Finance islamique : quel avenir en Algérie ?

Finance islamique : quel avenir en Algérie ?

arton796.jpgDepuis un certain nombre d’années, la finance islamique suscite un grand intérêt à travers le monde et particulièrement dans les économies occidentales, où des institutions spécialisées dans ce type d’intervention sont installées.

L’Angleterre, la France et le Luxembourg sont les pionniers de la finance islamique en Europe. Au Maghreb, notamment en Algérie, ce type de financement connaît un développement timide malgré toutes les potentialités qui existent.

Dans ce contexte, un forum consacrée à ce segment économique a été organisé, hier à l’hôtel Sheraton à Alger, ou les différents intervenants ont mis en exergue le rôle que pourrait jouer la finance islamique dans le développement et la croissance de l’économie algérienne, mais aussi les potentialités du marché algérien.

Ce qu’il faut savoir

Qu’est ce que la finance islamique, comment fonctionne ce mode de financement, quels sont les différents produits proposés ?

La finance islamique, en accord avec le droit musulman, est basée sur deux principes : l’interdiction de l’intérêt, appelé également usure, et la responsabilité sociale de l’investissement. Elle lie plus étroitement la rentabilité financière d’un investissement avec les résultats du projet concret associé. L’islam interdit les transactions faisant recours à l’intérêt (ribâ), à la spéculation (gharar) ou au hasard (maysir).

La différence entre la finance islamique et la finance traditionnelle c’est que la première répond strictement aux cinq critères, à savoir l’interdiction de l’intérêt, pas d’incertitude, pas de financement de certains secteurs jugés illicites, comme l’alcool, le principe qui stipule que toute transaction doit être sous-tendue par un actif tangible et, enfin, celui du partage des profits et des pertes entre les participants à une transaction financière.

Pour rester dans la légalité islamique, les banques islamiques et les filiales islamiques des banques conventionnelles ont développé des mécanismes juridico-financiers. Ces derniers se fondent sur des concepts nommés « moudaraba », « mousharaka », « mourabaha », « ijara ».

Avec la « moudaraba », un promoteur peut mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux dont la clé de répartition des gains et des pertes est fixée dans le contrat.

Les apporteurs de capitaux supportent entièrement les pertes, les promoteurs ne perdant que le fruit de leur travail. Pour la banque islamique de développement, ceci est une forme de « partenariat où une partie apporte les fonds et l’autre (moudarib) l’expérience et la gestion. Le bénéfice réalisé est partagé entre les deux partenaires sur une base convenue d’avance, mais les pertes en capital sont assumées par le seul bailleur de fonds ».

Les partenaires (entrepreneurs, banquiers, etc.) contribuent aussi bien au capital qu’à la gestion des projets. Concernant la « mousharaka », les partenaires apportent les fonds, mais seulement l’un d’eux dispose de la charge de la gestion du projet.

La « mousharaka mutanaquissa » a été également développée par certains banquiers. Elle consiste à participer au financement de l’acquisition notamment d’un bien immeuble (d’habitation). Une grande partie des fonds (90%) est apportée par la banque et le reste (10%) par le particulier.

La « mourabaha » est un « contrat de vente, entre un vendeur et un acheteur, par lequel ce dernier achète les biens requis par un acheteur et les lui revend à un prix majoré. Les bénéfices et la période de remboursement sont précisés dans un contrat initial. _ Un autre concept de la finance islamique qui est « l’ijara », est un mode de financement à moyen terme par lequel la banque achète des machines et des équipements puis en transfère l’usufruit au bénéficiaire pour une période durant laquelle elle conserve le titre de propriété de ces biens.

Le « sukuk » est l’équivalent islamique d’une obligation où l’intérêt devient un profit prévu à l’avance à risque quasi nul. Cette forme d’obligation est particulièrement utilisée pour les financements immobiliers

« Takaful », un produit d’assurance islamique

« Takaful » est un concept islamique d’assurance qui est basé sur les « mou’amalat » (transactions bancaires islamiques) et qui respecte les normes et les règles de la charia (loi islamique).

« Le takaful est basé sur la coopération, la responsabilité, la protection et l’assistance au sein d’un groupe de sociétaires. C’est une forme d’assurance mutuelle », a expliqué un responsable de la compagnie d’assurance Salama, dans une intervention lors du forum algérien de la finance islamique tenu hier à l’hôtel Sheraton.

Ce produit a été mis en place grâce à un partenariat entre la compagnie d’assurance Salama et la banque islamique Al Baraka qui a permis la création de la Banca Takaful. Ce produit a été conçu pour répondre aux exigences des consommateurs recherchant des produits « sharia compliant », compléter la chaîne de financement islamique par des couvertures en assurance conformes à la charia, mais aussi permettre des synergies de développement entre les banques islamiques et les opérateurs « takaful ».

Le crédit immobilier

Le financement du crédit immobilier par les banques islamiques demeure faible. Selon Abdelkader Beltas, P-DG de la Société de refinancement hypothécaire (SRH), environ 99% des crédits immobiliers octroyés par les banques sont à base d’un taux d’intérêt.

« Même si tout le monde sait qu’emprunter de l’argent pour financer son logement est prohibé en Islam, les gens continuent à le faire faute de disponibilité de l’alternative, et ce en vertu du principe la nécessité lève l’interdit’’ », a-t-il expliqué, hier, dans son intervention lors du forum algérien de la finance islamique

Selon l’intervenant, il existe une demande à rythme croissant pour le financement de l’immobilier selon les règles de la chari’a. M. Beltas a expliqué qu’il existe trois formules pour aider les ménages à acquérir leur logement à travers le système bancaire islamique, à savoir la « murabaha », « l’ijara » et « l’iqtina » et la « musharaka ».

Bourse d’Alger :vers l’émission des « sukuk »

L’introduction de nouveaux produits financiers comme les « sukuk », titres conformes à la charia (loi islamique) et dont la rémunération dépend des profits ou des pertes réalisés par l’émetteur, est « en cours d’étude », a affirmé, hier, le président de la Commission de supervision des opérations en Bourse (COSOB), Ismaïl Noureddine. « La Cosob a déjà examiné l’émission des sukuk, mais c’est un domaine qui mérite d’être détaillé », a-t-il précisé dans une déclaration à l’APS, en marge du forum algérien de la finance islamique.

Ce responsable a expliqué que ce volet s’inscrivait dans le cadre de la réforme du marché financier. Il a annoncé qu’« un débat national sera lancé dès 2011 » sur la réforme financière. « La place financière se penche sur les moyens d’arriver à l’émission de nouveaux produits de titres d’action pas des emprunts obligataires seulement, mais des sukuk aussi », a-t-il affirmé, tout en assurant que « la demande sur ce dernier type de titres en Algérie est énorme ». Les produits sous-jacents des « sukuk » peuvent être représentés par des contrats prévus par la finance islamique comme « l’ijara », « la musharaka » ou la « mudharaba ».

Un début timide

Part n La finance islamique en Algérie représente environ 1,5% du marché bancaire national, soit 15% du secteur privé, a indiqué Nacer Haïdar, secrétaire général d’Al Baraka Bank.

Ces dernières années, la finance islamique suscite un intérêt à travers le monde et particulièrement dans les économies occidentales, où s’installent des institutions spécialisées dans ce créneau.

Selon Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d’Isla Invest, un cabinet français de conseil en investissements financiers et immobiliers conformes aux principes de la charia, l’Algérie n’est pas en retard par rapport aux autres pays maghrébins. Au Maghreb, l’Algérie et la Tunisie sont en avance, tandis que le Maroc accuse un certain retard, la Libye en est à ses débuts et la Mauritanie à deux petites banques.

Toutefois, selon le secrétaire général d’Al Baraka Bank, qui intervenait lors d’une conférence de presse organisée par le centre de presse d’El Moudjahid, le marché de la finance islamique en Algérie « est faible comparativement à la valeur du marché bancaire ».

Mais il y a une « volonté d’aller de l’avant », estime, pour sa part, M. Ben Terdeyet. Actuellement, il existe trois banques et une compagnie d’assurances qui appliquent la finance islamique en Algérie. Il s’agit d’El Baraka Bank (la première banque islamique installée en Algérie en 1991. Ses actionnaires sont la Banque de l’Agriculture et du Développement rural et le Groupe Dallah Al Baraka d’Arabie saoudite.

Elle est membre de l’association des banques et établissements financiers), Essalem Banque, AGB, et la compagnie Salama Assurance. « Il y a aussi des banques publiques et même étrangères qui ont introduit dans leur système financier les pratiques et des produits répondant aux principes de la finance islamique.

Ce n’est peut-être pas suffisant pour le marché algérien, dont l’expérience est relativement jeune en la matière, mais je suis rassuré car ce type de banque a une capacité de développement et de croissance très importante, ce qui va permettre à ce secteur de réaliser de bons résultats », a souligné M. Haïdar, en marge de cette conférence. Il faut noter que d’autres banques, à savoir Abou Dhabai Islamique (ADIB) et KFH Banque islamiques, attendent encore leur agrément pour investir en Algérie.

Par ailleurs, il faut souligner que plus de 700 milliards de dollars d’actifs sont gérés dans le monde selon les principes de la charia et enregistrent une croissance de plus de 15% sur les dix dernières années. Aujourd’hui, il existe quelque 37 institutions financières qui opèrent en Afrique pour une population musulmane de 412 millions d’habitants.

Selon une étude réalisée par Moody’s, une agence de notation financière, le marché de la finance islamique en Afrique est aujourd’hui estimé à 235 milliards de dollars pour un volume actuel de 18 milliards, un potentiel de croissance important. Les pays de l’Asie tels que la Malaisie, sont au cœur de la croissance de la finance islamique dans le monde. Ils sont suivis de près par les pays européens tels que la Grande-Bretagne et l’Allemagne. La France, quant à elle, essaye « de prendre le train en marche pour développer la finance islamique en incitant des banques issues notamment des pays du Golfe, à venir s’y installer ».

Zobeir Ben Terdeyet [1] à InfoSoir : « L’Algérie pourrait devenir le hub de la finance islamique »

Propos recueillis par Brahim Mahdid

InfoSoir : Ce créneau reste peu exploité en Algérie…

M. Ben Terdeyet : C’est encore un terrain à exploiter, et c’est pour cela que nous organisons cette troisième édition de ce forum.

Les acteurs sur place ont déjà fait un travail sur le terrain, mais ils ne peuvent toucher toute la population et ne peuvent aller dans toutes les régions du pays. Et on sait que dans certaines régions notamment dans le Sud, il y a beaucoup de gens qui sont intéressés par les produits islamiques, mais il y a aussi ceux qui ne les connaissent pas donc il y a une demande qu’il faut satisfaire.

Il faut qu’il y ait de nouveaux acteurs et que les banques publiques et privées puissent développer des produits pour satisfaire cette demande. L’Algérie a aussi un rôle à jouer en tant que puissance économique dans la région du Maghreb mais aussi en Afrique. Avec ses excédents de liquidités, l’Algérie pourrait devenir le hub de la finance islamique, et on pourrait voir l’émission de sukuk et la cotation de sociétés privées qui aimerait trouver des financements respectueux de leurs valeurs pour leurs activités. La finance islamique pourrait dynamiser le marché financier algérien.

Quelles sont les perspectives de développement de ce segment en Algérie ?

Elles se font à deux niveaux.

D’abord au niveau métier, il faut développer plus d’agences et d’acteurs sur le terrain, et le deuxième niveau c’est l’élaboration d’un programme de formation dans les universités et les écoles et pourquoi pas créer un mastère privé qui permettrait à l’Algérie d’attirer des étudiants étrangers mais surtout former ses cadres.

On a besoin de formations pointues qui permettront à l’Algérie de rayonner. Actuellement il y a certains professeurs courageux qui proposent des cours de finance islamique au sein de leurs universités. En outre, il faut réfléchir à rendre la finance islamique vraiment proche des citoyens et réfléchir à des projets de microfinance pour le développement et ce, dans le but de lutter contre la précarité et la pauvreté.

Il faudrait également un cadre juridique adéquat…

Effectivement, il n’est pas adéquat en matière de reconnaissance des produits, mais on ne peut pas dire qu’il n’y a pas des aménagements. La Banque d’Algérie a tout de même fait des efforts, elle comprend un petit peu ce que c’est que la finance islamique. Maintenant on aimerait communiquer plus facilement sur le cadre réglementaire pour qu’il soit beaucoup plus accueillant surtout pour les futurs acteurs.

Récemment, le patron de Cevital a annoncé que son groupe pourrait recourir à la finance islamique…

Ce sera une belle expérience, ça prouve qu’il y a des compétences en Algérie et que ça peut marcher. Ça prouve aussi que c’est un financement viable, je salue le courage de M. Rebrab.

B. M.