Senteurs japonaises, arômes brésiliens et parfums marocains
Lundi soir, le public nombreux à la salle Ibn Zeydoun a eu droit un plat varié de mélodies et de paroles brésiliennes, japonaises, espagnoles et marocaines à la faveur des concerts du quatuor Iki et de l’ensemble de Tétouan.
C’est l’histoire d’un marché persan où les chameliers approchent au milieu d’un tumulte. Les mendiants réclament leur bakchich. Le beau prince arrive ainsi que le calife. Ils font un tour et ils repartent.
La place redevient calme. Cette histoire, qui fait appel aux fantasmes occidentaux sur l’Orient, a été racontée en notes musicales par le quatuor franco-japonais Iki, lundi soir à la salle Ibn Zeydoun, à la faveur du 4e Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes.
Julie Dutoit à la violoncelle, Mayu Sato-Brémaud à la flûte, Sophie Dutoit à l’alto et Baptiste Gibier à l’hautbois ont joué, devant une salle archicomble, des musiques espagnoles, brésiliennes et japonaises. Le spectacle a commencé avec un dialogue violoncelle-flûte sur la musique philosophique du Brésilien Heitor Villa-Lobos.
Ce compositeur de génie, décédé en 1959, a donné une dimension universelle au choro, musique instrumentale urbaine, populaire et festive. Villa-Lobos, qui aimait beaucoup la démarche artistique du compositeur allemand Jean-Sébastien Bach, est également célèbre par ses opéras, Magdalena et Yerma, mais aussi par la série des neuf Bachianas Brasileiras, des mélodies pour orchestre, piano ou violoncelle.
La numéro 5, qui est la plus jouée au monde, sollicite huit violoncelles et une voix soprano. « C’est un musicien complet qui n’a pas ignoré la tradition indienne. Ses œuvres sont enseignées dans la plupart des écoles de musique », a expliqué Rachid Guerbas, commissaire du festival, lors de la présentation du Quatuor Iki qui a interprété également des œuvres de l’espagnol Isaac Manuel Albéniz.
Ce compositeur a laissé une œuvre riche des musiques de chambre dont les trois célèbres Suites espagnoles et le fameux Recuerdos de Viaje. Le Quatuor Iki a également interprété des pièces de musique traditionnelle du pays du Soleil Levant, Faune et flore du Japon.
« La musique ancienne japonaise est l’une des plus élaborées dans la mesure où elle ne se contente pas d’utiliser uniquement des modes, mais fait appel à d’autres paramètres », a expliqué Rachid Guerbas. « A la base, Iki est composé d’un alto, d’un violon, d’une violoncelle et d’une flûte. On a remplacé le violon par le hautbois pour mélanger les timbres entre les cordes et les instruments à vents. Le son du hautbois se marie bien avec la flûte. C’est un son chaleureux qui se mélange bien avec les cordes. C’est rare comme ensemble. On a un peu innové », nous a précisé Baptiste Gibier, une heure avant le spectacle.
Ce dernier est venu en appui au groupe, car il joue habituellement avec le quintette à vent Arte Combo. Le Quatuor Iki, qui existe depuis 2006 et dont le nom signifie « cool » en japonais, a déjà enregistré un album. « Pour exister en France, il nous faut une multitude de cordes à notre arc et beaucoup de projets.
Cela va de la musique classique, à la musique contemporaine et à l’accompagnement de chanteurs. Jouer de la musique de chambre ne veut pas dire qu’on se limite au répertoire classique. On peut jouer de la variété », a souligné Baptiste Gibier. Le Quatuor IKI joue autant du Haendel et du Schubert que du Joplin ou des Beatles. En deuxième partie de soirée, l’ensemble du conservatoire de Tétouan, qui se produit pour la quatrième fois en Algérie, a interprété la nouba hidjaz machriki de la Ala marocaine ou musique arabo-andalouse.
Le hidjaz machriki, qui est différent du hidjaz kabir et qui est l’équivalent de la nouba zidane en Algérie, est connu par ses sept touchia. La nouba marocaine contient cinq mouvements : el bassit, el kaim ou nessf, el btyaïhi, el derdj et el qodam.
El qodam contient le rythme le plus rapide, c’est le khlass algérien. El btyaïhi et el derdj marocains sont différents de ceux d’Algérie. Le malouf de Constantine partage avec la Ala marocaine la forme poétique du barwal. Dans les faits, les textes sont plus partagés que les formes mélodiques ou les modes avec les styles pratiqués en Algérie, en Tunisie ou en Libye. Le conservatoire de Tétouan a été créé en 1940.
Il fait partie des 26 autres conservatoires que compte le Maroc. « En Algérie, il y a une cinquantaine d’associations qui enseignent la musique andalouse. Au Maroc, les conservatoires se chargent de cela, mais la musique andalouse n’est qu’une matière parmi d’autres. Cette musique est enseignée pendant dix ans. C’est le sens que nous donnons à l’école », nous a expliqué Mehdi Chaâchoo, dirigeant de l’ensemble de Tétouan et élève de Mohammed El Arbi Temsamani, ancien chef de l’orchestre de Tétouan.
Selon lui, la tétouania est un mode particulier dans la musique andalouse marocaine qui diffère de la Fassiya, par exemple. Le style de Fès, qui se réclame de l’Ecole de Cordoue, est plus classique. « Le style de la tétouania est proche de la tradition andalouse. Tétouan a été reconstruite à la fin du XVe siècle par les maures de Grenade qui ont fui l’inquisition espagnole. Leur culture et leurs traditions se sont mélangées avec celles du Maroc », a-t-il ajouté. Lundi soir, l’ensemble de Tétouan a chanté des poèmes de Boumediène Tlemçani, d’Abou El Hassan Charchouri, Omar Ibnou El Faridh et Sidi M’hamed El Haraq.
« La musique andalouse s’est adaptée à tous les courants littéraires pendant des siècles », a précisé Mehdi Chaâchoo qui vient de publier un essai sur la musique Ala marocaine. Hier soir, un hommage a été rendu au maître du malouf libyen, feu Hassan Laribi, à travers un concert de l’ensemble dirigé aujourd’hui par Youcef Laribi, fils du disparu. A noter enfin, que la forte présence du public, lundi soir à la salle Ibn Zeydoun, a obligé les organisateurs à fermer les portes pour éviter un encombrement des allées, comme ce fut le cas dimanche soir. Rachid Guerbas a expliqué cette décision par la nécessité de respecter les normes de sécurité.
Par Fayçal Métaoui