Festival du Malouf de Constantine, Moment rare avec l’Égyptien Saber Abdelsettar

Festival du Malouf de Constantine, Moment rare avec l’Égyptien Saber Abdelsettar

Le virtuose égyptien du qanoun, Saber Abdelsattar, et sa troupe de mouachahate « Dar El Opéra El Misria », ont subjugué par la beauté et la portée historique le public du Festival international du malouf de Constantine. Cet artiste a permis de vivre, un moment rare, tout en ravissement qui fera date dans les annales du festival.

Les paroles de salutations du maestro, qui jouit ici d’une réputation à la mesure d’un immense talent qu’il a déjà eu à démontrer lors de précédents passages au sein de la troupe Ouyoun de Naseer Shemma, ont été accueillies par des salves d’applaudissements provenant d’un auditoire tout ouïe et qui a suivi le spectacle avec une attention quasi religieuse, le saluant à sa fin par une standing ovation des plus chaleureuses rapporte l’APS, pour se poursuivre par des mouachahate dans la pure tradition orientale, interprétées à l’unisson par une chorale de quatre éléments et en solo par chacun des ces éléments, tous de sexe masculin et rivalisant de talent et de maîtrise vocale, arrachant des cris d’admiration à l’auditoire.

Le spectacle a été clôturée en apothéose par une très belle et allègre composition intitulée Farah, du nom de la fille du chef d’orchestre, qui évoque l’univers tout en mouvement et en couleurs de l’enfance.

Cette dernière composition, comme d’ailleurs toutes celles qui l’ont précédée, n’est pas sans rappeler la virtuosité des grands maîtres des temps glorieux de la musique égyptienne à l’instar de Baligh Hamdi, Mohamed Abelouahab et autres, mais avec une note de fraîcheur et de légèreté qui l’intègrent dans l’air du temps et la mettent au goût du jour.

Ces jeunes artistes qui inspirent espoir et optimisme quant à l’avenir de la musique arabe, laissent aussi penser, ce qui ne gâte rien, que la relève, si l’on en juge à travers Saber Abdelsattar et ses 14 musiciens, jouit d’une conscience culturelle des plus pointues. Cela s’est senti à travers leurs analyses et leurs avis sur la situation, aujourd’hui, des instruments musicaux relevant du patrimoine arabe.

Abdelsattar qui se dit (et qui le prouve à travers sa musique) très ouvert sur la modernité et l’innovation, tient à souligner avec force que sa musique « n’est que la branche d’un arbre aux racines profondes, en l’occurrence la musique patrimoniale arabo-musulmane ». Le maestro, également chercheur et doctorant, n’hésite pas à qualifier de « colonialisme » cette mode de l’invasion des instruments occidentaux qui déclasse des instruments de très grande valeur relevant des legs patrimoniaux de la culture arabo-musulmane.

« Nos instruments doivent avoir une place dans la musique moderne », dit-il avant d’ajouter qu’il n’est « pas normal que nous prenions les instruments des occidentaux alors qu’aucun de nos instruments n’a été intégré dans leur musique ». Logiquement, « c’est l’inverse qui devrait se produire et c’est à eux de prendre chez nous », s’indigne-t-il.

Ce jeune prodige de la musique arabe ne fait pas que s’indigner, il est conscient de la nécessité pour les élites arabes de travailler pour approfondir leur connaissance de leur culture et pouvoir s’imposer et faire reconnaître la valeur de leur héritage civilisationnel aux autres. Lui, à l’instar de ce que fait l’irakien Naseer Shemma pour le oud (luth) arabe, ne ménage aucun effort pour diffuser l’enseignement de ce pilier de la musique arabe qu’est le qanoun et pour le faire connaître au monde. Il a déjà réussi quelques expériences d’intégration de cet instrument dans des orchestres symphoniques occidentaux, en Corse et en Italie, mais toute son énergie et son dévouement, il les réserve d’abord à ses élèves, dans son pays, où il a à cúur de faire émerger de nouveaux talents et pourquoi pas de nouveaux virtuoses comme lui mais avec leurs cachets propres.

Le maestro qui met un accent particulier sur ce dernier point souligne avoir « dit à tous (ses) amis, aux connaisseurs et aux critiques de la musique: si vous voyez un seul de mes élèves jouer comme moi signalez-le moi pour que je revois ma méthode d’enseignement car je ne veux surtout pas me cloner dans mes élèves mais faire émerger l’artiste qui est en eux et qui porte leur propre empreinte et non la mienne ».

Par : Rosa Chaoui