A l’évidence, les prochaines échéances présidentielles sont au cœur de la fracture entre les pro et les anti- Belkhadem. Les observateurs au fait des affaires du sérail voient avec beaucoup d’ironie les gesticulations de celui qui voulait s’appuyer sur une masse d’affairistes à disposition et des intégristes en rade.
Le QG des redresseurs, «El takouimia», à Draïra, sur les hauteurs d’Alger, connaît une fréquentation plus dense depuis la réunion de la session ordinaire du comité central du FLN fin janvier-début février qui abouti au retrait de confiance par 156 voix sur 160 du désormais ex-secrétaire général Abdelaziz Belkhadem.
Par contre, il n’y a pas d’effervescence particulière ni l’euphorie d’une épreuve de force gagnée trois ans après la création du mouvement, c’est-à-dire juste quelques semaines après l’élection de celui qui a succédé Ali Benflis ! On se croirait en pleine fiction ! Quatre voix seulement ont donné l’avantage aux redresseurs sans faire pencher la balance en leur faveur définitivement. C’est la fracture qui mettra aux prises violemment deux camps, à moins d’une hypothétique réconciliation. Cela renseigne assez bien sur la topographie d’un parti qui toujours vogué au gré de coups de force et autre coup d’Etat «scientifique» entre frères ennemis. La vie du parti FLN n’a jamais été un long fleuve tranquille. De «pot pourri de sensibilités», comme le décrivait un confrère juste avant les événements d’Octobre 1988, prélude à l’ouverture pluraliste, on en est aujourd’hui à une formation politique vieillie, vidée de son âme, dominée par les puissances de l’argent — argent sale» —, ne cesse-t-on de répéter et de luttes à mort contre tous ceux qui ne sont pas dans le coup, qui ne rentrent pas dans les plans de l’ancien SG. Dominé par le clan Belkhadem, le comité central exclut évidemment toute voix discordante, empêche toute expression. De ce fait, le conflit déborde dans la rue, offrant un piteux spectacle d’un parti qui se revendique des idéaux de Novembre. De tout temps instrumentalisé pour les besoins de la gestion politique du pays ou la faveur d’élections, a fortiori aussi sensibles que les présidentielles, il est devenu un tremplin pour les ambitions des uns et des autres. L’ouverture du marché, introduisant l’argent comme référence première, aura fini par éroder les convictions basées sur l’engagement sincère. Voie ouverte aux opportunistes. Pas pour tous. Les «durs à cuire» deviendront les empêcheurs de tourner en rond parce qu’ils menacent de fausser les plans d’un SG qui croit à son bonne étoile vaille que vaille. Dans sa course et son mépris de tous ceux parmi les cadres militants qui refusent de le cautionner, il commettra fatalement des erreurs qui seront autant d’atouts entre les mains de ses détracteurs. Tour à tour, il fait la sourde oreille, crie au complot de «chargés de mission», tente des conciliabules. En vain. Le train est lancé et rien ne l’arrêtera vers cette 6e session du comité central qui lui retire sa confiance bien que par majorité relative. Belkhadem aura choisi une voie qui l’a mené à l’échec et donné un coup d’arrêt à ses ambitions – la présidentielle de 2014 – qui font rager ses adversaires et grossir les rangs de ses ennemis. Mais pourquoi tant de hargne contre celui qui n’hésite pas à s’emmitoufler dans l’habit soudanais (barbeturban et gandoura blancs), à s’appuyer sur les affairistes parvenus et sur la mouvance islamiste à la recherche d’un retour sur scène. Belkhadem se pose comme leur berger, assuré en cela par tous ces islamistes arrivés au pouvoir en Tunisie, Libye, Egypte et bientôt en Syrie ! Jusqu’au bout, il aura tenté de faire avorter le projet de le destituer — disgrâce synonyme d’humiliation personnelle et de fin de partie pour ses partisans.
Il n’hésitera donc pas à fouler aux pieds les dispositions organiques de son parti : il nomme lui-même les mouhafedhs qui à leur tour nomment les chefs de kasmate le tout dans un esprit d’allégeance à toute épreuve moyennant des avantages en poste et matériels. Les structures du parti n’ont pour lui aucun intérêt puisque tout se décide au dehors. Les bagarres qui ont alimenté la chronique mettent en exergue, à la faveur des élections législatives, communales et de wilaya, la preuve flagrante de ce climat délétère et du pourrissement dans la conduite politique du parti. «Aux lieu et place d’assemblées générales dans le cadre du parti, l’ancien SG refusait la contradiction et recourait aux conférences de presse pour jeter l’anathème sur nous, les redresseurs, se prévalant à chaque fois du soutien de Bouteflika.» «Honte à toi ! honte à toi Belkhadem !», lancent les gens de la «takouimia ». Mais rien ne semble affecter celui qui a l’ambition plus grande que sa stature. Il ne baissera pas les bras et aura cette sortie sibylline lors du retrait de confiance : «Ce qui m’importe c’est l’intérêt du parti !» Et de ses partisans dirions-nous alors ! Il ne quittera pas la place lors de cette session du comité central et poussera ses partisans à tenter de le remettre sur son piédestal. Les redresseurs dénoncent la mise sur pied du bureau de la session présidé par le plus âgé (Aberrahmane Belayat) et du plus jeune membre du bureau politique. Cela ne peut avoir lieu, dit-on, que dans le cas d’un congrès extraordinaire selon l’article 9 du règlement intérieur qui n’a pas lieu d’être puisqu’il s’agit d’une vacance du poste de secrétaire général suite à un retrait de confiance et non d’une démission ou d’un décès. Il n’empêche, le bureau sera installé mais aussitôt rejeté par les redresseurs.
Les cris d’indignation fusent. Des poids lourds du parti expriment ouvertement leur défiance. Abdelkrim Abada, actuel coordinateur de la «takouimia», estime que «la page Belkhadem est tournée» tandis que son prédécesseur Salah Goudjil déclare que l’ancien SG doit faire preuve d’éthique politique et laisser les membres du comité central choisir son successeur ». Mais le produit de la zaouia de Tlemcen, natif de Msirda, n’en démord pas». «On l’a chassé par la porte, il veut revenir par la fenêtre.» Nos sources nous indiquent qu’à défaut de se représenter, son clan veut mettre à la tête du parti un personnage de même profil, une sorte de clone, car «voyez-vous, des milliards sont en jeu», et tous les affairistes qu’il a propulsés risquent le naufrage. Ceux-ci multiplient réunion sur réunion pour s’entendre sur leur candidat capable d’assurer leurs arrières et… leur devenir. Du côté du «Mouvement de redressement et de l’authenticité » à la joie d’avoir gagné une bataille le sentiment n’est pas aux lendemains qui chantent. Il s’agit, outre le fait de faire face aux combines de leurs adversaires, de parvenir dans les meilleurs délais à «sortir» leur candidat. Les spéculations vont bon train. Des noms sont avancés sans que les concernés se soient réellement prononcés. Parmi les premiers à avoir demandé à Belkhadem de quitter son poste, Abderezak Bouhara, membre du tiers présidentiel et vice-président du Sénat. Abdelkader Bensalah, lui-même président du Sénat, n’a-t-il pas pris les rennes du RND ? On reconnaît à Bouhara sa pondération, un parcours qui impose le respect et en lui la propension à la conciliation. Mais est-il l’homme de la situation ? Bien plus discret, Amar Tou est réfractaire à toute initiative en dehors du parti. Ce natif de Tlemcen se défend de briguer le poste de secrétaire général du parti FLN. Membre du bureau politique, il a pris position contre son SG le jour où celui-ci aurait «insinué» son intention de se porter candidat à la présidence de la république. Excusez du peu ! De plus, cette démarche serait en contradiction avec les statuts du parti qui stipulent que c’est le comité central, réuni en session extraordinaire, qui est le seul habilité à désigner le candidat. La préférence pour certains redresseurs va à Mahmoud Khoudri, ministre chargé des relations avec le Parlement. A son actif, il est parmi les initiateurs du mouvement de contestation de l’ex- SG. Sera-t-il le choix idoine pour les redresseurs ? Cependant, dans le déchirement des frères ennemis, le tout pour les deux tendances est de se mettre d’accord sur un homme de consensus capable de gérer les deux années de transition qui restent du mandat de Belkhadem en attendant le tenue du congrès extraordinaire. Pour l’heure, chacun fourbit ses armes et entend reprendre l’avantage sur l’autre. Mohamed Seghir Kara, incontournable s’agissant du mouvement de contestation de l’ancien SG, se lâche : «Lorsque j’ai appelé au départ de Belkhadem, on m’a pris pour un fou…» Il ne peut s’empêcher d’égrainer les griefs contre lui : «Avec Belkhadem, le FLN est devenu synonyme de foyer d’affairistes sans scrupules, d’argent sale, de migration d’élus à la recherche d’avantages matériels et de postes.» Oui, mais on n’en aura pas plus que ces professions de foi, cette exaspération provoquée par un secrétaire général qui n’en fait qu’à sa tête et glisse entre les mains comme un savon… A l’évidence, les prochaines échéances présidentielles sont au cœur de cette fracture, entre les pro et les anti-Belkhadem.
Les observateurs dans le secret des affaires du sérail voient avec beaucoup d’ironie les gesticulations de celui qui voulait s’appuyer sur une masse d’affairistes à disposition et des islamistes en rade, guettant la moindre opportunité. Belkhadem leur a prodigué des gages dans le secret des réunions privées. Es-qualité ! Cependant, il faut reconnaître que plus que jamais, il ne faut prendre ses désirs pour des réalités. Belkhadem le vérifie à ses dépens. Ahmed Ouyahia, débarqué du RND, a eu le geste fair-play de démissionner sans faire trop de vagues ou qu’il ne soit éclaboussé par des révélations qui souilleraient encore plus son image de marque. A l’évidence, la présidentielle de 2014 fait couler les uns et réanimer les appétits de certains ténors de la politique nationale trop connus pour surprendre. Impossible de faire l’impasse sur un nouveau mandat — le 4e — que désirerait Abdelaziz Bouteflika. Ses collaborateurs immédiats et ses nombreux relais travaillent dans ce sens.
B. T.