Blé dur, blé tendre, semences, engrais, productivité et technicité ont été le fil conducteur de la visite d’une délégation de producteurs céréaliers algériens, issus de l’est du pays et primés par le groupe Benamor. Plongée dans le cœur de l’univers céréalier français, la délégation algérienne a passé en revue, au cours d’un programme exécuté au pas de charge, les différents acteurs d’une filière au centre de toutes les attentions.
Cette mission “exploratoire” en guise de cadeau d’encouragement aux agriculteurs céréaliers adhérents au réseau d’amélioration de la qualité, pensée et mise en place par le groupe Benamor, a été perçue comme un vecteur d’échange auprès de professionnels français de la filière pour les faire profiter de leur savoir-faire mais aussi un échange d’idées et des compétences mutuelles.
Ainsi, au terme de la première campagne céréalière 2010/2011, depuis la mise en place par le groupe Benamor du réseau d’amélioration de la qualité, regroupant les producteurs issus des wilayas de Sétif, Mila, Constantine, Guelma et Annaba, le président du groupe, Laïd Benamor, a tenu à primer une grande partie d’entre eux en leur offrant cette visite professionnelle organisée conjointement avec l’organisme français France Export Céréales, créé et financé par les syndicats d’agriculteurs et qui joue un rôle de promotion du label tricolore et accessoirement faire du lobbying auprès des clients de la France de par le monde. Les 15 producteurs, parmi les 26 adhérents au réseau participatif, ont ainsi visité des exploitations agricoles céréalières dans la région de La Rochelle et participé à des rencontres et des exposés sur le blé dur en particulier.
Ces échanges n’ont pourtant pas satisfait pleinement les producteurs algériens, qui ont voulu plus de proximité avec leurs collègues français pour s’imprégner du travail technique et de la machinerie agricole sur le terrain. Ainsi, pour le directeur de la ferme pilote Kadri, à Constantine, d’une superficie de 1044 ha, les producteurs algériens, présents avec lui lors de cette tournée, ne sauraient souffrir d’une trop grande différence de niveau avec leurs homologues français, si ce n’est du côté technique et climatique. “Je n’ai rien appris puisqu’on a le même niveau et il y a eu un échange d’expériences et d’idées entre les différentes parties”, dira-t-il, en affirmant que, côté charges, ce sont les Algériens qui sont mieux lotis. “On s’en sort très bien et les charges sont plus lourdes chez eux alors qu’on respecte les mêmes itinéraires techniques”, explique-t-il. Cette approche comparative sur le terrain même du troisième, voire deuxième exportateur mondial de blé dur s’inscrit dans la logique du groupe Benamor d’accompagner ses partenaires sur le chemin de l’excellence, en côtoyant ce qui se fait de mieux pour préparer l’échéance d’après 2014, date butoir de la subvention étatique qui supporte le prix du blé à la vente.
Une échéance qui pourrait sonner le glas des producteurs nationaux de céréales mais qui ne les inquiète pas trop, vu l’importance stratégique du secteur et l’impossibilité pour l’état de se désengager complètement, au risque de voir le marché national s’effondrer. “Si l’état ne subventionne plus les céréaliers, nombre d’agriculteurs changeront d’horizon”, affirment certains de nos interlocuteurs. Des assurances confortées par les prix du baril du pétrole qui conditionnent, selon eux, la politique gouvernementale d’assistanat.
Politique alimentaire ou aliment politisé
Cette subvention financière qu’accorde l’état au secteur dans le cadre du plan quinquennal 2010-2014 ne risque pas d’être remise en cause, véritable ardoise pour une paix sociale qui passe entre autres paramètres également, par une disponibilité du pain de tous les instants. Les émeutes du pain qu’ont connues à une certaine époque des rues arabes, l’Algérie n’en veut surtout pas, et c’est pour cette raison que le pays est parmi les plus grands importateurs de blé dans le monde. Cette subvention que les agriculteurs français nous envient est répartie, selon le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, par ordre de priorité. 130 milliards de dinars par an pour l’intensification de la production agricole, 60 milliards de dinars pour le soutien au développement rural et 24 milliards de dinars pour le renforcement des capacités humaines et techniques dans les différentes filières. Mais concrètement, cette masse financière va directement à l’agriculteur, appelé, en premier, à développer son rendement à l’hectare et à améliorer la qualité de son blé, même si on reste encore loin de l’objectif de l’indépendance alimentaire, puisque la satisfaction des besoins nationaux en céréales et tout particulièrement en blé dur demeure fortement tributaire des importations, qui couvrent à hauteur de 70% la consommation locale.
Selon l’ONS, la facture des importations a augmenté de 135,9% durant les dix premiers mois de 2011, pour passer à 2,42 milliards de dollars contre 1,02 milliards de dollars en 2010. Parmi ces mesures incitatives, la subvention de 4500 DA/q en faveur des producteurs locaux qui ont permis un relatif accroissement des rendements à l’hectare, qui sont passés de 11 q/ha en 2008 à 17 q/ha en 2011 en moyenne. Des récoltes exceptionnelles ont été enregistrées ces deux dernières années, avec respectivement 61 millions de quintaux en 2009 et 45 millions en 2010, pour marquer un fléchissement en 2011 avec une production estimée à 42 millions de quintaux.
Ainsi, l’initiative et le lancement par le groupe Benamor du programme intitulé “Réseau d’amélioration et de promotion de la qualité du blé dur dans la région est du pays” résulte de cette priorité qu’occupent les céréales dans le système agroalimentaire national et de la spécificité du blé dur dans le modèle algérien de consommation. Fort de son expérience dans la recherche et l’innovation technique et scientifique en matière de diagnostic et d’amélioration de la semence des tomates industrielles, le groupe Benamor, qui a investi le secteur de la transformation du blé dur en 2006, s’est attelé, depuis un an déjà, à reproduire un schéma identique pour pousser les producteurs de l’est du pays à plus de rigueur et de professionnalisation de la filière en vue d’une meilleure qualité de leur production.
Pour Mme Sadli, représentante du groupe lors de ce circuit dans la campagne française et pilote du réseau, l’objectif de son employeur est de contribuer à la qualité de la production céréalière à l’est du pays. Elle met en avant les problèmes d’organisation de la filière et le non-respect chez nombre d’agriculteurs indépendants de l’itinéraire technique indispensable pour prétendre à une bonne récolte tant qualitativement que quantitativement. L’analyse du sol est souvent citée en exemple de ces lacunes, qui font toutes la différence entre la production locale et le travail des agriculteurs en France. Le matériel agricole a également sa place dans la liste des retards enregistrés pour ambitionner d’égaler les performances hexagonales, même si d’autres critères entrent en jeu, comme la pluviométrie, la topographie des sols ou le traitement phytosanitaire.
à chacun ses soucis
Pour le directeur de la ferme pilote Rahal Benboudali à Constantine, couvrant 150 ha, le matériel agricole utilisé par les agriculteurs français fait toute la différence. “J’ai été impressionné par le matériel, le service après-vente. Ici, le temps est de l’argent”, dira-t-il après avoir visité une exploitation agricole privée dans la région de Blois. Le même constat est fait par son homologue, directeur de la ferme pilote Debbah Mustapha Didouche Mourad, qui insiste sur la stabilité de l’agriculteur comme garant de la bonne marche de l’exploitation. Pour Zatet Abdelali, agriculteur privé à Constantine, et malgré la main de l’état (subvention de 50%) dans l’achat de la mécanique agricole auprès de la seule PMAT, le problème persiste en l’absence d’un matériel performant. “Il faut que l’état nous subventionne auprès des concessionnaires, où un seul tracteur de grande puissance peut dépasser le milliard de centimes”, dira-t-il, en regrettant presque de ne pas pouvoir profiter de la crise qui frappe l’Europe et qui oblige des agriculteurs à vendre leur matériel. “On peut trouver facilement des moissonneuses-batteuses, année 2005, à 35 000 euros, mais la législation ne nous permet plus d’acheter du matériel d’occasion”, se désole-t-il. A propos de cette fameuse échéance de 2014, Zatet Abdeljalil se veut confiant en affirmant qu’à 99% elle sera reconduite.
Pour preuve, avancera-t-il, la volonté de l’état de promouvoir l’irrigation d’appoint auprès des producteurs céréaliers locaux, avec le financement des forages dans le cadre du FNDRA et l’acquisition de kits d’irrigation. Pour rappel, l’état accorde un soutien de 50% à tout céréaliculteur qui adhère au dispositif d’irrigation d’appoint, grâce auquel il est possible d’obtenir des rendements de 75 q/ha contre une capacité actuelle de 12 à 15 q/ha en raison de la dépendance de la céréaliculture de la seule irrigation pluviale, au demeurant aléatoire. Pourtant, c’est cet esprit d’assistanat que veut combattre le groupe Benamor à travers la mise en place du réseau. “L’agriculture est trop assistée. On sensibilise les producteurs pour demain, pour qu’ils se préparent et se protègent”, explique Mme Sadli, en ajoutant qu’il est impératif d’organiser la filière, que la traçabilité du blé soit plus conforme.
Revenant sur ce séjour, elle soulignera que l’objectif du groupe est de permettre à ses partenaires de voir ce qui se passe ailleurs, de prévoir des échanges et raisonner leurs productions. Elle posera aussi le problème du barème de bonification qui n’a pas été revu depuis 1988 pour encourager les producteurs à aller dans le sens de la qualité. Une qualité dont les données ne sont pas clairement définies en Algérie, d’où l’initiative du groupe à fédérer plusieurs intervenants de la filière avec les producteurs céréaliers, l’organisme stockeur et le transformateur. L’autre souci soulevé par les agriculteurs de l’Est reste cette incompatibilité avec le modèle français qui ne se reconnaît que dans la performance en minimisant drastiquement la main-d’œuvre agricole. Ils n’en revenaient pas d’apprendre qu’une exploitation agricole privée de plus de 1000 ha n’était gérée que par un couple aidé par leur fils. “Chez nous, l’agriculture doit créer de l’emploi, et c’est un vrai dilemme qui se pose à nous entre technicité et chômage”, avouent certains de nos interlocuteurs. En termes d’emplois créés, la filière céréalière occupe 500 000 travailleurs permanents et saisonniers.
Le bon samaritain ?
L’Algérie, qui est le premier importateur mondial de blé dur (1,7 million de tonnes), en dehors de l’Italie, et le 5e en blé tendre (4,3 millions de tonnes), fait l’essentiel de son marché en France, qui détient 35% du marché algérien en blé dur et jusqu’à 85% en blé tendre. Des chiffres qui placent la France en position de quasi-monopole, un terme que les professionnels français hésitent à utiliser. Pour Leandro Pierrebattisti, responsable du suivi marchés et relations filières à France Export Céréales (FCE), et accessoirement guide du groupe des producteurs céréaliers algériens, la France a profité de ces quatre dernières années pour se placer sur le marché algérien, dominé auparavant par le blé russe et ukrainien. Une reconfiguration de la carte géographique des fournisseurs de l’Algérie qui a graduellement changé depuis la campagne 2007-2008, qui a vu l’Australie réduire de moitié sa production de blé et les prix des céréales de connaître des cimes jamais égalées.
Les opérateurs privés algériens n’arrivant plus à suivre la nervosité du marché et à assumer la courbe ascendante du blé ont poussé l’état, à travers l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), à s’investir totalement dans l’importation. Le nouveau cahier des charges imposé par l’OAIC, mettant l’accent sur le pourcentage de punaises (graines piquées par les insectes), a éliminé de facto la Russie et l’Ukraine de la liste des fournisseurs de l’Algérie. La France, de par sa proximité géographique et historique, devenait ainsi le premier bénéficiaire de cette nouvelle donne, en s’adaptant aux exigences des industriels algériens et en garantissant une logistique portuaire sans faille.
Pourtant, pour le représentant de FCE, la France a tout intérêt à conserver le marché algérien même s’il semble pour le moment acquis. “Cependant, il suffit à l’OAIC de modifier son cahier des charges pour que les choses évoluent autrement”, explique encore notre interlocuteur. Comme pour étayer cette version pessimiste, il souligne le renouvellement générationnel et le vieillissement culturel avec des Algériens de plus en plus tournés vers l’anglais et donc vers les états-Unis d’Amérique ou encore le Canada, et dira qu’il est difficile de faire du lobbying en Algérie si ce n’est pour garder les parts de marché. M. Pierrebattisti insiste également sur l’arme persuasive du blé, devenue ces dernières années un véritable enjeu stratégique pour des pays comme la Russie, pour se repositionner sur l’échiquier mondial à travers un redéploiement de ses exportations en direction, plus particulièrement, du marché asiatique.
Quid de l’Algérie ? Croissance démographique oblige, mais pas seulement, l’Algérie est devenue ces dernières années l’un des premiers pays importateurs de céréales (blé dur, blé tendre et maïs) pour satisfaire ses besoins domestiques mais également pour approvisionner, sous une quelconque forme, des pays frontaliers comme le Mali ou le Niger dont la stabilité politique est un gage de quiétude le long des frontières communes, mais aussi dans la pérennisation de la lutte antiterroriste dans cette région du Sahel. “Du 1er juin au 30 novembre 2011, et au niveau des statistiques, l’Algérie a acheté 850 000 t blé de plus que par rapport à la même période, un an auparavant”, précise notre guide de circonstance, qui ajoute qu’en l’espace de six mois, on ne pouvait justifier cette boulimie importatrice ni par une quelconque croissance démographique ni par le besoin de stocker, puisque l’Algérie ne dispose pas de capacités de stockage pour de telles quantités.
Alors où va tout ce blé ? L’Algérie achète la paix à ses frontières en fournissant ses voisins touchés par les guerres civiles, mais fait également face au phénomène gangrenant de la contrebande aux frontières est et ouest.
S. O