La situation du marché, marquée par des pénuries, une flambée inexpliquée des prix et une demande qui dépasse tout entendement… bat en brèche toutes les explications et autres arguments avancés par les pouvoirs publics.
Au sortir de la mosquée où il vient d’accomplir la prière d’el-fedjr, Ammar, la cinquantaine révolue, se dirigea aussitôt vers l’épicier du quartier sis à la cité 420-Logements à Aïn Naâdja, dans l’espoir d’acheter quelques sachets de lait.
Une fois sur les lieux, il s’aperçut qu’une dizaine de personnes l’avaient déjà précédé. Ils formèrent une queue devant le magasin. Ils attendent l’arrivée du camion frigorifique qui, apparemment, n’a pas donné signe de vie depuis plus de trois jours. C’est la quatrième matinée consécutive que Ammar consacre exclusivement sa matinée à la recherche du lait pasteurisé de 25 DA. “Quatre jours de suite que je viens ici pour acheter du lait, mais en vain.
À chaque fois, je rentre bredouille”, explique, dépité, ce quinquagénaire. “Que vais-je donner à mes enfants en substitution du lait ? Ils ne peuvent pas s’en passer. Je n’en ai aucune goutte à la maison. Celui ayant un emballage en tétrapack et vendu à 100 DA reste trop cher pour moi”, déplore Ammar. Au fur et à mesure que les minutes s’égrènent, le jour se lève.
D’habitude, le distributeur pointe vers 4h45. Il est 5h passées, mais point de camion. Les habitués des lieux commencent à perdre espoir et se rendent à la triste évidence : il ne viendra pas. Ce qui signifie qu’ils rentreront, pour la énième fois, les mains vides chez eux. À moins qu’ils ne se rabattent sur
Candia.
Encore faut-il qu’ils aient les moyens de se le permettre à un tel niveau de prix ! Ils se dispersent alors dans le calme mais non sans cacher leur amertume ; eux qui “projetaient” pendant quatre jours consécutifs d’acheter du lait, sans parvenir toutefois à s’en procurer. Telle est l’image affligeante, illustrant de manière claire les perturbations dont fait l’objet ces derniers jours le marché national.
Le lait en sachet, une denrée rare !
Entre le discours… “optimiste” des officiels qui promettent une offre plus que suffisante en produits alimentaires pour le Ramadhan et la réalité du terrain, l’on déplore une nette contradiction. La situation du marché, marquée par des pénuries, une flambée inexpliquée des prix et une demande qui dépasse tout entendement… bat en brèche toutes les explications et autres arguments avancés par les pouvoirs publics.
À vrai dire, les responsables fondent leur argumentation sur la cadence accélérée insufflée à la production au sein des usines dans le but d’inonder le marché en produits agricoles et alimentaires de large consommation. Ils soutiennent que les quantités produites sont largement en mesure de répondre à n’importe quelle demande exprimée par les consommateurs. Ce qui devrait, selon eux, faire baisser les prix à la veille du mois sacré. Mais au grand dam de ces cadres dirigeants et hauts fonctionnaires, il n’en est rien ! La preuve “théorique” de leur argumentaire peut être effectivement constatée dans les différentes unités visitées lundi dernier par les ministres du Commerce et de l’Agriculture.
À la laiterie de Boudouaou, des dizaines de bacs de 10 sachets d’un litre remplissent des camions prêts à démarrer pour approvisionner les commerçants de la région de Boumerdès. Il est 12h tapantes. Une centaine de milliers de litres sera, de ce fait, placée sur le marché ! Or le lait en sachet se raréfie de plus en plus ces premiers jours du mois de jeûne à travers toutes les contrées du pays.
Les responsables ont raison de dire que le produit est fabriqué, peut-être même en quantités conséquentes. Il n’est, néanmoins, pas disponible chez les épiciers. Le constat est établi : 52 années après son indépendance, notre pays n’a pas pu régler de manière définitive la problématique du lait… L’État a essayé de contenir les dysfonctionnements du marché en mettant en place une meilleure organisation par la création des offices et des conseils interprofessionnels et autres organismes, selon les différentes filières agricoles, sans réussir à atteindre son objectif.
Résultat : l’on assiste ainsi sempiternellement à des hausses des tarifs, à un ancrage de plus en plus élargi de l’informel, une rareté fréquente de produits, de nombreuses infractions à la réglementation… Amara Benyounès et Abdelouahab Nouri ont trié sur le volet quelques-unes de ces structures à insérer dans le programme de leur visite d’inspection.
Entre le gros et le détail, la différence est de 100%…
Les marchés de gros de Hattatba et des Eucalyptus ont été programmés dans le but de s’enquérir de la situation des prix des fruits et légumes. Contrairement à ce qu’avance le ministre du Commerce, les tarifs affichés à l’entrée de ces espaces commerciaux n’ont pas connu de baisse. M. Benyounès rappelle que les prix des fruits et légumes sont libres.
Leur niveau obéit, indique-t-il, au mécanisme de l’offre et de la demande. Et puisque le Ramadhan a commencé, les “tarifs ont enregistré une augmentation certes, mais pas d’un taux de celui avancé par une certaine presse, à savoir plus 45%. Au ministère, nous avons relevé une hausse qui se situe en ce début du mois sacré entre 9 et 13%”, souligne-t-il. Quand bien même une légère baisse serait observée dans ces deux principaux marchés qui alimentent la capitale, il n’en demeure pas moins que ce recul n’est pas palpable par le consommateur chez les détaillants.
Ces derniers achètent en gros à un prix et revendent leurs marchandises à un tarif double. C’est ce qui est appliqué pour la tomate vendue à 35 DA au marché de gros et à plus de 70 DA chez le détaillant. Le prix de la courgette est passé de 50 DA/kg chez le grossiste à plus de 100 DA/kg sur les marchés de proximité, alors que la laitue, proposée à 40 DA en gros, est affichée à 120 DA dans le détail. La pomme de terre, quant à elle, est cédée à 35 DA en gros alors que son prix dans le détail est fixé à 50 DA.
Reste à savoir si la mercuriale fera preuve, sous peu, d’indulgence envers le citoyen. En tout cas, les observateurs du marché prévoient une baisse des prix dès la deuxième semaine du mois sacré. D’ici là, le consommateur devra faire montre de beaucoup d’endurance… ramadhanesque.
B. K.