses travaux. Pas pour rechercher les fautes personnelles, mais pour déterminer ce qui s’est mal passé sur le plan structurel », indique M. Tommelein.

MR, PS et CD&V plus nuancés que Tommelein

Les chefs de groupe MR, PS et CD&V sont plus nuancés. Pour Daniel Bacquelaine (MR) et Servais Verherstraeten (CD&V), il est préférable d’attendre la fin des procédures judiciaires en cours. Thierry Giet (PS) souligne qu’on n’en est qu’à l’inculpation. « Cela n’aurait pas de sens de relancer la Commission à la rentrée », dit-il.

Jean-Marie Dedecker (LDD) et le Vlaams Belang ont directement embrayé en « exigeant » que la Commission reprenne ses travaux. La réaction de trois chefs de groupes de la majorité est plus nuancée.

Daniel Bacquelaine (MR) a souligné que la Commission avait en effet elle-même prévu qu’elle pourrait reprendre ses travaux s’il y avait des éléments neufs dans le dossier. Pour lui, cela ne peut toutefois se faire que lorsque toutes les procédures judiciaires, en ce compris les voies de recours, sont terminées.

Thierry Giet (PS) a quant à lui rappelé que la Commission s’est en effet arrêtée parce que des enquêtes judiciaires étaient en cours et qu’il était à ce moment impossible d’aller plus loin. Comme M. Tommelein, il dit aussi que les membres de la Commission envisageaient le fait que la procédure judiciaire pourrait apporter des éléments neufs.

« L’opposition Ecolo et sp.a a toujours dit que nous avions fait jouer un réflexe majoritaire. Mais nous sommes allés aussi loin qu’il était possible d’aller.

Nous ne pouvions alors poursuivre sans entrer en concurrence avec des procédures en cours », a encore dit M. Giet.

« Je suis donc d’accord pour dire que s’il y a des éléments neufs nous pourrons reprendre nos travaux mais nous n’en sommes qu’à une inculpation. Dire à la rentrée que nous reprenons nos travaux n’aurait pas de sens. Il faut attendre que le dossier soit clôturé sinon nous violerions le principe de la présomption d’innocence. L’inculpation n’est qu’une étape de la procédure et il faut respecter les droits de la défense », a encore commenté M. Giet.

Le chef de groupe CD&V Servais Verherstraeten est aussi d’avis qu’il faut attendre la fin de la procédure judiciaire. Il rappelle aussi qu’on attend pour l’automne un rapport sur le sujet du Conseil supérieur de la Justice.