Dans sa plaidoirie, l’avocat de Moumen Khelifa, Me Lezzar, a estimé qu’“on a constitué un dossier criminel avec des éléments fictifs et parfois préfabriqués”. Car, a-t-il expliqué, “pour déclarer la faillite d’une banque, il faut que l’actif soit inférieur au passif. Ce qui n’était pas le cas”.
Invité par le président d’audience à dire le dernier mot dans un procès qui aura duré un mois et dix jours, l’ex-P-DG de Khalifa Bank a déclaré : “C’était un long procès. Je ne sais pas par où commencer. Je n’ai pas encore compris ce qu’on me reproche. J’ai été comparé à Waâd Sadek, or une banque est ouverte tous les jours. Je suis innocent. Tout ce qui été dit, ce ne sont que de simples paroles.” Après avoir permis aux 75 inculpés de s’exprimer, le tribunal criminel s’est retiré pour délibérer. Le verdict, dans cette affaire, est annoncé pour le 23 juin prochain. Le tribunal devra répondre à 14 000 questions.
Auparavant c’était au tour de son avocat, Lezzar Nesrredine de plaider pour le deuxième jour consécutif. Il a estimé que “Khelifa Moumen n’est pas l’accusé principal, mais la victime principale d’une piraterie internationale. Le Franco-Libanais, Ragheb Chemâa, comme l’a si bien dit le liquidateur, avait un rôle dans toutes les transactions suspectes, pourquoi la justice algérienne n’a pas mis la main sur lui ? Ragheb Chamâa a joué un rôle dans l’acquisition des stations de dessalement, le démantèlement des avions et aussi l’achat des hélicoptères, mais la justice algérienne est restée à mi-parcours focalisant tous ses efforts sur Khelifa que je considère comme un mouton de sacrifice. Un jour, un chef de gouvernement a affirmé qu’on a mis en prison des gens et on a oublié le dossier. On a, en réalité, fabriqué une affaire criminelle et oublié les intérêts du groupe Khalifa et ceux de l’État algérien”.
Le retrait d’agrément de la banque Khalifa en avril 2003 est, selon lui, la conséquence de plusieurs actions préparatoires. “Le premier acte était le gel du commerce extérieur des agences de Khalifa. C’est là qu’ont commencé la politique d’entraves et la campagne médiatique provoquée par des fuites organisées rapportant que la banque était en voie de dissolution après le retrait d’agrément. Cette rumeur a détruit Khalifa Bank”. Me Lezzar pense qu’aucune banque n’aurait résisté à un tel rouleau compresseur. Il ajoute : “C’est une banque qui a été liquidée par une campagne féroce et, malgré cela, elle a pu résister cinq mois en continuant à assurer les paiements, ce qui dénotait de sa solidité.”
L’énigmatique coup de fil donné au liquidateur
À propos de la mission du liquidateur, Me Lezzar commente : “Il a reçu un coup de fil, un de ces jours, pour s’occuper de la liquidation. Il n’a pas voulu dire de qui le coup de fil émanait. Je suppose que ce n’était pas de la part de la Banque d’Algérie. Je vous demande d’interpréter ce silence comme il le faut.” L’avocat soutient que la faillite frauduleuse n’a été à aucun moment prouvée dans le dossier judiciaire. “On a constitué un dossier criminel avec des éléments fictifs et parfois préfabriqués. Pour déclarer la faillite d’une banque, il faut que l’actif soit inférieur au passif. Ce qui n’était pas le cas. L’administrateur provisoire a lui-même soutenu que Khalifa Bank n’était pas confrontée à une cessation de paiement et qu’il n’avait enregistré aucun incident de paiement dans les agences. Dans son rapport numéro 1, sur les pages 9 et 11, il indique seulement que si la situation perdurait la banque serait en cessation de paiement. C’était une simple hypothèse. Mais il a pris la décision du gel des actions des grands créditeurs et la libération des petits déposants. On a détruit une banque qui faisait encore face à ces créances.” Me Lezzar rappelle que les membres de la commission bancaire, eux aussi, n’ont pas certifié la situation de cessation de paiement, mais évoqué cette hypothèse. “On en déduit alors que le retrait de l’agrément était une décision disciplinaire ne reposant sur aucun argument financier. Car, contrairement à ce qu’avance la commission bancaire, le non- respect du ratio de solvabilité est une question relative. Tous les actifs des filiales auraient pu être réattribués à la banque Khalifa et rééquilibrer son ratio. Ce sont des crédits bancaires qui ont alourdi le ratio de solvabilité. Plus de 50% des actifs de Khalifa Airways émanaient de Khalifa Bank. Mais la proposition de Moumen Khelifa de recapitaliser la banque par la vente des avions de Khalifa Airways a été refusée pour des raisons inexpliquées.” Il poursuit : “Comment une compagnie aérienne, qui a payé 40% de sa flotte en trois ans, n’arrive pas à payer le reste des 60%. Djellab a pris une lourde responsabilité en arrêtant Khalifa Airways. Cette décision a profité aux industriels de l’aéronautique.”
Touati a sonné le glas de Khalifa Bank
Il affirme que le compte à rebours pour Khalifa Bank a commencé quand Khelifa Moumen a annoncé son intention d’acheter une banque en Allemagne. Le vice-gouverneur de la Banque d’Algérie a, dit-il, vite déduit qu’il allait le faire en utilisant les fonds de sa banque algérienne. “Il ne voulait pas recevoir Moumen Khelifa même sur instruction du gouverneur. Il a opposé son veto contre Moumen Khelifa. C’est indigne d’un commis de l’État. Je reste convaincu que si Touati n’avait pas agi de cette manière, le groupe aurait été sauvé.”
Me Lezzar affirme qu’il y a eu deux phases obscures dans l’affaire Khalifa Bank. Celle qui sépare le départ de Moumen Khelifa et la nomination d’un administrateur provisoire. “Période au cours de laquelle beaucoup d’opérations ont été effectuées et dont Khalifa n’a aucune responsabilité. Il y a aussi la période de l’administrateur provisoire qui n’a pas livré tous ses secrets. Badsi a pris les rênes de la banque Khalifa après deux hiatus au cours desquels on ne sait pas exactement ce qui s’est passé.” L’avocat de Moumen Khelifa considère qu’on ne peut pas déduire après trois mois d’administration provisoire que la banque était irrécupérable. Pour lui, cette liquidation laisse quelques interrogations sur la période de l’absence de Moumen Khelifa et celle de l’administration provisoire. “Il faut qu’on sache ce qui s’est passé.” Me Lezzar reproche au liquidateur Badsi de ne pas avoir entrepris suffisamment d’actions pour récupérer les biens du groupe Khalifa et même d’avoir offert un simulateur de vol à un institut d’aéronautique de Blida et une imprimerie à la Présidence. “On ne liquide pas une compagnie aérienne comme de la quincaillerie. C’est une destruction sans état d’âme.”
Il se demande également pourquoi le liquidateur n’a pas eu recours à l’arbitrage international pour le remboursement des trois stations de dessalement non livrées par la société saoudienne.
N.H.