La fête des travailleurs intervient cette année dans un contexte particulier marqué par une intense contestation sociale depuis le début de l’année 2011. Contrairement à la morosité et à l’inertie caractérisant le mouvement syndical à l’échelle internationale, le monde du travail connaît une effervescence en Algérie, gagnant des corps de métiers considérés inaccessibles aux syndicats.
Parmi les cas les plus illustratifs, les mobilisations de la police communale, des pompiers et autres groupes de légitime défense.
En effet, l’édition 2011 de la fête du travail restera à jamais marquée par les luttes syndicales au sein de corps spécifiques, à l’exemple des gardes communaux et des groupes de légitimes défense, ainsi que des pompiers qui ont investi les rues et les grandes places publiques pour crier haut et fort contre «l’injustice» et le «mépris» des pouvoirs publics. Ils étaient plus de 10 000 gardes communaux à occuper pendant des jours la place des Martyrs avant d’arracher leurs droits socioprofessionnels.
Les enseignants contractuels, les agents des APC, les travailleurs de Sonatrach, de Sonelgaz, les agents d’Algérie Poste et bien d’autres catégories professionnelles ont déclenché une série de mouvements de protestation au début de cette année 2011, confirmant le statut de «pays syndical» attribué par des organisations internationales à l’Algérie,
où les multinationales et des investisseurs auront du mal à s’imposer, malgré l’option pour l’économie de marché prise par les pouvoirs publics depuis plus de 20 ans.
Les actions syndicales sont devenues quotidiennes et les travailleurs s’estimant lésés n’hésitent pas à organiser des sit-in et des rassemblements parfois aux portes de la présidence de la République et du palais du Gouvernement, de manière à attirer l’attention des pouvoirs publics.
La contestation a gagné également les futurs médecins et diplômés universitaires durant laquelle l’accent a été mis, entre autres, sur leur carrière professionnelle au sein des établissements publics. Au total, l’Algérie a enregistré pas moins de 360 mouvements sociaux depuis le début de cette année.
Les travailleurs algériens ont démontré un esprit de combativité, de solidarité et de cohésion exemplaire, ce qui a permis d’arracher leurs droits. Dans ce contexte, on peut citer la mobilisation observée par les enseignants contractuels qui ont passé des journées entières à la belle étoile pour revendiquer leur titularisation. Les travailleurs de Sonatrach des champs de production du Sud ont bravé tous les interdits et au péril de leur santé ont réussi à appliquer les principales clauses de l’accord salarial datant de 2008.
Dans une période de reflux de luttes syndicales à l’échelle internationale, particulièrement en Europe, où des grandes organisations syndicales ont connu des échecs retentissants (la mobilisation des syndicats français contre le nouveau système de retraite n’a pas abouti face à la détermination du régime du président Nicolas Sarkozy), les syndicats algériens ont franchi des étapes déterminantes, jusqu’à prendre en main des dossiers très sensibles, notamment la gestion des œuvres sociales, la question du plan de carrière et le système de retraite
L’expérience algérienne en matière de lutte syndicale a d’ailleurs inspiré la Tunisie et l’Egypte, où les syndicaux retrouvent leur liberté bastonnée par les anciens régimes. A travers les mouvements sociaux enregistrés, on peut dire que le pluralisme syndical est une réalité plus que palpable en Algérie.
Le pays compte plusieurs associations de défense des intérêts socioprofessionnels des salariés. Dans le secteur de l’éducation, la lutte syndicale est portée par plus de 15 associations défendant toutes les catégories (Unpef, Fnte, Cnapest, Snapest, Cla…). Idem pour le secteur de la santé et l’enseignement supérieur, où des grèves ont duré plus de 90 jours.
L’UGTA préfère l’action
Dans ce contexte d’ébullition syndicale, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), l’ancêtre du syndicalisme algérien, a choisi plutôt le dialogue et la concertation.
Signataire du pacte économique et social, avec ses deux partenaires, les pouvoirs publics et les organisations patronales, la centrale syndicale a décidé, depuis la fameuse grève générale qui avait paralysé tout le pays en 2003, de travailler dans la discrétion. Son secrétaire général, Abdelmadjid Sidi Saïd, dans un entretien accordé hier à l’APS, a réitéré sa position quant à la lutte syndicale en Algérie.
«En ce 1er Mai, je voudrais aussi souligner que notre engagement est conforme à notre conception du dialogue en tant que principale source de règlement des conflits.
On a eu à le prouver en de multiples occasions, tout récemment encore, pour le paiement des arriérés de salaires de milliers de travailleurs. Toutefois, cette position a été perçue par certains spécialistes comme une absence volontaire de la part de la Centrale, connue de par l’histoire du pays comme une organisation syndicale redoutable avec un gisement de cadres et de compétences.»
C’est une illusion. l’UGTA n’est pas du tout absente. Elle a l’humilité de travailler dur mais dans la discrétion pour le règlement des problèmes des travailleurs.
Qui a sauvé des milliers d’emplois, des dizaines d’entreprises ? (…) On ne fait pas dans la trompette chaque fois que nous aboutissons à régler un conflit social.
Et vous croyez que l’on est absent quand on voit le nombre d’adhésions à l’UGTA? Nous sommes fiers d’avoir plus de 1 500 000 adhérents qui croient en nous parce que nous œuvrons pour le bien des travailleurs mais aussi, ne l’oublions pas, pour le bien du pays».
C’est ainsi que résume M. Sidi Said la politique de lutte de la Centrale, en réponse à ceux qui doutaient des capacités de mobilisation et de l’ancrage de l’Union au sein des milieux professionnels. A l’avant-garde de la lutte contre le colonialisme, l’UGTA a opté pour le dialogue et la paix dans l’intérêt des travailleurs et du pays, ne cesse de souligner son premier responsable.
F. B