Surplombant la partie ouest d’Alger, la forêt de Bainem étale toute sa splendeur, offrant une verdure en dégradé à l’infini. Sport, pique-nique, barbecue, promenade, détente à l’ombre d’un olivier, jeux pour enfants, spectacles de clowns sont autant de choix pour celui qui s’y «hasarde». En ce vendredi caractérisé par une grisaille, plusieurs familles et des groupes de jeunes, après la prière de la «djoumouaa», ont pris d’assaut les lieux.
Contrairement aux autres endroits de détente, la forêt de Bainem se caractérise par un silence invitant au repos. Seuls le gazouillis des oiseaux et les cris d’enfants glissant sur les toboggans «déchirent» le silence qui y règne. Tout le long du chemin bitumé qui mène de la cité des 600 logements à Bouzaréah, de part et d’autre, des clairières sont aménagées pour recevoir les familles. Des tables et des chaises réalisées avec des troncs d’arbres jonchent les allées.
Une fois le véhicule garé, les familles choisissent un endroit, de façon à profiter de l’ombre et avoir un œil sur les enfants qui jouent. C’est le cas de la famille Chenafi de Rais Hamidou. «En voyant la mer démontée, j’ai préféré venir ici pour faire profiter mes deux filles des jeux», dira le père de famille.
Ces deux fillettes font la course des glissades sur les toboggans et la balançoire. L’une d’elles a été reçue à l’examen de sixième. Il s’agit de Marwa qui préfère Bainem au lieu de Bouchaoui. Elle indiquera qu’ici les lieux sont accueillants et sécurisés au point de pouvoir faire une sieste sans être dérangée. Mais pour le père, cette forêt manque de structures pour recevoir un plus grand nombre de familles. Il cite pêle mêle, le manque d’entretien, d’agents de sécurité, de restaurants, de buvettes et d’aires de jeux pour les enfants. «Ces derniers existent depuis très longtemps et sont rouillés», a-t-il indiqué. Il ajoutera que certains jeunes rackettent les familles en exigeant 50 dinars pour le stationnement. La deuxième famille rencontrée réside à El-Mouradia. Depuis dix ans, au printemps et en été, leur place est «presque» réservée en entrant du côté de Bouzaréah. C’est un petit coin qui donne sur la mer à l’ombre d’un grand cyprès. Cette famille, composée de 7 personnes dont un bébé de quelques mois, pique-nique allègrement alliant plaisir gastronomique et vues pittoresques. La chef de famille a tout prévu. Sandwichs confectionnés selon le goût de chacun, limonade, thermos de café et de lait et cerise sur le gâteau un cake fait maison. «C’est le seul jour que je préfère pour partager le repas en famille et en plein air tout en humant l’iode dégagé par la grande bleue», dira-t-elle. En face, une buvette est gérée par Anis Moumeni et Abderezak Merah. Barbe à papa, cacahuetes, thé et biscuits sont proposés «aux estivants d’un jour». Pour gérer le quatre-saisons, ils ont obtenu difficilement l’autorisation de la gendarmerie. «Normalement, nous devons obtenir un agrément du ministère de l’Agriculture puisque l’APC s’en est déchargée », dira Anis tout en préparant une barbe à papa. Quant à l’Ansej, elle a exigé d’eux, un acte de propriété ou une location d’un local. Faisant bon cœur contre mauvaise fortune, Abderezak et Anis qui habitent à proximité de la forêt, déballent et emballent tous les jours leurs cartons d’ustensiles à bord d’une camionnette louée. Leur ami Sid Ali Cheriet est dans la même situation. Lui aussi veut se débarrasser du parasol, de la table et de la bouteille de gaz et rêve d’un kiosque en dur. «Vous voyez, en nous prenant à témoin, je suis utile dans cette forêt».
En effet, plusieurs personnes ont acheté, chez lui, des cigarettes, des cacahuetes et des ballons pour faire quelques bonds sur le terre-plein gazonné. Abderezak, Ais et Sid Ali attirent les clients à leur manière. En quittant les lieux en fin de journée, les espaces qu’ils occupent sont nettoyés. Les jeux sont réparés et les voitures garées à leur niveau sont bien gardées. En plus de cela, le service est rapide.
ROMPRE AVEC LE TRAIN-TRAIN QUOTIDIEN
Pour Mourad et Halim, deux sportifs à la carrure d’athlète sculpturale, le footing dans la forêt de Bainem est leur tasse de café hebdomadaire. En sillonnant les sentiers sinueux, ils gardent la pêche et la forme. Pour les enfants c’est la présence de Zak qui fait leur bonheur. D’origine anglo-berbère avec une robe marron noire, ce cheval a la particularité de lever sa patte pour saluer lorsque son propriétaire le lui demande. Sami Ayadi est fier de parler de Zak. « C’est mon ami », dira-t-il. Durant les vendredis et samedis, il lui rapporte une recette variant entre 800 et 2000 dinars. Aussi bien les enfants que les adultes, sur son dos, traversent un parcours d’un kilomètre dans les sentiers. C’est une délicieuse découverte pour certains. L’argent gagné sert parfois à la nourriture du cheval. De l’orge acheté au détail. Sinon, comme les herbivores, Zak broute de l’herbe gracieuse trouvée sur son chemin. Le clown Mino est présent parfois.
Il attire petits et grands. A raison de 100 dinars, il dessine sur le visage des bambins. Il ne manque que le photographe pour immortaliser cet instant ludique. Les enfants préfèrent un beau chat avec des moustaches, un chien avec un œil noir ou carrément un clown avec agrandissement des yeux avec de la peinture blanche délimitée avec d’un trait noir. Aujourd’hui, il n’est pas venu, au grand dam de Mahdi et Selma qui guettent son arrivée. Pour faire patienter les enfants, la maman a sollicité Sami le propriétaire de Zak pour une balade.
Au loin, quatre copains disputent une partie de dominos. Ils habitent Sidi Youcef, une cité jouxtant les immeubles de l’AADL, à la sortie de la forêt, du côté de Bouzaréah. Ils ont tous à peine la vingtaine et travaillent comme apprenti boulanger, pizzaïolo, pâtissier et ébéniste. Chaque vendredi après la prière, ils se retrouvent attablés pour décompresser d’une semaine chargée de fatigue. Tout en jouant, ils racontent les menus problèmes rencontrés avec le patron ou la clientèle mais, également, les anecdotes qui font rire à gorge déployée.
Plus bas, une buvette gérée par Smail, qui attend les clients. En général ce sont des habitués. Des familles avec enfants qui profitent des jeux.
Des amis qui jouent à la belote tout en consommant des jus et des cafés ou carrément des solitaires qui viennent pour décompresser. Smail, comme un ami de longue date, est là pour les servir avec dévouement. Pour attirer les clients, il a aménagé une place pour le parking, une autre pour les jeux et des toilettes pour hommes et femmes. Cette infrastructure très importante n’existe pas dans la forêt.
Plus bas, une mère, professeur de français au lycée Ibn Khaldoun à Miramar est en train de montrer à ses enfants les différentes sortes d’arbres dont regorge la forêt. Le pin avec ces feuilles en aiguilles est omniprésent. Les arbres d’eucalyptus qui se déclinent sous plusieurs variétés, le chêne liège, le lentisque et le cyprès sont désignés un à un suivi d’explications sur l’appartenance de la famille botanique ainsi que les différentes feuilles ramassées par terre. Les enfants, très intéressés par la leçon sur la flore, ont pris des notes pour constituer des herbiers l’année prochaine. «C’est une matière des sciences naturelles», a-t-elle expliqué. Le papa qui est lui-même enseignant et qui disputait une partie de belote avec les copains a saisi notre présence pour interpeller qui de droit pour rendre la forêt plus attrayante.
«Je ne comprends pas pourquoi ils ont transféré le zoo ailleurs, alors qu’il faisait le bonheur des enfants», a-t-il indiqué. «Pourquoi l’éclairage fait défaut, les gardes forestiers ne sont pas en nombre suffisant pour traquer ceux qui jettent les mégots et autres détritus par terre. Le reboisement n’est pas systématique et la sécurité n’est pas totale», a-t-il soulevé. Concernant la sécurité, un gérant d’un petit restaurant nous fait savoir que les agressions sont légion durant les autres jours de la semaine. En effet, plusieurs cas d’agression ont été relevés à l’intérieur de la forêt. Des couples qui se sont hasardés à s’isoler se sont vu délester de leurs bijoux et portables. Parfois les malfaiteurs prennent les clés de la voiture et disparaissent.
En dépit de cette fêlure, les amoureux des grands espaces verts aiment à voir la forêt de Bainem comme un havre de paix où il est loisible de se reposer. En tout cas, les familles sont toujours sous le coup de la séduction. Il n’y a pas longtemps elle était boudée. Actuellement, elle constitue une bouffée d’oxygène et est considérée comme le poumon de l’ouest de l’Algérois, écologiquement.