Film le porteur de cartable d’Akli Tadjer,Des moudjahidate réagissent

Film le porteur de cartable d’Akli Tadjer,Des moudjahidate réagissent

Vendredi 22 mars 2013, l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) a organisé, à Alger, à la salle Franz-Fanon, à Riadh El-Feth, une rencontre avec l’auteur Akli Tadjer qui a présenté son parcours littéraire. Ensuite le public a été invité à la projection du téléfilm Le Porteur de cartable , adapté du roman de l’écrivain.

L’histoire se passe à Paris, durant les derniers mois de la guerre d’Algérie, puisqu’il est souvent question des pourparlers d’Evian. Le téléfilm est bien servi par une distribution de qualité. Les principaux rôles sont ceux d’Omar, âgé de dix ans, fils d’émigré, Raphaël Sanchez, fils de ses voisins de palier, pieds-noirs fraîchement réfugiés d’Algérie et élève de sa classe, leurs mamans Fatima et Mme Sanchez, et l’institutrice Mlle Ceylac. Plusieurs scènes du film nous montrent des militants du FLN en réunion chez Omar, avec leur responsable venu récupérer les cotisations. Nous voyons des hommes à l’allure modeste, craintifs, terrorisés par un chef écrasant de mépris pour ses «subordonnés», bien «sapé», fumant le cigare, mettant l’argent des cotisations dans ses poches, sans l’enregistrer, et très fâché contre celui qui n’a pas pu payer, ordonnant à l’un des militants d’aller l’exécuter sur l’heure ! Omar, qui assiste aux réunions, est aussi collecteur de fonds !!! Il a un petit carnet qui ne le quitte jamais, sur lequel il inscrit les cotisants et ceux qui n’ont pas payé avec les motifs du défaut de paiement. Le «chef» tient des propos (surréalistes pour nous), lorsque, posant sa main sur la tête d’Omar, il lui promet qu’il le prendra comme collaborateur «quand il sera ministre dans l’Algérie indépendante, ce qui ne saurait manquer» (!) Passons sur la scène où on voit cet énergumène parader dans une voiture sport flambant neuve, rouge !!! On devine qu’il l’a payée avec les cotisations qu’il a détournées… Plus loin dans le film, c’est Omar qui, en passant par les toits, vole les cotisations chez un autre militant collecteur de fonds. Il sait pourtant que ce collecteur risque d’être exécuté sur ordre du «chef», mais qu’importe ! Une partie de cet argent est destiné à payer un voyage à Marseille à Mme Sanchez déprimée par le manque de soleil ; le reste, Omar l’envoie de la gare de Lyon par courrier à sa propre mère pour qu’elle paie les frais d’un avocat à son père qui vient d’être arrêté par la police française, laissant sa famille dans un total dénuement. A côté de cette présentation extrêmement dévalorisante, pour ne pas dire infamante, des militants de la Fédération de France du FLN et de leur responsable — un véritable mafioso —, on ne comprend pas pourquoi le film insiste sur le racisme réciproque, présenté comme un fait historique, entre les émigrés algériens et la population parisienne ; jusqu’à faire dire au père d’Omar, marchand de légumes, que s’il n’a plus le sous, c’est que ses clients français ne lui achètent plus rien parce qu’il est algérien. Le film nous assène ainsi des contre-vérités navrantes sur le comportement des militants de l’organisation du FLN en France ainsi que sur la situation des émigrés et leurs relations avec la population française. Si M.

Tadjer s’était penché sur l’histoire réelle de l’émigration et de la société française métropolitaine durant la guerre de libération pour nous en reconstituer un tableau fidèle, il nous aurait montré autre chose ! A moins qu’il n’y ait chez lui, comme malheureusement chez d’autres compatriotes, l’intention d’occulter la noblesse des objectifs de notre révolution, tels que solennellement fixés dans la proclamation du 1er Novembre et la Charte de la Soummam et ainsi de jeter un voile sur une épopée patriotique dérangeante aujourd’hui : celle de l’engagement des Algériens et Algériennes émigrés, de leur courage et de leurs sacrifices pour la conquête de l’indépendance nationale. Pourquoi cette caricature du combat et des combattants du FLN sur le sol français ? Pourquoi ce portrait des émigrés algériens qui auraient été racistes anti-Français, alors que la Fédération de France du FLN, créée par le martyr Mohamed Boudiaf, a pu se développer et mener le combat sur le territoire de l’ennemi parce qu’elle s’est positionnée clairement contre toute attaque de la population civile française. Elle a ciblé des objectifs précis : les forces de la répression, les installations économiques et militaires du régime colonial, pour l’affaiblir, l’obliger à fixer des troupes en France et soulager d’autant les maquis en Algérie.

Notre devoir permanent, nous qui avons partagé ce combat et y avons survécu, est de défendre la mémoire des patriotes de notre génération qui se sont dressés avec une détermination sans faille contre la France coloniale. Paix à leur âme ! Dans le cadre et sous la direction de la Fédération de France du FLN, nous avons Combattu sur tous les fronts : armé, politique, diplomatique, financier, le pouvoir colonial et ses «supplétifs indigènes» : en sabotant des installations stratégiques, pétrolières, portuaires, de télécommunication et autres. En exécutant des traîtres notoires. En activant avec succès sur le terrain politique en direction de la population française pour la convaincre de la justesse de notre cause, de la légitimité de notre combat, inscrit dans le cadre des droits de l’homme à sa liberté, et ainsi nous gagner des amitiés et des soutiens. Pour illustrer la position politique du FLN à l’égard de la population française, on peut se référer aux nombreuses déclarations officielles du CCE, du GPRA et du Comité fédéral, remises à la presse, ainsi qu’aux directives internes à l’organisation (les «bulletins intérieurs» sont disponibles), qui proclament que le FLN ne combat pas le peuple français et que les actions armées doivent toujours éviter les victimes civiles. En effet, dans certains cas, des attentats ont été stoppés au dernier moment, parce que des civils français risquaient d’être atteints par les tirs ou l’explosion. Nous rendons hommage à tous les Français anticolonialistes, nos amis, qui ont lutté à nos côtés. Ils ont défendu l’honneur de la France offensé par la politique et la guerre coloniales. Il s’agit d’intellectuels, de scientifiques, d’artistes, de syndicalistes, d’étudiants (Unef), de prêtres, de religieuses, de simples citoyens… Rappelons les signataires de l’«Appel des 121» du 6 septembre 1960 (Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie), signé par des grands humanistes français. Avant 1960 déjà, un réseau de déserteurs, «Jeune Résistance», a été créé par Jean-Louis Hurst (dit maurienne, membre du Réseau Jeanson).

Rappelons la lettre de Jean-Paul Sartre lue au tribunal militaire lors du procès du Réseau Jeanson qui s’est tenu en septembre 1960, dans laquelle il se solidarise avec les «porteurs de valise»… Rappelons que des équipes de soignants bénévoles français, hommes et femmes, sont venues en Algérie au lendemain du cessez-le-feu, participer aux côtés des médecins et paramédicaux Algériens, hommes et femmes, aux soins des victimes de l’OAS. Nous citons de mémoire, à titre symbolique parmi les personnalités françaises amies des Algériens en guerre : Francis Jeanson, Hélène Cuénat, Daniel Vignes, Henry Curiel, Annette Beaumanoir-Roger, Les pères Davezies, Carteron, Boudouresque, André Masson, Diégo Masson, Cécile Marion, Jacques Charby, Aline Charby, Catherine Sauvage, Jean Paul sartre, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Picasso, Michel Leiris, Louise Leiris, Bernadette Chappuliot, Jean-Louis Hurst, Dominique Darbois, Cécile Marion, Laurence et Judith Bataille, Georges Arnaud, Louis et Bernard Malle, André Basch, Ghislain Uhry, Françoise Buisson, Pierre Vidal Naquet, Maspéro, Niels Andersson, Annie Rey, Maurienne,… et tant d’autres moins célèbres. Au sujet de l’argent qui est «le nerf de la guerre», dès sa création, la Fédération de France du FLN s’est attelée à obtenir son autonomie financière et à contribuer au budget de la guerre. Elle a mis au point et réglementé avec précision le système des cotisations en suscitant la contribution de tous, ouvriers, commerçants, fonctionnaires et autres ainsi que la constitution d’un trésor de guerre dans les banques suisses. Les cotisations étaient fixées selon les revenus de chacun et s’y ajoutaient des dons. Un contrôle comptable très strict entourait cette activité. Le transport de fonds se faisait surtout par les femmes et par des ami(es) français(es), jamais par des enfants de 10 ans comme Omar dans le film ! Le transfert des fonds dans les banques suisses se faisait par le réseau Curiel à travers la banque Rothschild. Chacun doit savoir que l’émigration a contribué pour 80% au budget de la guerre de Libération nationale… Les militants, dans la clandestinité, ont appris à être de plus en plus efficaces dans tous les domaines. A quel prix ! Durant des années, ils ont subi les arrestations, les coups, la torture, les exécutions sommaires, les noyades, les camps de concentration, les expulsions, les grèves de la faim, la guillotine… Nous n’oublierons pas tous les disparus à ce jour, qui n’auront jamais de sépulture… L’organisation du FLN comportait une branche «sociale», qui assurait l’aide financière et des colis aux démunis, aux familles des détenus en situation précaire, et un pécule mensuel pour chaque détenu. Un service d’assistance juridique désignait un avocat à chaque militant arrêté et prenait en charge tous les frais de la défense. Quant aux comportements déviants des Algériens, militants ou pas, des commissions de justice réparties sur le territoire français en étaient saisies, entendaient les prévenus et jugeaient selon un barème de fautes et de sanctions. Si le prévenu était passible de la peine la plus lourde, c’est-à-dire l’exécution pour haute trahison (selon les critères définis par le comité fédéral), cas qui restait exceptionnel, ce cas devait être impérativement soumis au comité fédéral, seul habilité à prononcer la sentence de mort. Cette règle ne faisait qu’appliquer les recommandations de la Charte de la Soummam. Ces éléments d’information sont disponibles dans les ouvrages d’historiens, et les écrits des acteurs de la Fédération de France du FLN, comme par exemple l’ouvrage La VIIe Wilayade maître Ali Haroun, ancien membre du comité fédéral de 1958 à 1962. Les anciens militants et militantes encore vivants sont à même d’en témoigner. Nous ne prétendons pas dans ce propos faire un exposé exhaustif de la période où se passe l’action du film Le Porteur de cartable, mais nous tenons à corriger les contre-vérités contenues dans le film. Dire qu’il s’agit d’une fiction ne justifie pas de calomnier ceux qui ne sont plus là, d’outrager leur mémoire. Ce film nous rappelle une autre imposture à l’histoire, commise par Rachid Bouchareb ; dans son film Hors-la-Loi, il montre les responsables de l’organisation FLN en France comme des mafiosi ou des bandits de western. Dans les deux films, les militants et l’organisation du FLN en France sont grossièrement défigurés. Leurs auteurs sont pourtant reçus en Algérie avec tous les honneurs. Nous affirmons clairement que la lutte de libération nationale en France, ce n’était pas ça. Nous disons aussi notre profond respect pour les chouhada, les moudjahidine et moudjahidate, quel que soit l’endroit où ils ont lutté. Chacun, chacune doit défendre leur honneur quand il est bafoué. Nous le faisons ici. Nous sommes fières d’avoir partagé sur le territoire de l’ennemi, le victorieux combat pour l’indépendance nationale.

Yamina Idjeri-Amoura, Farida Benamira, Malika Benchenouf, Salima Sahraoui-Bouaziz, Garmia Feria, Rabéa Benguedih-Khati, Louisa Maâcha, Mimi Maziz, Leila Mekki, Akila Abdelmoumen-Ouared, Zahra Benbournane-Ouldchikh, Fatima Bendisari-Ould Rouis. Militantes de la Fédération de France.