Fête de l’indépendance et de la jeunesse-5 juillet 1962 : La fin d’un «hold-up»

Fête de l’indépendance et de la jeunesse-5 juillet 1962 : La fin d’un «hold-up»

Le vilain espion mécréant qui a dénoncé toute la région Devant Dieu et les hommes; demain que dira-t-il ? Au maquis, il est parmi les bleus, à ses enfants il a laissé l’opprobre» (Poème cité par Mehenna Mahfoufi dans chants kabyles de la Guerre d’Indépendance)

Depuis près de trois mois, la guerre avait pris fin en Algérie après la signature des accords d’Evian entre le GPRA et le gouvernement français. Un cessez-le- feu est certes, entré en vigueur dès le19 Mars à midi sur toute l’étendue du territoire national. La paix pour autant ne s’est pas installée. L’OAS, milice des ultras qui refusait le verdict de l’histoire semait la terreur. Elle allumait partout «des feux de désespoir». Les rouages de ce qui allait devenir la crise de l’été 62 se mettait également en place avec les dissensions constatées à la session du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) de Mai-Juin 1962. L’attention des Algériens heureux de retrouver en premier lieu la paix tant attendue, était fixée sur la tenue du référendum sur l’autodétermination. Prévue par les accords d’Evian, cette consultation devait permettre l’expression souveraine de sa volonté. Le 1er Juillet 1962, l’écrasante majorité des Algériens choisit la voie de l’Indépendance, de la rupture avec un ordre colonial bâti sur l’injustice. Le 3 juillet est proclamée officiellement l’indépendance reconnue aussitôt par la France. Elle est suivie d’une gigantesque explosion de liesse vécue dans les rues des villes et villages.

«Personne ne dort et personne n’est fatiguée», écrira dans une lettre au GPRA et citée par Harbi, le colonel Oulhadj chef de la wilaya 3. Ceux qui ont vécu ces journées mémorables ou se mêlèrent partout les larmes de joie de voir enfin, le rêve se réaliser et de tristesse devant la disparition de proches n’oublieront jamais. Il suffit de les interroger, d’écouter des chansons de l’époque pour prendre la mesure de l’immense espoir. «Dieu soit loué que le colonialisme ait quitté notre pays», chantait El Anka. En écho, Akli Yahiatene glorifiait «le pays des montagnes» dont les hommes «avançaient sans recul». La poésie et la chanson populaires ont immortalisé cette aube qui autorisait les rêves les plus fous.

Paix sur la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés. Qu’importent les incertitudes des lendemains, la précarité. Le temps était pour la majorité du peuple à la joie, à la fierté pour un combat mené avec succès. Le monde entier était admiratif de cette épopée de libération et durant de longues années, l’Algérie vivra avec ce capital.

RÉSURRECTION

On décréta certes, la date du 5 juillet comme jour de l’indépendance. Les dirigeants voulant par ce décalage effacer la sinistre date qui vit à la même date de l’an de grâce 1830 les troupes du général de Bourmont débarquer à Sidi Fredj.

C’est depuis près d’un demi-siècle, l’acte de naissance de l’Algérie. Il s’agit en réalité d’une résurrection d’un Etat qui fut mis entre parenthèses, relégué aux marges de l’histoire depuis le début de la colonisation. Elle ne s’était pas contentée de ramener des populations d’origines diverses, mais a effacé toute trace d’Etat. Contrairement à la Tunisie et au Maroc ou un pouvoir formel fut maintenu, les structures sociales et politiques de l’Algérie ont été gommées. Le 5 juillet est avant tout la réhabilitation de l’Algérie qui retrouva ainsi sa place dans le concert des nations. Elle allait désormais pouvoir établir des liens avec les pays qui reconnaissaient sa souveraineté. La propagande française prétendit avoir bâti un pays sur du néant travestissant l’histoire, subtilisant jusqu’au sceau du dey d’Alger qui ne sera remis qu’en 2003 lors de la visite de Chirac dans notre pays. Le 5 juillet a sonné le glas d’un hold-up.

De retour à Alger en ces journées historiques, Henri Alleg, à qui ont doit le premier témoignage sur la torture des Paras décrit l’atmosphère d’Alger qu’il retrouve. «De la Pointe Pescade à Maison Carrée, des hauteurs d’El-Biar jusqu’au front de mer, des milliers de drapeaux hâtivement fabriqués flottaient aux fenêtres et sur les toits des bidonvilles de la cité Mahieddine, Chacun aussi pauvre qu’il fut, avait voulu déployer son étendard personnel, non seulement pour célébrer après tant de souffrances et de deuils, la liberté conquise et proclamer, au seuil de la vie nouvelle, mais aussi sa propre espérance».

Quand le pays accéda à l’Indépendance, le bilan de la présence coloniale était désastreux. Il a suffi que dans le climat de violence et d’incertitude du printemps 1962, les fonctionnaires d’origine européenne quittent le pays pour que l’appareil administratif, les banques ou les écoles peinent à assurer leur mission. Le 5 juillet était aussi promesse et engagement de relever le défi, de ne compter que sur ses propres forces. Les illusions étaient aussi un viatique pour l’avenir.

Les jeunes d’aujourd’hui connaissent mal l’histoire. Il ne sert rien de cacher le soleil avec un tamis. Les grandes dates et les grands hommes qui se sont sacrifiés, qui ont subi les pires humiliations et tortures pour qu’ils accèdent à un meilleur statut sont ignorés par beaucoup d’entre eux. Les ancêtres dont les terres furent spoliées, interdits de savoir et des moindres droits doivent se retourner parfois dans leurs tombes. La tendance est de retenir les écarts, les conflits dont n’est indemne aucune révolution. Les témoins et les historiens peuvent et doivent en parler sans renier le sens d’un combat juste.

Il ne s’agit pas comme l’écrit à juste titre Redha Malek dans son dernier livre de «doper un orgueil national fléchissant, mais à raviver dans les mémoires des repères oubliés, négligés, oblitérés». Ceux qui nous reprochent de trop s’appesantir sur notre passé ne sont-ils pas eux aussi prompts à valoriser les faits de leurs ancêtres ?