Traversé par une grogne sans précédent contenue difficilement, miné par des querelles, le FFS tente tant bien que mal de dissimuler le malaise.
“Hier, c’était le RND, aujourd’hui le FLN. Conjonctures différentes, même finalité : restructuration autoritaire du pouvoir avec, cette fois, pour objectif de se débarrasser d’un parti, le FFS, en l’associant au système rentier et en brisant, ainsi, son capital de crédibilité et de sympathie pour le neutraliser et l’empêcher de fédérer les forces du changement.” Simple cri de dépit d’une figure qui n’a pas réussi à passer l’épreuve électorale avec succès en France ou constat lucide sur une situation dont beaucoup de militants de base ont du mal à saisir les contours ? En s’attaquant à certains “membres de la direction”, accusés de prendre en otage le FFS et peut-être même de “son président”, Samir Bouakouir, candidat malheureux de l’émigration à la députation, révèle la crise profonde qui secoue depuis quelques semaines le plus vieux parti d’opposition. Épargné jusque-là, en dépit de quelques bourrasques saisonnières, le FFS couve une crise dont personne ne peut aujourd’hui prédire ni l’étendue ni l’issue. Traversé par une grogne sans précédent contenue difficilement, miné par des querelles, le FFS tente tant bien que mal de dissimuler le malaise.
Signe de cette difficulté : près de quinze jours après l’annonce des résultats, il est pratiquement l’unique parti à n’avoir pas animé de conférence de presse pour commenter les résultats des élections.
Autre indice fort éloquent : la note du président Hocine Aït Ahmed à la direction du parti lui demandant “des mesures exemplaires” à l’encontre de certains cadres et figures du parti dont le comportement est jugé “indigne” pendant la campagne électorale. Parmi les personnes ciblées, figurent vraisemblablement, outre Samir Bouakouir, l’ex-premier secrétaire, Karim Tabbou, le secrétaire fédéral de Béjaïa, Farid Khalef, mais aussi d’autres responsables au sein du conseil national. “Les comportements fractionnels, les chantages à la dissidence et toutes les formes de pression que des individus ou des groupes d’individus ont menés en direction du parti lors de la campagne électorale ou après doivent faire l’objet de mesures exemplaires”, a demandé Aït Ahmed. Réplique hier de Samir Bouakouir dans une déclaration rendue publique. “Les menaces publiques d’exclusions brandies par l’actuelle “direction” du FFS, instrumentalisée par des individus compromis, à l’encontre de tous ceux qui se battent pour préserver l’autonomie de décision du FFS sont lamentables. Elles donnent une piètre image politique d’une “direction” inquiète à l’idée d’un libre débat, garanti par les textes statutaires”, écrit Samir Bouakouir. À l’origine du malaise profond qui s’est installé dans la maison FFS : la gestion du parti et sa participation surprenante aux élections. D’aucuns parmi la base militante trouvent légers les arguments avancés pour justifier la participation aux élections du 10 mai organisées et pilotées par ceux-là mêmes qui avaient organisé celles de 2002 et 2007 que le parti avait décriées et boycottées. “La participation tactique”, “le danger de l’ingérence étrangère” avaient du mal à passer aux yeux d’une base habituée à un discours radical vis-à-vis du pouvoir. Même la littérature, genre “décideurs”, “Bouteflika”, “les moukhabarate”, a curieusement disparu du lexique du FFS. “C’est la normalisation”, soutient, dépité, un membre du conseil national qui a requis l’anonymat. “Il y aurait même des tractations pour une éventuelle intégration de l’exécutif”, dit-il.
“Le pouvoir a besoin de l’opposition”
Pourtant, de l’avis des observateurs, la décision du FFS d’opérer le virage remonte au début 2011, lorsqu’il a réussi à torpiller la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), créée dans la foulée du Printemps arabe.
Dès le mois de mai de la même année, certains membres décelaient déjà les indices d’un revirement. Et dans la déclaration du 2 juillet 2001 de son conseil national du parti, le FFS levait un coin de voile sur ses intentions. “Le pouvoir a besoin d’une nouvelle légitimité et d’un consensus politique et social rénové. Le pouvoir a besoin de nouvelles bases pour la stabilité du système politique qu’il a mis en place au lendemain de l’Indépendance. Le pouvoir, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, a besoin de nouvelles forces politiques et sociales. Le pouvoir a besoin de l’opposition. C’est le prix à payer pour consolider sa position à l’intérieur mais aussi sur les plans régional et international.”
Ce cap fixé connaîtra son épilogue avec la mise à l’écart de Karim Tabbou, jugé “trop radical”, et le report du congrès. Reste maintenant à savoir quels sont les enjeux liés à sa participation. Si, a priori, la présidentielle de 2014 et le changement de la Constitution peuvent expliquer en partie le changement de cap du FFS, l’opacité qui entoure ses décisions, l’absence d’arguments solides, d’une bonne communication ne sont pas de nature à apporter la sérénité dans la maison FFS.
D’autant qu’une éventuelle purge ne fera que corser la situation. Mais loin des feux de la rampe, des cadres, d’anciens premiers secrétaires et des membres du conseil national s’activent ces jours-ci pour arrêter une stratégie appropriée à même de provoquer un débat fécond au sein du parti. En attendant, c’est le mythe d’un parti “irréprochable” qui s’effondre. Et, du coup, c’est la perspective d’un rassemblement des démocrates qui s’éloigne encore plus. “Un parti comme le FFS, qui a su résister à toutes les tentatives de normalisation pour préserver ses racines sociales et populaires, est aujourd’hui à un tournant décisif. Jamais le risque n’a été aussi grand de le voir, du moins son appareil, renoncer à ce qui fait sa particularité dans l’insondable “champ politique” algérien : sa radicalité politique”, note Bouakouir.
K k