La wilaya de Tizi Ouzou est la plus touchée par les agressions des groupes d’El Qaîda au Maghreb
Il peut paraître paradoxal qu’une région hostile à l’islamisme politique comme la Kabylie devienne l’arrière-base des terroristes islamistes.
Il peut paraître paradoxal qu’une région hostile à l’islamisme politique comme la Kabylie devienne l’arrière-base des terroristes islamistes. S’agit-il vraiment d’une arrière-base ou plutôt d’une zone de repli ou bien les deux à la fois? En tout cas, le nombre d’attentats et d’enlèvements enregistrés dans la wilaya de Tizi Ouzou ces quatre dernières années montre que cette wilaya est la plus touchée par les agressions des groupes d’El Qaîda au Maghreb. Par exemple, concernant les actes terroristes perpétrés au centre-ville de Tizi Ouzou ou à sa périphérie, Tizi Ouzou détient malheureusement la triste palme. Rien que ces dernières trois années, plusieurs actes terroristes ont été enregistrés au centre-ville, dont deux ont été des attentats suicides ayant ciblé des postes de police dont le siège de la 1re sûreté urbaine. D’autres attentats visant les services de sécurité en déplacement ont eu lieu ces deux dernières années au niveau de la périphérie de la ville et de la Nouvelle-Ville de Tizi Ouzou, comme la dernière action terroriste en date qui a été perpétrée il y a moins d’un mois au lieu dit Le Pont de Bougie, à moins de deux kilomètres à l’est du chef-lieu de wilaya. On peut aussi citer l’attentat ayant visé, il y a six mois un convoi de l’ANP au niveau de la nouvelle autoroute qui traverse le sud de la ville des Genêts, appelée communément la Rocade-Sud. Ces attentats ont eu lieu au moment où les services de sécurité mènent un travail colossal de lutte antiterroriste avec notamment le bouclage de l’ensemble des zones d’accès à la ville de Tizi Ouzou. Ces points de contrôle sont à pied d’oeuvre sans interruption, de jour comme de nuit. Mais les quelques complicités dont bénéficient les groupes armés dans la région rendent leur action possible même si leur capacité de nuisance a ostensiblement baissé. Il s’agit, dans la quasi-totalité des cas, d’actions terroristes éclair qui arrivent à se concrétiser grâce à l’effet de surprise.
Le Gspc est né ici
Il y a exactement quinze ans, le Groupe islamique pour la prédication et le combat a remplacé le Groupe islamique armé dans l’ensemble des localités de la Kabylie, Bouira, Boumerdes, Tizi Ouzou et Béjaïa. Plus de 90% des terroristes ayant créé le Gspc, qui active dans la région suscitée, sont originaires de la wilaya de Boumerdès. Pourquoi alors les monts de Tizi Ouzou ont-ils été choisis pour y élire domicile? La configuration géographique de cette région y est pour beaucoup. Le relief montagneux de la wilaya de Tizi Ouzou offre l’opportunité aux terroristes de se muer avec moins de difficulté que dans les autres régions du pays. Les terroristes du Gspc puis d’El Qaîda au Maghreb ont fait des forêts de Sidi Ali Bounab (Tadmaït) Mizrana (Tigzirt), Amjoudh (Maâtkas) Boumahni (Drâa El Mizan), Tamgout (Yakouren), Bounaâmane (Azeffoun) et à un certain moment Takhoukht (Ath Yenni) leurs zones de prédilection. Depuis que Hamid Mouffok, l’un des terroristes et «émir» les plus actifs qu’a connus la wilaya avait été abattu il y a douze ans, les localités situées à la lisière de la forêt de Takhoukht souffrent beaucoup moins du terrorisme. Les faux barrages quasi réguliers tendus sur la route de Takhoukht reliant Tizi Ouzou aux localités des Ouadhias, Ath Yenni et Ouacifs ont disparu. L’exemple de Hamid Mouffok illustre le rôle déterminant qu’un seul élément peut jouer dans le maintien de l’action terroriste dans une région donnée. Cette lecture est confortée par le cas d’un autre émir ayant sévi pendant plusieurs années dans la wilaya de Tizi Ouzou. Il s’agit de l’émir El Khechkhach, de son vrai nom Ramdane Mohand Ouramdane, abattu le 2 janvier dernier au village Ihesnawen, à moins de cinq kilomètres au sud de la ville de Tizi Ouzou. Cet émir originaire de la région d’Ath Aïssi a été derrière plusieurs attaques terroristes ayant visé des militaires et des policiers. La majorité des actes perpétrés par cet «émir» et son groupe ont été signalés principalement dans la daïra d’Ath Douala et principalement sur la route de Tala Bounane. Depuis la mise hors d’état de nuire de cet islamiste armé, l’action terroriste dans la région des Ath Douala a pratiquement disparu. Depuis le début de l’activité terroriste dans la wilaya, des exemples similaires sont légion. Au tout début du terrorisme, le village Redjaouna (au nord de Tizi Ouzou), subissait les assauts des terroristes régulièrement. Il a fallu que le village se mobilise pour s’auto-défendre pour que la spirale infernale prenne fin. Mais, pour ce qui est de l’élimination de Hadj Brid, le chef terroriste de cette zone qui longe la forêt de Harouza au nord de la ville de Tizi Ouzou, elle était impérative.
Il était une fois les GLD
Bien avant le village Redjaouna, plusieurs autres localités avaient donné le «la» en brisant le mûr du silence avec la création des premiers groupes d’autodéfense en Kabylie. Igoujdal (Azeffoun), Aït Said (Mizrana), Attouche (Makouda) ont défrayé la chronique en décidant de s’armer pour se protéger et prémunir leurs vies et leurs biens. Très vite, cette initiative a fait tâche d’huile. Pratiquement, toute la wilaya s’était mobilisée en GLD, en patriotes et en police communale pour faire face aux agressions caractérisées des groupes armés.
La mise sur pied de ces groupes de légitime défense avait vite donné ses fruits. Ils ont permis d’endiguer la pénétration des actions terroristes dans les villages. Les terroristes ont alors opté pour la stratégie des faux barrages qu’ils dressaient sur des tronçons routiers souvent en retrait des chefs-lieux.
Le lieu-dit le Pont Noir, situé sur la route reliant Boghni-Tizi Ouzou, sur le chemin de wilaya 128 est sans doute celui où a été enregistré le plus grand nombre de faux barrages depuis le début des années quatre-vingt. Le plus de victimes aussi avec Takhoukht, bien sûr. L’organisation de la société civile en comités d’autodéfense a été salvatrice pour la wilaya qui aurait pu vivre pire et de loin ce qu’elle a eu à endurer pendnt les années de terrorisme. Le discours politique qui était prégnant à l’époque dans la région était celui de la résistance. Un discours qui n’a pas été sans apporter ses fruits et appuyer les GLD et les patriotes qui affrontaient les agressions terroristes, l’arme au poing, sur le terrain. L’hostilité de la population de la région aux discours de l’islamisme politique a été également déterminante. «L’Islam oui, mais l’islamisme politique non», a répondu la région à ceux qui venaient lui faire les yeux doux pour la renvoyer dans les siècles du Moyen Age. Quand il y a eu aussi les élections législatives de 1991 au même titre que celle de 1997 ou de 2009, aucun parti islamiste n’a pu arracher le moindre siège dans toute la wilaya. Idem quand il s’agit d’élections communales ou wilayales. Le discours politique islamiste ne prend pas en Kabylie où l’Islam pratiqué depuis des lustres est totalement différent et incompatible avec celui importé d’on ne sait où.
Arrière-base du terrorisme?
Mais comment alors se fait-il qu’aujourd’hui, la région reste une base arrière de l’action terroriste. La culture politique a-t-elle changé ici ou bien y a-t-il d’autres considérations? Personne ne peut nier qu’il y a eu irruption depuis quelques années d’une certaine idéologie islamiste qu’on appelle salafiste. Il y a dix ans, il était impossible d’apercevoir une femme en hidjab ou un homme en qamis dans les villages kabyles. Aujourd’hui, même s’ils sont très minoritaires, ils existent tout de même. Mais des observateurs avisés à Tizi Ouzou nous ont indiqué qu’il n’y a pratiquement pas de connexion entre les groupes terroristes et les jeunes qui cèdent à une toute autre sorte de discours (le discours salafiste). Ces derniers sont plutôt portés sur une vie de méditation stricte et rigoureuse, certes extrémiste voire fanatique mais laquelle, pour l’instant, ne s’exprime pas par la force, en dehors de celle verbale qui caractérise leurs discussions avec ceux qui ne partagent pas leurs idées. Le fait que la Kabylie ne soit donc pas une région politiquement islamiste ne serait pas incompatible avec le fait qu’elle soit l’une des régions d’Algérie les plus touchées par le terrorisme ces dernières années. Il faut chercher les rasions ailleurs. Nous avons plus haut évoqué son relief géographique des plus ardus et des plus favorables au déplacement des groupes terroristes. Il y a aussi les complicités et les soutiens qui sont chose avérée. Rien que durant ces trois dernières années, plusieurs réseaux ont été démantelés par les services de sécurité. Le programme de la cour criminelle du tribunal de Tizi Ouzou est truffé d’affaires incriminant des individus accusés de soutien aux groupes armés. Et souvent, quelques jours ou quelques semaines après un attentat, des réseaux similaires sont démantelés. C’est le cas suite au dernier attentat ayant ciblé un véhicule de police au niveau du Pont de Bougie. Moins de quinze jours plus tard, sept individus ont été interpellés par les services de la sûreté de wilaya. Les motivations de ces éléments accusés de soutien ne sont pas clairement établies. Quand ils comparaissent devant le tribunal, ils réfutent les griefs retenus contre eux, souvent malgré des preuves tranchantes et des témoignages oculaires. Toutefois, il y a lieu de souligner que dans bien des cas, des personnes prêtent main forte aux accablantes sous la contrainte et la menace. Des personnes ayant des frères au maquis ont aussi été impliqués, notamment dans l’approvisionnement en denrées alimentaires et en assurant les déplacements des terroristes.
Le mystère des kidnappings
Les enlèvements, voilà un phénomène qui ne touche pratiquement que la wilaya de Tizi Ouzou. Depuis l’enregistrement du tout premier cas à Maâtkas, en 2005, les kidnappings de riches ou fils de riches ont émaillé le quotidien de la région. Plus de soixante-cinq personnes ont été enlevées tout au long de ces années dans la wilaya de Tizi Ouzou. Dans tous les cas, l’enlèvement est suivi de coups de fil et de tractations pour le versement de rançons en contrepartie de la libération de l’otage. Les services de sécurité attribuent la majorité des enlèvements aux terroristes islamistes. Mais officiellement, cette piste n’a jamais été confirmée par une voix autorisée. Ce qui laisse le champ libre à toutes sortes de spéculations qu’il est inutile d’étaler ici car elles relèvent malgré tout de la rumeur. Le fait que les kidnappings soient enregistrés seulement dans la wilaya de Tizi Ouzou est un point qui suscite des interrogations permanentes chez les citoyens. Là aussi, la piste des complicités est privilégiée.
«Tout se joue avec les complicités locales. Sans les complicités, les terroristes ne peuvent pas bouger», nous dit un observateur de la scène sécuritaire à Tizi Ouzou.